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M. Pollard : «discuter avec l’Argentine rompt avec notre droit à l’autodétermination»

Situées à l’est de la Patagonie, dans l’océan Atlantique, les îles Falkland sont une source de tension majeure entre l’Argentine et le Royaume-Uni. Face à cela, les habitants de ces îles cherchent “à se faire connaître de tous” et demandent “un gouvernement argentin responsable qui n’imposera pas de sanctions à un petit voisin”. Fier de leur culture et de leur histoire, le député Mark Pollard, issu d’une 5e génération de citoyens de ces îles, revient sur ces sujets lors de notre rencontre.

Mark Pollard, député des îles FalklandMark Pollard, député des îles Falkland
Mark Pollard, député des îles Falkland
Écrit par Daphnée Quentin
Publié le 12 mai 2024

Pouvez-vous nous raconter l’histoire des îles Falkland ? 

Pour commencer, il n’existe pas de population autochtone aux îles Falkland, bien que nous ayons des preuves de la présence de visiteurs dans le temps. La première observation enregistrée a été faite par John Davis en 1592, nous avons ensuite été nommés par le capitaine John Strong en 1690, et nous sommes restés inoccupés jusqu'en 1765. La partie moderne de notre histoire a commencé en 1832, lorsque l'Argentine a tenté d'établir sa souveraineté sur les îles Falkland. Les Britanniques les ont repris, environ 2 à 3 mois plus tard. Après cet épisode, nous avons vécu en paix jusqu’en 1982 lorsque nous avons de nouveau été occupés par l’Argentine, pendant 74 jours. À cette période, l’avenir ne s’annonçait pas très prometteur et la population diminuait rapidement. De nouveau, les Britanniques ont récupéré leur souveraineté, et nous avons prospéré depuis. La plupart de nos enfants partis étudier ailleurs reviennent, et nous nous diversifions dans toute sorte de domaine. Si nous étions d’abord un point stratégique lors de la ruée vers l’or en Californie, puis un pays éleveurs de moutons, nous nous adaptons aujourd’hui et multiplions nos compétences. 

carnaval aux îles falkland
Célébrations du carnaval aux îles Falkland

Nous sommes très fiers de nos traditions, de notre culture et de notre histoire. Malgré ce que vous pourriez croire, les îles Falkland sont très multiculturelles. Lors du dernier recensement, nous avons comptabilisé plus de 80 nationalités différentes. Nous avons des liens avec l’Amérique du Sud, le Canada mais aussi avec les pays scandinaves suite à la chasse à la baleine ou à la voile qui se pratiquait dans cette zone géographique. Toute notre culture s’appuie sur les célébrations du monde entier. Nous avons notre propre version du foxtrot et de la samba… Et nous célébrons aussi la nature qui nous entoure au quotidien !

Dans le cas de l’Argentine, je pense que nous sommes simplement une distraction pratique, et une question de fierté nationale.

Pourquoi les îles Falkland sont-elles un enjeu aujourd’hui ? 

Dans le cas de l’Argentine, je pense que nous sommes simplement une distraction pratique, et une question de fierté nationale. Leur pays bénéficie de tous types de ressources naturelles, mais leurs différents gouvernements les ont mal gérées pendant des décennies et ont tendance à se concentrer sur ce qu’ils n’ont pas, plutôt que sur ce qu’ils ont. 

Concernant nos atouts et nos ressources de façon plus générale, je pense que la question comporte trois parties. 

 

nous représentons le fondement de la démocratie dans une région incroyablement turbulente du monde, faisant des îles Falkland un symbole stratégique.

D’abord, nous sommes d’une importance stratégique. D’un point de vue géographique, nous sommes la seule masse continentale à environ 500 kilomètres, et avons su faire nos preuves en matière de bonne gestion de notre masse terrestre et océanique. Nous sommes une porte d’entrée vers l’Antarctique, un lieu de prédilection pour les scientifiques, et avons également notre propre institut de recherches en sciences de l'environnement. Je pense que nous ne pouvons pas ignorer non plus le fait que nous sommes un atout militaire important pour le Royaume-Uni et pour ses partenaires. Finalement, nous représentons le fondement de la démocratie dans une région incroyablement turbulente du monde, faisant des îles Falkland un symbole stratégique. 

crédit photo : Marc Bouldoukain
crédit photo : Marc Bouldoukain

Ensuite, nous avons de nombreuses ressources. Cette partie est liée à celle de notre importance stratégique, mais elle reste légèrement différente. Notre industrie agricole est fructueuse. Nous disposons de stocks de poissons assez importants pour représenter plus du tiers des calamars vendus en Europe. Nous exportons également de la laine et de la viande, et la diversité de la faune et la flore qui nous entourent attirent de nombreux touristes : entre 60.000 et 70.000 passagers de navires de croisières, et plusieurs milliers de visiteurs terrestres chaque année. Concernant la production d’énergie, nous avons découvert d’énormes réserves de pétrole et étudions actuellement la manière dont nous l’exporterons. Nous avons beaucoup de vent, et pensons que la production d’hydrogène pourrait être bénéfique à l’avenir. 

