Édition internationale

DOSSIER DROGUES (3) partie - De l’interdiction à la régulation : l’urgente mutation des politiques publiques

Écrit par Lepetitjournal Sydney
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 7 avril 2017

 L'Australie se révèle donc être un lieu propice au développement et à la consommation de drogues. S'il s'agit d'un pays dans lequel les drogues récréatives sont devenues choses courantes, il n'est pourtant pas le seul à être dans ce cas. Le pays-continent est davantage le symbole d'un phénomène global où la drogue et son accès riment avec facilité. Toutefois, face à ce constat, quelles sont les politiques publiques menées par les autorités australiennes en matière de drogues ? Sont-elles réellement efficaces ? Réponse dans la 3ème partie de notre dossier.

 

Après avoir fait un état des lieux dans la première partie de ce dossier, il convient maintenant de se pencher sur ce qui est mis en place ou non contre les drogues. Il fait savoir que l'usage récréatif de l'ensemble des drogues, y compris le cannabis, est illégale sur le territoire australien (hormis la consommation personnelle de cannabis en petite quantité dans le Northern Territory, le Western Australia, le South Australia, et l'Australian Capital Territory). Par conséquent, il s'avère que la vente ou la consommation est pénalement répréhensible d'une amende et/ou d'une peine de prison selon les cas, dans les autres Etats qui dorment l'Australie (Queensland, New South Wales, Victoria, et Tasmanie).

Des politiques publiques jusqu'à maintenant inadaptées

« This is a war we can not win but we can rule // C'est une guerre que l'on ne peut pas gagner, mais que l'on peut maîtriser », disait l'ancien premier ministre australien Tony ABBOTT à la fin de son mandat en 2014. Si l'Australie commence maintenant à évoluer vers de nouvelles régulations en matière de drogues, il n'en a pas été toujours le cas.  

Un léger rappel historique s'impose. Après avoir approuvé les trois principaux traités internationaux en matière de drogues entre 1961 et 1988, l'Australie est son système fédéral (les Etats sont dotés de Parlements et de Gouvernements) ont progressivement adopté des lois répressives pour contrer la consommation croissante de drogues. Pourtant, la situation a empiré au cours des dernières décennies, et les substances illicites se sont très vites répandues. De plus, elles sont devenues plus nocives pour la santé. Par exemple, le nombre global d'overdoses a augmenté depuis quarante ans. Les spécialistes Hall WD, Degenhardt LJ et Lynskey MT ont estimé dans leurs travaux que le ratio de décès causés par une overdose d'héroïne a augmenté de 55 fois entre 1964 et 1994. 

 En acceptant de nous recevoir, le commandant de police du service drogues et  alcool du NSW Murray REYNOLDS a pu nous livrer quelques détails sur l'action  de la police. Un service est dédié uniquement à l'investigation concernant les affaires de  drogues et les gangs qui y sont liés. C'est une petite brigade, à effectif réduit. Mais en  fonction de la taille des enquêtes et des gangs, une à quatre brigades de police criminelle  peuvent se regrouper sur l'affaire. Sachant qu'une brigade est constitué de 30 à 50  agents, une affaire de drogue peut être traitée par 130 à 200 policiers sur Sydney. En  relation avec le FBI et d'autres organisations internationales, comme en France, la police  de Sydney est la première confrontée à la délinquance liée à la drogue. Il précise que  « les agents voient en premier les symptômes de l'usage de drogues chez les  consommateurs et toutes les maladies qui vont avec. Et les conséquences sociales sont  importantes, puisque les drogués sont entourés d'autres consommateurs et perdent  contact avec le monde extérieur. C'est parfois très dur pour nos effectifs d'observer cela. »  En revanche, lorsqu'il a été question de l'efficacité des lois répressives contre la drogue, le  porte-parole de la police s'est montré beaucoup moins loquace, en refusant de donner précisément son avis sur le sujet. Pourquoi ? Les premiers concernés n'ont-ils pas l'autorisation de s'exprimer ? Existe-t-il un fossé entre ce que vit la police et ce que construit le politique ?

