

Mr. Georges Fenech est président de la mission interministérielle d'observation des cultes et dérives sectaires la ?MIVILUDES? depuis 2008. Il a fait une visite en Australie pour participer à la conférence sur les sectes organisée par l'association australienne d'information sur les sectes et le support aux familles. Lepetitjournal.com l'a rencontré, en compagnie de Mr Hervé Machi, son secrétaire général, lors de leur passage à Sydney
LePetitJournal.com - Pouvez vous nous parler un peu de vous, vous êtes un ancien magistrat, comment en êtes vous venu à vous intéresser aux organisations sectaires ?
Georges Fenech - Je suis magistrat de profession, j'ai exercé pendant 22 ans. En tant que juge d'instruction à Lyon j'ai dirigé l'instruction du procès de l'église de scientologie qui a fait l'objet d'un jugement en 1996. Par la suite j'ai été élu député du Rhône en 2002 et en 2007 et j'ai alors présidé la commission d'enquête parlementaire sur les sectes et les mineurs. Je n'ai jamais été touché personnellement par une dérive sectaire.
Votre mandat vient d'être renouvelé à la Miviludes, en quoi consiste votre action ?
Nous avons fait beaucoup d'avancées ces trois dernières années, notamment dans nos trois domaines d'intervention prioritaires que sont la protection de la santé publique, des mineurs et des salariés.
La protection de la santé publique est sous-jacente à toute organisation sectaire. Aujourd'hui fleurissent des gourous thérapeutiques partout dans le monde. Ils offrent toutes sortes de solutions pseudo médicales à la médecine conventionnelle. Il y a environ 400 spécialisations enregistrées aujourd'hui, nous les appelons les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique et nous surveillons les abus qui peuvent survenir. 70% des Français ont eu recours à ces médecines non conventionnelles, c'est donc une tendance marquée. Toutes ne sont pas mauvaises, loin de là, mais il y a parfois des dérives comme la méthode de la biologie totale du docteur Hammer qui se targue de guérir les cancers en expliquant que ces maladies sont d'origine conflictuelle. Il suffirait au malade de déterminer ce conflit et de rompre avec la médecine traditionnelle pour guérir. Le docteur Hammer a été à l'origine de décès et condamné à trois ans d'emprisonnement pour homicide involontaire mais il a quitté la France. Et des exemples de dérive thérapeutique comme celui ci, il y en des dizaines chaque année. C'est typiquement une dérive sectaire car il y affaiblissement, isolement du patient.
Nous avons distribué plus de 45.000 flyers pour informer les patients de ces méthodes, et en partenariat avec le ministère de la Santé, nous avons créé un groupe de spécialistes qui émettent régulièrement des avis sur ces méthodes pour identifier celles qui sont dangereuses pour la santé publique.
Ensuite, il y a la protection des mineurs qui sont des cibles potentielles. Nous sommes très vigilants par rapport à la déscolarisation de certains enfants qui peut être dévoyée au profit de sectes en tout genre.
Et enfin, il y a la protection du monde économique des salariés contre les infiltrations sectaires par la formation professionnelle, par le biais du coaching notamment parfois charlatanesque.
Comment êtes-vous informé des abus sur mineurs ?
Des enfants décèdent, il y des cas judiciaires, des procès. Les grandes associations également nous informent des situations à risque. Et on va de même au devant des communautés pour en savoir plus. Et puis on a renforcé le dispositif répressif.
Y-a-t-il des institutions similaires dans d'autres pays du monde et notamment en Australie ?
Non, nous sommes le seul pays au monde à avoir une instance de ce type. Cela tient à la culture laïque française, à la séparation de l'église et de l'Etat. Dans les pays anglo-saxons, la culture est différente, les américains notamment sont très critiques à notre égard, ils ne comprennent pas que les pouvoirs publics s'ingèrent dans un domaine de la vie privée, ils voient cela comme une atteinte à la liberté de croyance, ce que nous ne sommes pas. Simplement, nous ne nous arrêtons pas à une apparence de religion pour dénicher les infractions et nous sommes très fermes sur l'exploitation de la liberté de croyance à d'autres fins que des fins religieuses.
La problématique existe cependant partout dans le monde et elle est traitée par des associations la plupart du temps. C'est le cas en Australie. Le défaut c'est que le gouvernement ne subventionne pas du tout ces associations. Récemment l'Australie a fait un pas dans notre direction par le truchement du sénateur Nick Xenophon dont le cheval de bataille est de constituer un organisme comme le nôtre dans son pays. C'est une première pour nous, c'est pour cela qu'on est ici. On aimerait bien sûr une meilleure coordination mondiale. Nous attendons beaucoup de cette mission en Australie.
L'arsenal juridique suffit-il à défendre des dérives sectaires ?
Oui la loi est tout à fait satisfaisante. En France, nous avons la loi du 12 juin 2001 dite loi About-Picard qui permet de réprimer les abus de l'état d'ignorance ou de faiblesse. Elle fonctionne, 35 condamnations depuis 2001. Tout notre rôle est de faire connaitre cette loi pour qu'elle soit appliquée par les services judiciaires et de police. Mais là encore c'est ce qui distingue la France de pays comme l'Australie ou il n'y a absolument pas de législation spécifique. C'est le règne de l'auto-responsabilisation dans un pays comme l'Australie. Nous avons cependant expliqué le dispositif législatif français au ministre de la Justice de l'Etat de la Nouvelle Galles du Sud. Il s'est montré très intéressé. Nous insistons sur le fait que le système français est respectueux des droits fondamentaux de libertés de croyance et de culte mais il veille à ce que ces libertés ne soient pas dévoyées pour porter atteinte à d'autres libertés. Nous n'avons pas la prétention d'exporter notre modèle mais si des pays comme l'Australie arrivent à mobiliser les pouvoirs publics, ce sera déjà une victoire. L'Australie s'honorerait à aider déjà les associations pour leur permettre de se structurer et d'être plus efficaces. Cependant une première étape a été franchie, puisque a été votée une loi sur la meilleure surveillance des organismes de bienfaisance et le retrait éventuel des exonérations fiscales dans le cas de suspicions de dérives et de membres sous emprise.
Propos recueillis par Flore Gregorini (www.lepetitjournal.com/sydney.html) lundi 7 novembre 2011







