

Chroniqueuse politique pour The Guardian et News Statesman, et scénariste, Lucy Wadham, 49 ans, est surtout une romancière anglaise qui vit en France depuis plus de trente ans. De cette expérience d'expatriée au long cours elle a écrit un livre, So French, L'amour vache d'une Anglaise pour la France. Succès critique et public outre-Manche, l'ouvrage qui traite des différences culturelles entre la France et l'Angleterre sort enfin dans l'Hexagone. L'occasion d'évoquer avec son auteur les relations franco-anglaises. Une discussion presque sans fin.
Lepetitjournal.com - Commençons par le commencement : avant d'arriver en France à l'âge de 18 ans, quelle image aviez-vous de ce pays ?
Lucy Wadham - Une image positive. Mes parents avaient une maison dans le sud de la France, dans le Gard. Ils faisaient partie de cette première vague de résidences secondaires des années 70. Nous passions tous les étés là-bas. J'étais jeune, mais mes trois grandes s?urs ont connu leurs premières amours et leurs premiers baisers avec des Français. C'était donc idyllique pour moi. Je ne parlais pas bien la langue, mais j'aimais déjà ce pays.
Au début de votre livre, vous évoquez longuement les différences relationnelles femme-femme et homme-femme entre la France et l'Angleterre. Adultères, infidélités, rivalités, séduction, vous dressez le portrait d'une France presque libertine. Nous sommes beaucoup plus "libres" que les Anglais ?
Dans les faits non. Dans l'attitude oui. Quand je suis arrivée en France, j'ai été surprise par le rapport entre les femmes, qui étaient finalement le résultat direct des rapports hommes-femmes. J'ai ressenti alors un fond de rivalité chez les femmes que je n'avais jamais vu en Angleterre. Là-bas, dans les années 80, il y avait un espèce de camaraderie d'emblée entre les femmes. En France, c'était un jeu de séduction permanent, presque une rivalité. Aujourd'hui, la donne a un peu changé avec la nouvelle génération, mais il y a toujours cette envie de séduire. Alors qu'il y a très peu de rapports de séduction en Angleterre. Il faut que cela soit sous-terrain, on ne peut pas flirter ouvertement. Il faut se comporter comme des copains. Toute sensualité doit être masquée. On est des potes, non sexualisés. Si c'est le cas, c'est perçu comme terriblement ringard ou trop archaïque.
La France est aussi, selon votre expérience, davantage basée sur le paraître que l'Angleterre?
Je ne dirais pas que la France est "le paraître" et l'Angleterre "l'être", cela sous-entendrait un jugement de valeur auquel je ne souscris pas. Mais la plupart des britanniques font ce jugement ! Pour eux, si l'on est dans l'être plutôt que dans le paraître, on est plus profond, moins superficiel. C'est une question de code social et de choix. J'avoue que lorsque l'on vient pour la première fois ici, que l'on est une petite Anglaise qui débarque, on est frappé par l'élégance et cette sorte de conformisme dans les codes vestimentaires des Français. Si l'on est un peu décalé dans la façon de s'habiller en France, c'est pour affirmer un certain statut. À Londres, je peux mettre n'importe quoi, je jette mes vêtements sur moi le matin et je sors. Je me fous complètement de ce que peuvent penser les gens. Car les gens ne vous regardent pas. Il n'y a pas ce jugement permanent comme en France, à Paris et dans les villes bourgeoises françaises. Il n'existe en revanche pas dans les Cévennes, où je réside actuellement.
Après tant d'années vécues en France, vous sentez-vous encore dans la peau d'une expatriée ?
En réalité, je me sens hybride : ni Française ni Anglaise. J'ai quitté l'Angleterre quand j'avais 18 ans, c'est donc normal que je ne me reconnaisse plus comme Anglaise. J'ai d'ailleurs demandé la nationalité française. Mais avant d'être l'une ou l'autre, je suis écrivain. Ce n'est pas une prétention de ma part, mais j'aime beaucoup la position d'être celle qui observe. Mon expérience se prête vraiment à cela. Lorsque je rentre en Angleterre, je ne suis pas, je regarde. Lorsque je me retrouve dans des dîners londoniens, je sens que je ne suis pas comme les autres dans ma façon de penser, je n'ai pas les mêmes préjugés. Et c'est la même chose quand je suis à Paris. Mais c'est en France que je me sens heureuse, peu importe la ville. Je suis très bien dans les Cévennes où je vis depuis plusieurs années. Je vais revenir à Paris car c'est le lieu où il y a le plus d'opportunités. Je viens d'écrire, malgré mon français très moyen (il est très bon !, ndlr), ma première pièce de théâtre en français. Et elle a été acceptée. Elle va se jouer à Paris en 2014.