La question de l'efficacité des politiques publiques est très présente dans les travaux d'Alex WODACK, Président de la fondation pour la réforme des lois sur les drogues en Australie. Par téléphone, il nous précise « que les politiques inadaptées ont fait le jeu du marché de la drogue. Il y a 50 ans, la situation du marché de la drogue n'était pas comme celle d'aujourd'hui. L'offre sur le marché est devenue bien plus importante et les produits, eux, bien plus dangereux. D'autre part, la corruption, le crime et le vandalisme ont augmenté considérablement avec l'échec des politiques publiques ». 

Et lorsqu'on lui demande ce qu'il préconise face à ce diagnostic quelque peu alarmant, sa réponse est claire : « Il n'y a pas de solution miracle. Cependant, il y a des pistes pour une meilleure régulation. La 1ère étape consiste à redéfinir le problème : il s'agit d'un problème de santé publique et de société. Pour éviter que la situation dégénère, il faut ensuite se concentrer sur la seconde étape, c'est-à-dire passer ?'de l'interdiction à la régulation'' ». En somme, plutôt que de se demander comment détruire les drogues, la question fondamentale devient : comment vivre avec les drogues ? 

Concrètement, que fait-on ? Les propos du Dr. WODACK pourraient s'illustrer par plusieurs exemples. Il s'agirait tout d'abord de mettre à disposition des seringues stériles et créer des salles aménagées pour les utilisateurs de ce type de drogue (par injections). D'autre part, il y a également l'hypothèse de prescrire certaines drogues dures pour un usage médical seulement. Cela permet de réduire les risques sanitaires mais également d'apporter davantage de suivi médical et des traitements à ceux qui le désirent. Sur ce point, l'Australie montre déjà des initiatives intéressantes, comme l'offre systématique de services sanitaires et sociaux ciblée sur les populations concernées. Enfin, il ne faut surtout pas négliger l'aspect de la prévention. « Nous devons transmettre et éduquer pour informer les citoyens - surtout les jeunes - à propos des dangers », ajoute le docteur. 

Malgré la mise en place de politiques publiques inadaptées depuis un certain nombre d'années, le gouvernement australien montre cependant des signes d'évolution. En légalisant récemment la vente de cannabis dans le cadre médical, l'Australie semble ainsi avoir amorcé l'urgente mutation des politiques publiques en matière de drogues.

 

Vers une légalisation totale du cannabis ? 

Compte tenu de la place importante que tient le cannabis en Australie (cf. partie 1 du dossier) il convient de s'arrêter sur la question suivante : La société australienne doit-elle se tourner vers une légalisation totale (médicale et récréative) du cannabis ?

Après une pression intense menée par les acteurs associatifs depuis plusieurs mois, le gouvernement fédéral australien a approuvé le 22 Février 2017 la vente de cannabis dans le cadre de l'utilisation médicale, après sa légalisation médicale en 2016. Le ministre de la santé, Greg Hunt, explique que ce changement garantira des approvisionnements suffisants pour chaque demande d'utilisation médicale. Cette mesure va concerner principalement les patients souffrant de maladies chroniques ou douloureuses, comme le cancer, l'épilepsie, la maladie du neurone moteur ou la sclérose en plaques. Et maintenant, le ministre « veux traiter immédiatement la question de l'approvisionnement ». 

Toutefois, faut-il aller vers une légalisation totale du cannabis ? Le débat existe en Australie comme dans de nombreux pays. Avec un prix généralement compris entre $20 et $30 pour 1g, le cannabis est aujourd'hui consommé par 6 millions d'Australiens. Il s'agit de la drogue la plus consommée.

