Dimanche soir, Edouard Philippe a prononcé un discours devant la communauté française réunie à la Résidence de l’Ambassade. L’occasion de rappeler les relations privilégiées entre le Sénégal et la France, mais également de défendre la politique engagée depuis plus deux ans en France par Emmanuel Macron.
Après le passage d’Emmanuel Macron à Dakar en février 2018, c’est au tour d’Edouard Philippe, accompagné par plusieurs membres du gouvernement et des parlementaires de s’y rendre, à l’occasion du 4ème séminaire intergouvernemental entre la France et le Sénégal. Pendant deux jours, un programme soutenu attendait chacun des membres de cette délégation.
Dimanche soir, à la Résidence de l'Ambassade, le Premier Ministre a prononcé un discours d’une trentaine de minutes qu’il a débuté et achevé par des citations de Fatou Diome, l’écrivaine franco-sénégalaise et parsemé de quelques pointes d’humour.
Edouard Philippe a indiqué les trois principaux motifs de sa visite et chantiers qui engagent l'avenir commun entre le Sénégal et la France.
- Le volet économique : "les échanges entre nos deux pays sont particulièrement dynamiques, grâce à vous et aux autorités sénégalaises qui ont fixé un cap clair avec le Plan Sénégal Emergent. Grâce à ce cap, nous pouvons concentrer les financements publics français sur des investissement d’avenir, je pense notamment au soutien que nous continuerons d'apporter au TER (Train Express Régional) dans sa phase 1 et sa phase 2. (...) Je sais que ces projets d’infrastructures de transports en commun transforment radicalement les domaines de l’aménagement urbain et déterminent largement les améliorations en matière de qualité de vie. La France sera également présente auprès du Sénégal dans de nombreux autres domaines : agroalimentaire, tourisme, numérique, développement des énergies renouvelables".
- Le volet éducatif, culturel, humain : "le premier gage de cet avenir commun, c’est bien sûr vous tous, Français du Sénégal, Sénégalais de France qui forment une communauté dynamique et bien sûr, ceux qui peuvent bénéficier et s’enorgueillir de la double nationalité. Vous constituez la plus nombreuse communauté française en Afrique subsaharienne, mais aussi une des plus anciennes et des plus variés. (...) Cette richesse culturelle et humaine, c’est aussi un réseau d’écoles à programme français, 13 établissements au total qui scolarisent 7 500 élèves français, sénégalais ou d'autres nationalités. La France est également engagée aux côtés du gouvernement sénégalais pour offrir aux jeunes des formations pour pouvoir construire leur avenir ici, c’est le sens du campus franco-sénégalais, à Diamniadio. Depuis la rentrée, on y dispense une quinzaine de formations qui vont se développer". Il a ensuite évoqué l’organisation pour la première fois en Afrique, en 2022, des Jeux Olympiques de la Jeunesse à Dakar. "C’est une formidable reconnaissance, et nous apporterons notre soutien dans la rénovation d'infrastructures et la préparation des athlètes".
"Les liens humains qui nous rassemblent sont culturels, historiques avec ce que cette histoire peut avoir de glorieux, de lumineux et aussi ce qu’elle peut avoir de part d’ombre. Avant d’être premier ministre, j'ai été maire du Havre et parce que je ne sais que trop bien que combien l’essor de cette ville est liée à celui du commerce triangulaire, je ne veux jamais minorer cette part d’ombre. Le devoir de mémoire est essentiel pour mettre un terme à ce qu’Aimé Césaire, surnommait les bouches cousues, ces mécanismes qui disait-il font fonctionner l’oubli noir. Il ne s’agit pas de fixer cette mémoire, mais de la faire connaître, de la faire reconnaitre et d’insister aussi sur ce qui nous rassemble ; par exemple, la reconnaissance du courage et du sacrifice des tirailleurs sénégalais, qui se sont battus pour défendre la France et ses valeurs. Ce qui nous rassemble c’est la signature d’un accord entre nos deux gouvernements pour accentuer la coopération entre nos musées et la circulation des œuvres, c’est le processus que nous venons d’engager avec la restitution officielle au Sénégal du sabre El Hadj Oumar Tall, le fondateur au 19ème siècle de l’empire toucouleur. (...) A Paris, avec la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, nouvellement créée, nous avons signé une convention qui nous permet d’organiser dans la durée les moyens de faire connaître, de diffuser la connaissance, non pas sur le mode de l’expiation ou de la gêne, ni bien sûr de la fierté, mais sur le mode du savoir qui rassemble et qui permet de regarder l’avenir sereinement".