Finalement, on peut dire que vous êtes une Anglaise qui ne connaît pas son pays ?
On m'a demandé d'écrire des choses sur les Anglais. C'est une très bonne idée, mais en y réfléchissant, je me suis dit : "je suis incapable de faire ça". Il faudrait que je passe au moins un an là-bas pour traiter les mêmes sujets que dans ce livre. Et je n'ai pas du tout envie de faire ça. L'Angleterre ne m'attire plus du tout. Celle que j'ai quittée dans les années 80 n'était pas du tout la même. C'était encore la société Thatcherienne. Pas encore complètement pourri par l'argent pour reprendre la vision de Georges Pompidou. Aujourd'hui on l'est. Ça me fatigue. En France, ce n'est pas encore le cas. Ça va venir mais pas tout de suite. L'argent n'est pas le but principal des gens que je connais en France. J'ai pas mal d'amis médecins qui sont dans le public et qui le font par passion, par vocation, pas pour l'argent. Ce genre de personnages n'existe plus en Angleterre.
Lorsque vous quittez la France, vous manque-t-elle comme si elle était votre pays d'origine ?
Non, car je ne suis jamais loin longtemps. J'ai des enfants de 8 et 6 ans (et deux autres enfants aujourd'hui adultes, ndlr), nous ne faisons donc pas de longs voyages. Mais lorsque je rentre en France, je me sens chez moi, j'ai un sentiment de bien-être à Paris et dans les Cévennes. Je ne l'ai pas quand je vais en Angleterre. J'ai une nostalgie de ce pays, c'est vrai. Mais pour ses années 70-80, les Monty Python, les manifestations contre l'apartheid, contre l'armement nucléaire? Aujourd'hui, on ne croit plus du tout à la politique en Angleterre, personne ne s'engage. Nous nous sommes rapprochés des Américains dans notre façon de voir la politique.
Une entrée dans la zone euro aurait-elle modifié la donne selon vous ?
Cela aurait pu arranger les choses. Mais c'était impossible pour les Anglais de faire marché commun avec la France. Dans l'histoire de l'Angleterre, lorsque l'on a créé le Royaume-Uni de toutes pièces alors que l'on était en guerre depuis des siècles, la stratégie choisie pour souder les trois cultures qui se détestaient était de les réunir autour de la haine des Français. L'identité nationale britannique est forgée dans la méfiance historique des Français. C'est presque un cliché, mais c'est toujours là. En arrivant en France, j'ai constaté que les Anglais détestaient plus les Français que les Français ne détestaient les Anglais. J'étais triste de voir cela. Dans les tabloïds, on tape toujours sur les Français. Quand je faisais des articles mettant en valeur le système français en économie, on ne voulait pas me publier car cela n'intéressait personne. Il fallait juste renforcé le préjugé français. Comme toutes ces couvertures de The Economist qui ne fait que prédire l'implosion de l'économie française. Cela dure depuis les années 80.
Je voulais surtout éviter de faire ce qui existait déjà : Une année en Provence de Peter Mayle, A Year in the Merde (God save la France en français, ndlr) de Steven Clarke. Je ne voulais pas renforcer les stéréotypes ? ni positifs, ni négatifs ?qui fascinent les Anglais. Je voulais essayer de comprendre, pour moi-même et mes lecteurs, ce que j'avais appris et ce qui nous différencie. Tout cela en partant de mon expérience personnelle. Je n'ai aucune autorité, je ne suis pas sociologue ou historienne, juste journaliste et romancière. Cela ne pouvait donc partir que de mon expérience et de Wikipédia, qui m'a bien aidé !
