Ce mardi 29 avril, comme chaque année, le monde entier célèbre la Journée internationale de la danse. Instituée en hommage à la naissance de Georges Noverre (1727–1810), considéré comme le père du ballet moderne. Cette date réunit les passionné·e·s de tous les styles chorégraphiques. À cette occasion, Le Petit Journal est allé à la rencontre d’Eva Falxa, une Française de 40 ans installée à Buenos Aires depuis maintenant neuf ans. Venue initialement pour vivre pleinement sa passion du tango, elle n’est jamais repartie. Ancienne professionnelle dans le secteur de l’immobilier, Eva s’est reconvertie pour faire du tango son métier et évolue aujourd’hui sur les scènes des plus grandes compétitions du domaine en Argentine.


Article écrit par Zoé Decros.
Le petit journal : Comment as-tu découvert le tango ?
Eva Falxa : J’ai découvert le tango en Écosse, lors d’un voyage linguistique de six mois chez ma famille. Je voulais me reconnecter aux choses que j’aimais. Danseuse depuis toute petite, j’avais ce désir de découvrir les danses de couple. Au final, je suis tombée par hasard sur un cours de tango, et ça a été le coup de cœur — pour la danse, mais surtout pour cet abrazo (calin). J’ai tout de suite senti que ça allait m’accompagner toute ma vie. J’ai complètement été piquée.
Comment as-tu pris la décision de venir en Argentine ?
Après mon retour en France, danser le tango était devenu une nécessité. C’est alors, sur les conseils d’un ami, que j’ai pris un visa vacances travail d’une durée d’un an. À l’époque, ça me paraissait fou : je ne parlais pas un mot d'espagnol et c'était à l’autre bout du monde. Mon plan était de rester trois mois à Buenos Aires pour danser le tango puis de voyager et de découvrir l’Argentine. Mais après avoir prolongé de deux mois mon séjour à Buenos Aires, et seulement deux semaines de voyage, j’ai senti que j’avais besoin de danser, besoin d’abrazos. Quand je suis revenue à Buenos Aires. J’ai eu beaucoup de chance : j’ai trouvé un échange de services avec une femme qui accueillait chez elle des passionné·e·s de tango. C’était une expérience géniale, qui m’a permis de plonger dans toutes les facettes de la culture tango à Buenos Aires. Puis 1 an est passé, et mon visa est arrivé à échéance, et c’est lors d’une démonstration de samba que j’ai eu les larmes qui sont montées aux yeux, et que je me suis dis que je ne pouvais pas partir, j’avais encore trop de chose à vivre avec le tango. J’ai senti que si je rentrais en France maintenant j’allais le regretter, alors j'ai décidé de rester.
Comment est-ce devenu ta profession ?
C’est quand j’ai décidé de rester à Buenos Aires, que j’ai commencé à me former à la CETBA comme professeure de tango. Mais c’est surtout pendant la pandémie, qu’il y a eu un grand bouleversement dans ma vie de danseuse. En raison de la Covid, les “Milongas” étaient toutes fermées. J’ai alors, à cette époque, déménagé spécialement pour continuer à danser. Je me suis installée avec deux colocataires avec qui je dansais, pour pouvoir continuer à pratiquer depuis la maison. C’est de là qu’est né le désir de me professionnaliser dans le tango. À la fin du confinement, je me suis mise à chercher un partenaire pour pratiquer et retourner en milonga. Au départ, je n’avais pas du tout pensé à la compétition. Mon désir était davantage de grandir avec quelqu'un, de me perfectionner.
Danses-tu toujours avec le ou la même partenaire ?
Avant la Covid, je dansais avec différents partenaires dans les milongas sociales. Puis à la sortie de la pandémie lors du Festival Mundial de Tango j’ai contacté pour la première fois avec mon partenaire actuel. On a décidé de suivre des cours ensemble pendant le festival, pour voir si ça connecte. Ce qui nous a tout de suite lié c’est que l’on est tous les deux très grands. L’idée pour moi au départ, c'était surtout de travailler avec quelqu’un, d’évoluer et de grandir à deux son tango, pour lui l’objectif c’était de faire de la compétition.