Enfin, je pense que notre meilleur atout n’est autre que nos habitants. Nous sommes une population qui travaille dur, qui est dynamique et très innovante, ce qui est probablement la raison pour laquelle nous avons prospéré malgré l'ingérence constante de nos voisins.

 

Comment se structure votre gouvernement ?

Notre système est très particulier et ne ressemble à aucun autre. Par exemple, nous ne disposons d’aucun parti politique, même si rien ne l’interdit. Le rôle de député rompt également avec les principes classiques de séparation des pouvoirs législatifs et exécutifs. Élus pendant quatre ans, nous disposons d’un portefeuille de compétences : de mon côté, je suis chargé du développement et des services commerciaux, ce qui me donne un rôle presque ministériel sur ces questions.  

Il existe aussi un conseil exécutif, chargé de définir la politique officielle des îles Falkland, un directeur général chargé de la mettre en œuvre, et un gouverneur. Nous avons choisi d'être un territoire d'Outre-mer du Royaume-Uni. Cela signifie que nous disposons d’une autonomie interne complète, mais qu’ils nous supervisent et qu’ils sont responsables de nos affaires étrangères. Dans la pratique, nous sommes financièrement autonomes dans tous les domaines hormis celui de la défense. La gouverneure, représentante du roi aux îles Falkland, supervise notre gouvernement, mais je n’ai jamais été témoin d’une quelconque fonction de supervision déclenchée, ni d’une prise de décision unilatérale de sa part. 

Le 2 avril 2024, la vice-présidente argentine a de nouveau revendiqué les “Malvinas argentinas”. Pensez-vous que le gouvernement des Falkland pourrait un jour ouvrir des discussions avec l’Argentine ?

Il est improbable que le gouvernement argentin ouvre un jour des discussions avec le gouvernement des îles Falkland pour la seule raison qu’ils ne nous reconnaissent pas en tant que peuple. Cela semblerait raisonnable de s’asseoir et de discuter, mais cela exclurait totalement la population des îles Falkland et son gouvernement, ce qui va à l’encontre de notre droit à l'autodétermination. En plus de cela, l’issue des discussions est déjà prédéterminée par l’Argentine. Voulons-nous parler de souveraineté dans ce contexte ? Absolument pas.

crédit photo : Martyn Barlow
Équipe de hockey des îles Malouines - crédit photo : Martyn Barlow

Nous voyons néanmoins l’élection de Javier Milei en Argentine comme une opportunité de les voir peut-être plus raisonnables. Ce que nous voulons est un gouvernement argentin responsable qui n'imposera pas de sanctions à un petit voisin qui veut simplement poursuivre ses propres affaires. Nous n’avons pas d’autre choix que de passer par le gouvernement britannique pour discuter de ces sanctions qu’ils nous imposent. Sur les îles Falkland, nous avons vu de tout : des lettres d’intimidation ont été envoyées à toutes les entreprises pour qu’ils coupent leurs relations avec nous, des vols ont été interdits lors de la crise du Covid-19, obligeant des Péruviens à voler d’abord vers le Royaume-Uni pour finalement retourner dans leur pays…. Une délégation sportive argentine est allée jusqu’à interdire à une équipe d’enfants de participer à une compétition de hockey à Miami sous le nom de notre pays. 

 

En 2013, un référendum a été organisé, et a largement mis en avant la volonté des habitants de rester britanniques. Quelles sont les conséquences de ce référendum ? 

Contrairement à ce que certains pourraient croire, il ne s’agissait pas de choisir entre être britanniques ou argentins lors de ce référendum, mais de choisir entre rester Britanniques, ou devenir autre chose. Ce “autre chose” aurait très bien pu être “indépendant”. Nous portons beaucoup d’importance à la liberté de choisir et de penser, et le référendum a été très clair : avec un taux de participation de plus de 92 %, 99,8 % ont voté pour le maintien de notre statut de territoire britannique. 

 

Nous ne sommes donc pas bloqués dans une sorte d’enclave britannique qui prend des décisions. Toute une population s’est exprimée et a témoigné être entièrement satisfaite de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Ce sont des résultats très intéressants, car seules 3 personnes n’ont pas voté, ou voté contre. Néanmoins, nous pouvons compter aux alentours de 30 personnes nées en Argentine mais vivant chez nous qui ont pu voter…  Des gens issus du monde entier ont participé au référendum, et l’extrême majorité a choisi de conserver le même statut. Nous ne sommes donc pas bloqués dans une sorte d’enclave britannique qui prend des décisions. Toute une population s’est exprimée et a témoigné être entièrement satisfaite de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Aujourd’hui, nous continuons à parcourir le monde pour essayer de diffuser notre message et d’obtenir du soutien en faveur de notre autodétermination. C’est assez destructeur lorsque certains répriment notre existence en tant que peuple mais nous y sommes habitués et poursuivrons en ce sens. Nous sommes très fiers de notre culture et de notre histoire et espérons à l’avenir la faire connaître de tous.

 

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