

Aujourd'hui c'est un sujet bien triste qui m'amène puisque nous allons parler de la mort d'une icône, que dis-je, d'un monument de notre société : le Hipster.
Tout d'abord, je suis sûr que que vous allez me demander: qu'est-ce qu'un Hipster ? Le terme est originaire des années 40 où il désignait des jeunes blancs qui adoptaient le style et le mode de vie des joueurs de jazz noirs de l'époque c'est-à-dire la drogue et la pauvreté. Aujourd'hui plus du tout. Le Hipster c'est celui qui essaye de se démarquer des autres et qui à force devient un peu ridicule. Explications?
En France, il écoute principalement Radio Nova ou FIP. En Australie, il passe ses journées à « Dénicher des pépites à 120 BPM » sur SBS Chill et à apprendre des langues étrangères sur toutes les autres stations de SBS Radio « Attends, apprendre le Tigrigna ? Mais carrément ! ». Il a d'ailleurs pris le progrès technique musical à rebours. En effet, il a commencé à écouter la musique sur des vinyles mais voyant que cela devenait un peu trop « mainstream », il s'est mis à écouter les K7 des années 80. Actuellement, il est à deux doigts d'aller s'acheter un Walkman auto-reverse dans une boutique vintage pour « Retro-Swaguer ». A ce rythme là, d'ici 15 jours il s'achètera un magnétoscope, un bi-bop et un minitel « 3615 Enorme ».
Le Hipster lit aussi Vice et les Inrocks ce qui est idiot. Lire un magasine qui a écrit en ayant vu seulement le premier épisode « Game of Thrones, aucun intérêt, ça fonctionnera jamais et ça s'arrêtera au bout de 3 épisodes ». Notez donc: ne pas leur faire confiance pour tout ce qui se rapproche de la voyance, de l'horoscope ou toute autre prédiction de l'avenir.
Malgré tout, là où le Hipster se démarque vraiment c'est au niveau du look. Tout d'abord, il est à contre courant des saisons puisqu'il porte porte des jeans retroussés sous -15°C et des bonnets en pleine canicule. Le Hipster porte au mieux des Stan Smith signées Raf Simons ou au pire des Yeezy Boost. Là aussi , le Hipster est un peu idiot. Payer une paire de chaussure 400? simplement parce qu'elles ont été créées par « la plus grande rock star de la planète » alias Kanye West, cela s'appelle une arnaque.
Le Hipster australien ira sans doute faire un tour à l'outlet de American Apparel sur Oxford St pour trouver des pièces « So Vintage » qui date en réalité d'il y a deux ans ou dans tout autre concept store de Surry Hills. Summum de tout, le Hipster eut vénéré Rick Owens car il était « hyper-iconoclaste ». Mais c'était avant que son défilé soit repris par tous parce que Rick a osé montrer 2 ou 3 pénis « Tu comprends c'est l'idée de l'anti-mode, du non-style, c'est carrément avant-garde, scandaleux mais qui reste beau ».
C'est là que le problème commence, le Hipster qui cherche sans cesse à se démarquer ressemble de plus en plus au voisin. Tout le monde ou presque a acheté des Stan Smith, mis un bonnet, des Wayfarers et a retroussé ses jeans, surtout à Bondi Beach. Le Hipster qui cherchait sans cesse à se démarquer des autres finit par ressembler à tous. C'est comme cela que le Hipster est mort. Du moins, c'est ce qu'a démontré Jonathan Touboul, mathématicien et neuroscientifique au Collège de France en utilisant les statistiques.
Le Hipster s'attribue un accessoire, un courant culturel et ce jusqu'au moment où celui-ci devient trop mainstream et là il abandonne pour s'en attribuer un autre et ainsi de suite. C'est ce laps de temps entre le moment où il se rend compte que quelque chose est mainstream et qu'il en change, qui l'entraine à sa perte: à ce moment là le hipster ressemble à tout le monde donc plus Hipster, donc mort, CQFD. C'est un peu plus compliqué dans la théorie avec des individus i à des instants t, des vecteurs et des références à la thermodynamique et à la théorie du chaos. Il en arrive donc à la conclusion que tout Hipster qui n'arrive pas à lire dans les pensées des autres est condamné à « rester le mouton qu'il rêve de ne pas être ».
C'est donc bien le paradoxe Hipster qui le conduit lui même à sa perte. Puisque le seul moyen apparent de se démarquer des autres est de se conjuguer au pluriel pour rester singulier, chacun va le faire ; certainement car nous voulons tous prouver au reste du monde que nous sommes uniques « Et pas formatés par le moule dans lequel la société essaye de nous faire rentrer ». Or si tout le monde se met à la marge de la société, ceci correspondra à la majorité et non pas à l'exception, comme le voudrait la théorie Hipster. En conséquent, le véritable Hipster va chercher à se démarquer en sortant des marges pour aller où ? Au seul endroit vide de la société, c'est-à-dire au milieu. C'est de là que naquit et mourut le Normcore ainsi que tous ses successeurs.
« Normcore » : le terme vient de la contraction de « Normal » et « Hard-Core » c'est-à-dire pousser la normalité dans le style au Hard-Core. Autrement dit, devenir plus normal que normal (aucune référence à François Hollande ici) pour en revenir à un style issu de la classe moyenne américaine. Le terme est apparu dans le très sérieux New-York Times en 2014 et a fait un buzz monumental en passant de la rue, aux blogs spécialisés puis aux podiums des fashion-week et enfin aux magazines de mode. Le Normcore adule le style, ou plutôt le non-style de Steeve Jobs. Ses essentiels se résument en des polaires Décathlon, des tee-shirts blancs, des jeans stone-washed et des Birkenstock portées bien sur avec des chaussettes. Non ce n'est pas une blague Raf Simons en a fait une collection en 2014. 2015 aura cependant marqué la mort du Normcore qui a tout de même laissé une remarquable descendance.
Le « Cutester » qui vient aussi du mot anglais « cute » auquel on a ajouté le superlatif et le comparatif, un peu de grammaire ne fait jamais de mal. Traduction : plus mignon que le plus mignon des mignons. Le Cutester pourrait nous faire penser à un grand enfant avec ces tee-shirts à motifs Bob l'Eponge ou Minions. Et là où le Hipster eut vénéré Fauve et Lana Del Rey « avant qu'elle fasse la BO de Gatsby », le Cutester quant à lui adule une certaine Taylor Swift. Pour autant, le Cutester a également disparu pour laisser sa place au Health Goth.
Cette tendance a été vu lors des fashion-weeks de début 2015 notamment chez les créateurs japonais. Alexander Wang nous en avait déjà donné un premier aperçu lors de sa capsule H&M en 2014. Health Goth vient aussi de l'anglais, comme quoi même si on a un style assez ridicule, l'appeler par des mots anglais change tout. Health Goth signifie Gothique en bonne santé: mélange aussi abstrait que du vert fuchsia? - « Attend vert fuchsia, mais c'est carrément Feng Shui » - qui consiste en un savant assemblage de pièces à la fois gothiques et sportswears. Quelques indices pour le reconnaitre dans la rue: il porte du noir, des leggings et des Adilettes. Malheureusement, la tendance Health-Goth nous a elle aussi fait ses adieux avec le passage à la nouvelle année.
Quel concept fera notre année 2016 ? A la semaine prochaine.
Simon Arrestat, lepetitjournal.com/sydney, mercredi 20 janvier 2016