Depuis vos débuts, avez-vous remporté des prix ou participé à des compétitions notables ?
Oui, très vite, nous avons participé à plusieurs compétitions. Nous avons fait notre premier Mundial en 2022 puis nous sommes arrivés deuxièmes au championnat du festival Envenado, puis nous sommes allés à Córdoba pour le “Che Tango”. En 2023, nous avons atteint les demi-finales du Festival Mundial à l’Usina del Arte. Nous avons aussi été finalistes au Campeonato y certamen Tango en Boedo et avons obtenu la quatrième place à l'Intermilonga de Buenos Aires et enfin demi finalistes du Campeonato de la Ciudad.
Quelle est aujourd’hui votre relation au tango ?
Le tango a changé ma vie. Il rythme mon quotidien et m'a permis de rencontrer mon partenaire, qui est aussi mon compagnon de vie. Grâce au tango, je me suis intégrée en Argentine, où la communauté tango est comme une grande famille. Nous partageons nos journées entre les cours, les entraînements et l'organisation de voyages, comme lors de notre séjour en France pour donner des cours. Le tango est devenu notre mode de vie. Avec mon partenaire, originaire de Bolivie, nous avons créé Casa Liber Tango, un espace pour accueillir des passionné·e·s du tango venant de l'étranger. Notre mission : les guider à Buenos Aires et les aider à découvrir l'univers des milongas.
Être Français·e dans une milonga en Argentine, est-ce que cela change quelque chose ?
Non, justement, c’est ça la richesse du tango. Née du brassage des populations immigrées à la fin du XIXe siècle, le tango a été un langage universel pour des personnes déracinées – Italiens, Espagnols, Français entre autres – qui ne parlaient pas la même langue mais pouvaient se connecter par la danse. Dans l’abrazo, dans la milonga, la nationalité n’a plus vraiment d’importance : ce qui compte, c’est le partage. Ce qui peut être est différent c’est qu’en tant qu’étrangère, on peut comprendre la dimension sensorielle et émotive, mais la relation n’est pas la même. Le tango, ici, est bien plus qu’une danse : c’est une culture vivante.
Peux-tu nous rappeler un peu les origines du tango ? Selon toi, le tango est-il aujourd’hui présent dans toutes les couches de la société argentine, ou reste-t-il surtout concentré à Buenos Aires ?
Le tango est né de la rencontre des migrants et de la mixité culturelle à Buenos Aires, dans les quartiers populaires et les rues. Il était rythmé par des milongas et influencé par des instruments aujourd'hui disparus. Au fil du temps, le tango a évolué, notamment avec l'intégration du lunfardo, un argot de rue. À ses débuts il était mal perçu par la bourgeoisie, étant associé aux bas-fonds et aux maisons closes, où les hommes dansaient entre eux avant d'inviter des femmes. Au début du XXe siècle l’orchestre tango s'est transformé. Le tango s’est exporté en France, ce qui a permis de crée une réelle connexion entre les deux pays, ça a beaucoup contribué à l'acceptation du tango par la bourgeoisie argentine. Aujourd’hui, bien que largement démocratisé, le tango reste très ancré dans certaines communautés passionnées.
Le tango a souvent été perçu comme empreint de machisme. Comment la nouvelle génération participe-t-elle à faire évoluer les normes et les rôles traditionnels ?
Il y a un vrai soutien de la communauté tango envers les nouvelles formes d'expression et une remise en question des normes qui ne sont plus acceptées aujourd’hui. Cela permet un renouveau. Le tango queer, par exemple, propose une approche sans rôles de genre fixes : chacun·e peut guider ou suivre, peu importe son identité de genre.
Quels sont les prochains événements ou compétitions auxquels vous allez participer ?
Aujourd'hui on est dans plusieurs compagnies, dont la compagnie Dinzel, qu’on a intégré en 2022, et avec laquelle nous continuons aujourd’hui notre chemin dans le tango. Nous poursuivons aussi sur le plan des compétitions : en mai 2024, nous avons été demi-finalistes du Campeonato de la Ciudad, un festival majeur ici à Buenos Aires, et nous préparons actuellement le Championnat mondial prévu pour la fin août.
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Photo de Une par Lucas Marques de Paiva Instagram ici.
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