Les trois témoignages des Australiens John, Tom et Sam*, (cf. partie 1 du dossier) se font tous avocats d'une légalisation du cannabis. Mis à part l'un d'entre eux, ils précisent que ?'le cannabis n'a rien à voir avec les autres drogues'' et que seul le cannabis nécessiterait la légalisation totale. « Il n'y a pas de raison que la marijuana soit illégale en fait », précise John. Selon lui, « 0% des incidents criminels sont liés au cannabis ou à la marijuana, et il n'y a pas de morts liés à une overdose de cannabis ». De plus, Tom nous indique que « légaliser le cannabis permettrait un meilleur contrôle de cette drogue et de sa plantation, donc de sa qualité, mais aussi de faire disparaître les réseaux de trafiquants ». Cette économie souterraine, très ancrée dans les milieux urbains comme à Sydney et Melbourne, agit bien souvent comme le font les mafias et n'hésitent pas à employer la violence, à tel point que Sam, ex-dealer qui a accepté de témoigner, en vient à dire ces mots : « Quelque part, j'étais plus effrayé par les autre dealers et les personnes au-dessus de moi que par le gouvernement et la police. Les conséquences pour la famille et les amis peuvent être bien plus graves ». 

Par ailleurs, les propos du Dr. Alex WODACK vont aussi dans ce sens. D'après lui, « une fois que le gouvernement approuve la vente du cannabis à usage médical, ce n'est qu'une question de temps avant que le débat autour de la légalisation de la consommation ne soit dans tous les médias ». Pour convaincre le gouvernement et les opposants, le Dr. Alex WODACK n'hésite pas à citer l'exemple de la Californie, qui vient de légaliser l'usage récréatif du cannabis en parallèle à l'élection présidentielle de 2016 lors d'un référendum. « A l'image de ce qui se passe maintenant en Californie, l'Australie pourra réguler et taxer la production et la vente de cannabis. La réglementation va alors permettre l'étiquetage du produit où figureront des informations sur le contenu, ce qui renforcera la protection des consommateurs. Réguler aidera aussi à limiter les ventes qui sont réalisées auprès d'enfants mineurs, comme le fait le tabac. Enfin, taxer le cannabis augmentera les recettes publiques à un moment où l'équilibre budgétaire commence à être dans les préoccupations politiques. Ces recettes pourront également aider à financer la prévention et le traitement des autres drogues », dont la légalisation ne figure pas à l'ordre du jour.

D'un autre côté, les opposants à la légalisation totale du cannabis mettent en avant d'autres arguments. Selon eux, la destruction du réseau des trafiquants est une illusion; ces derniers se replieront ensuite sur les autres drogues (MDMA, cocaïne, ice?). En outre, ils mettent surtout en avant les conséquences néfastes du cannabis sur la santé. Si l'inhalation de marijuana ne provoque pas directement la mort, une consommation régulière peut entraîner des maladies mentales et des lésions cérébrales, notamment au niveau du système neurologique.

 

Malgré son système inadapté face à l'expansion historique de la drogue lors de ces trente dernières années, le gouvernement australien semble dorénavant enclin à évoluer vers davantage de régulation en complément de la répression actuellement en vigueur. La légalisation de la vente du cannabis à des fins médicales est en l'illustration. Toutefois, difficile de prédire avec certitude quand une légalisation totale du cannabis pourrait survenir. Mais la majorité australienne le souhaite-elle ? Son comportement face au reste des drogues n'est-il pas sans rapport à l'omniprésence des règles et de la rigidité australienne ? En conclusion de cette enquête, si l'Australie est un pays en avance sur certains sujets, elle fait aujourd'hui face à un défi majeur. Reste à savoir comment et en combien de temps les pouvoirs publics s'adapteront à leur situation globale, complexe et en constante évolution. 

* Pour des raisons d'anonymat, nous avons modifié le nom des personnes interrogées. 

Source Image : Pixabay - Wikipedia - Flickr

Maxime THURIOT, lepetitjournal.com/sydney, Vendredi 07 Avril 2017

Le Petit Journal Sydney
Publié le 7 avril 2017, mis à jour le 7 avril 2017
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