- Le dernier volet de cet avenir en commun, c’est la paix et la sécurité, pour lesquels la France et le Sénégal coopèrent de façon très étroite. "Je participerais demain à l’ouverture du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique et je rendrais également visite aux EFS (Eléments Français du Sénégal) qui jouent un rôle clé dans le renforcement des capacités des Etats de la région à mener la lutte contre la menace terroriste. Je veux redire ici notre détermination totale à combattre avec nos alliés africains le terrorisme islamique".
Puis Edouard Philippe a consacré la fin de son discours à la France, "où nous avons engagé de profondes transformations depuis un peu plus de deux ans" et à justifier l'action du gouvernement. Il a notamment évoqué la croissance, le chômage, la réforme des retraites et la politique migratoire.
"Je voudrais en parler avec humilité et prudence, car notre pays est, à bien des égards, formidable, remarquable, et surprenant dans sa capacité parfois à s’interroger sur les bonnes nouvelles. Nous n’avons aucun problème à évoquer les mauvaises nouvelles, nous parlons souvent de ce qui ne va pas et ce devrait aller mieux, nous sommes comme empruntés, hésitants, réticents, à évoquer les bonnes nouvelles quand il y en a. Alors il faut le faire avec humilité et prudence. (...) La France est un pays qui dispose d’un potentiel exceptionnel, envié, et on ne se rend jamais autant compte de ce potentiel que lorsque l’on est à l’extérieur de ses frontières (....). Faire en sorte que ce potentiel puisse se réaliser, ce n’est pas un exercice facile mais il faut se dire que cela en vaut la peine. Essayer de transformer ce pays, libérer ces énergies pour que la croissance soit en rendez-vous, que la préparation de l'avenir soit garanti, que la préservation des intérêts de la France soient assurés, que nos citoyens se rendent compte qu’un certain nombre d’éléments qui, pendant fort longtemps, m’ont pas pas réglés, commencent à changer et c’est à tout cela que nous nous sommes attaqués. La France de 2019, c’est un pays où la croissance n'est pas aussi élevée que nous aimerions mais elle est plus solide que celle d'un très grand nombre de ses pays voisins. (...). Cette France de 2019, c’est une France où le chômage est encore trop élevé mais il baisse, son taux était de 10% fin 2016, il était de 8,6% au 2ème trimestre 2019. Durant la période 2017/2018, notre pays a créé 524 000 emplois, et pour la première fois depuis 17 ans, l’industrie recrée en net des emplois. C’est un mieux ! Pour la première fois, la France intègre le top 5 des pays les plus attractifs du monde aux yeux des investisseurs étrangers, nous étions 10ème en 2014. (...) Ses bons résultats sont synonymes d’emplois créés, de perspectives offertes dans les territoires, qui sont encourageants. (...)
"Je ne voudrais pas revenir sur la colère qui s’est exprimée dans notre pays il y a un an, et qui a donné lieu à des débordements encore hier, même s'il y aurait beaucoup à dire....Cette colère est l’expression française d’une réalité qui n’est pas spécifiquement française : la baisse du pouvoir d’achat des classes moyennes, l’éloignement et parfois le sentiment de relégation par rapport aux lieux où se prennent les décisions, le sentiment que ses enfants vivront moins bien que soi-même, et donc l’absence de perspectives qui va avec. Ces trois causes ne sont pas propres à la France, on les a vus partout en Europe occidentale et même aux Etats-Unis. En France, cela a pris la forme des gilets jaunes. Dans d’autres pays, la forme a pu être électorale, référendaire, et elle n’en a pas été toujours moins violente non plus.
A cette colère et à cette angoisse qui s’exprimaient, nous avons apporté trois types de réponses : citoyenne avec l’organisation d’un grand débat national dont tout le monde a reconnu le caractère inédit, et la portée qu’il pouvait avoir, la deuxième réponse a été économique et sociale avec l’adoption d’une batterie de mesures, centrées sur l’idée qu’il fallait que le travail paye plus dans notre pays et que tous ceux qui ont une activité ou retournent à une activité puissent avoir un niveau de vie supérieur, accru pour valoriser cette activité ou ce retour à l’activité. Et c’est le cas, le pouvoir d’achat par habitant dans notre pays progressera en 2019 de 2 %, la plus forte progression depuis 12 ans et en vérité, à bien des égards, la seule progression annuelle depuis 12 ans. La 3ème réponse a été politique et parlementaire. En juin, j’ai présenté au parlement l’acte 2 du quinquennat qui marque un tournant dans la méthode employée, plus horizontale, plus partagée, sans rien enlever à notre volonté de transformer le pays parce que si on ne transforme pas, alors le pays est immobile et dans une situation dangereuse.
Depuis cet été, nous déclinons les priorités de cet acte 2, c'est la mise en œuvre de la réforme de l’assurance chômage. J’en rappelle le but : faire en sorte que le travail paye plus, réduire le recours abusif aux contrats courts, sans toucher au principe et à la qualité de cette protection. Sa durée maximale demeure de 24 mois, la France gardera un des régimes les plus favorables de l’OCDE, mais fera en sorte qu’il ne soit pas exagérément plus favorable que ceux de l’OCDE.