La documentation sur les différents évènements est en effet très riche sur de nombreux sujets : la politique, Klaus Barbie, le nucléaire, la religion, les faits divers en banlieue, Chirac, la France de Vichy?
C'est parce que je ne voulais pas juste transmettre les préjugés. En Angleterre, il y a toute une littérature dédiée à la France, le Froglit. Mes éditeurs ont commandé ce livre, c'était d'ailleurs ma première commande. Mes livres avaient un certain succès critique mais ne se vendaient pas du tout ! Il fallait donc remplir les caisses de l'éditeur. Qui savait que les ouvrages sur la France marchaient très bien. Les Anglais ont une attitude très compliquée envers la France. Animée par la jalousie.
D'où cela vient-il selon vous ?
Parce que l'on a la vie plus facile ici. On prend du plaisir dans la vie en France. Les Anglais ont du mal, ils ont besoin de se bourrer la gueule pour le faire. Ils un rapport à l'alcool qui est le résultat direct de cette difficulté à se laisser aller. Cela est, encore une fois, à cause de notre héritage protestant. La recherche du plaisir est mal perçue. Toujours aujourd'hui.
Vous n'êtes pas tendre avec la France dans votre livre, souvent à raison. Mais peut-on vraiment dire que "les Français sont sans pitié pour ceux qui maîtrisent mal leur langue" ?
J'ai constaté cela oui, surtout à Paris. C'est d'ailleurs peut-être le problème de mon livre, il est largement basé sur l'expérience parisienne. J'aurais voulu placer plus de temps en France "rurale" pour être plus complète. Mais bon? Quand on se lance en français et que l'on maîtrise mal la langue, les Français passent très vite à l'anglais même s'il est pire que votre français. Ils n'aiment pas que l'on massacre leur langue !
C'est paradoxal pour un pays stigmatisé pour son piètre niveau d'anglais?
Les deux choses sont surement liées. C'est peut-être pour masquer ses propres faiblesses. Mais je remarque tout de même que les jeunes d'aujourd'hui parlent bien anglais.
Pour finir, soyez honnête. La plupart des Anglais ne nous trouvent pas drôle. Et vous ?
Je suis désolée, mais je suis obligée de répondre par l'affirmative. L'humour est trop absurde ici. Les gens rigolent trop de leur blague. Plus on rigole moins je trouve ça drôle. J'ai parfois mal à la mâchoire à force de faire semblant de sourire ! Mais certains Français me font rire. Des amis évidemment, mais aussi Gad Elmaleh. En revanche les gens comme Jean-Marie Bigard me font plutôt pleurer. En fait, je crois que l'humour n'est pas du tout votre point fort. Cela peut changer, les Français savent ce qui est drôle. Mais j'ai l'impression que, traditionnellement, il y a cette peur de ridicule qui nous empêche d'être vraiment être drôle. Il n'y a pas cette tradition anglaise qui est de savoir se foutre de sa propre gueule, sans rire. En fait, nous revenons sur la notion de paraître : l'important est de garder la face.
Jérémy Patrelle (www.lepetitjournal.com) jeudi 6 juin 2013
Vous pouvez retrouver les chroniques de Lucy Wadham sur son blog : http://secretlifeoffrance.com/
So French, L'amour vache d'une Anglaise pour la France
Lucy Wadham a quitté l'Angleterre à l'âge de 18 ans pour vivre une histoire avec un Français. Trente années plus tard, elle vit toujours en France, pays dont elle est éperdument amoureuse. Amoureuse mais lucide. Dans son livre, elle met ses talents de journalistes au service d'une histoire qui n'a rien d'une fiction. Elle conte ses 30 ans de vie commune avec les Français, ne manquant pas de mettre le doigt sur ce qui fait mal, ce qui est drôle, ce qui est absurde. Entre prose légère et récits historiques développés et très complets, elle balade le lecteur dans une fresque à la fois anglo-française et franco-anglaise. Un ouvrage facile à lire même si ses railleries sur la France, tout en British Touch, touchent notre ego "nationaliste". Une France dont elle n'oublie pas de dire qu'elle "lui doit tout".
Éditions Hugo Doc, 17,50?