J’ai présenté les grandes lignes de la réforme des retraites, dont le but est de bâtir pour l’avenir un régime universel qui se substituera aux 42 régimes de retraite qui existent jusqu’à présent. Il fonctionnera par répartition et par points. Quand on parle de retraite en France, il peut arriver qu’on se heurte à une forme de scepticisme, de résistance. Car le système de retraite est la plus belle incarnation du contrat social, de ce lien particulier qui fait que nous sommes tous unis à tous et que notre situation individuelle dépend à bien des égards du bien vouloir des autres et réciproquement (...). Il faut expliquer cette réforme, accompagner cette transition.
Enfin, la semaine dernière, j’ai détaillé des mesures destinées à reprendre le contrôle sur notre politique migratoire. Le sujet est sensible, je voudrais en dire quelques mots, parce que nous avons essayé d’apporter une réponse claire et équilibrée. Reprendre le contrôle, cela veut dire que la délivrance des titres de séjour doit répondre à des principes clairs et ne pas être le fruit d’une forme de passivité. Il s’agit de faire en sorte que lorsque l’on dit oui, on accueille correctement les personnes à qui l’on a dit oui et que lorsque l’on dit non, on raccompagne ces personnes dans leurs pays car elles n’ont pas vocation à rester dans notre pays. C’est d’une grande simplicité à énoncer, et depuis bien longtemps nous n’arrivons pas à le faire, et ça n’est pas propre aux deux dernières années, c’est une difficulté ancienne, traditionnelle, connue, mais dont nous ne pouvons pas nous satisfaire. Il faut donc changer les choses et reprendre le contrôle. Regarder le monde tel qu’il est, avec ses déséquilibres, et en tirer les conséquences, c’est pour cela que partout nous défendons la paix et la stabilité. Le Président s’est engagé à augmenter l’aide publique au développement dans les pays partenaires, grâce à une loi de programmation qui sera présentée par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères je l’espère courant 2020. (...) C’est aussi refondre totalement le système de Schengen avec nos partenaires et amis européens, c’est faire de l’immigration et de son contrôle l’une des grandes priorités du mandat de la nouvelle commission. C’est aussi dire qu’une politique migratoire n'est pas seulement l'addition de contraintes mais aussi l’expression de choix assumés car gouverner c’est choisir. Fixer des objectifs, par exemple dans l’immigration professionnelle légale, nous souhaitons la transformer pour en adapter les caractéristiques de formation aux besoins réels de notre économie. C’est mettre sur notre territoire national le paquet sur l’intégration par le travail, réduire les irritants qui empêchent les parcours d’intégration, c’est réaffirmer les exigences que nous posons pour accéder à la nationalité et notamment la maitrise du français. C’est nous donner les moyens financiers, juridiques, humains de mettre en œuvre ces mesures. Ces sujets, nous les évoquons avec les autorités du Sénégal, avec tous les partenaires et amis de l’Afrique subsaharienne, mais pas seulement. Ces sujets comme les autres, nous devons les regarder en face et les traiter sérieusement conformément à nos valeurs sans avoir peur de ce qu’ils peuvent parfois déclencher comme peurs et comme réactions mais bien dans le souci de défendre les intérêts de notre pays.
Enfin Edouard Philippe a conclu en affirmant, "n’ayons pas de problème avec l’ambition, avec l’ambition nationale, avec l’ambition individuelle, celle qui consiste à vouloir construire sa vie, à exploiter ses talents, à servir son pays, à en découvrir d’autres, à aller au bout de l’aventure que parfois l’on sent au fond de soi-même, pour une raison simple que vous connaissez ici au moins autant qu’ailleurs, parce que ce sont ces ambitions individuelles qui contribuent à l’avenir d’une nation, qui nourrissent une ambition collective".
"Je vous remercie de votre présence ce soir, de votre accueil. La République compte sur vous, sur ce que vous faites ici, sur la façon dont vous êtes, chacun les meilleurs ambassadeurs de notre pays. Cette mission est tout sauf accessoire et je pense que si vous êtes aussi nombreux, aussi attentifs, c’est parce car très profondément au sein de vous, vous en êtes persuadé alors merci pour cela, vive la république, vive la France !".
Puis le Premier Ministre s’est offert un petit bain de foule, parmi un public qui lui a semblé sans doute plus bienveillant que celui de France.
Pour suivre les activités du Premier Ministre et des différents ministres ou secrétaires d'Etat, le compte twitter d'Edouard Philippe et celui de l'Ambassade de France au Sénégal.