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JEAN-MARC BARR - "Mes émotions les plus fortes, je les ai ressenties en France"

Écrit par Lepetitjournal.com International
Publié le 21 août 2012, mis à jour le 5 janvier 2018



À 51 ans, Jean-Marc Barr est un artiste à part, persuadé que le cinéma doit être social et impliquer les spectateurs. Loin des paillettes du Grand Bleu qui l'a rendu célèbre en 1988, il présente ainsi son sixième film, co-réalisé comme les précédents avec son acolyte Pascal Arnold, Chroniques sexuelles d'une famille d'aujourd'hui. Un film où la sexualité se fait réelle et crue, comme rarement au cinéma


Lepetitjournal.com - Ce film est une véritable ode à la sexualité ?
Jean-Marc Barr - Parfaitement. Avec Pascal, nous manifestons notre liberté dans une république, nos questionnements : quel est la place du sexe dans notre vie ? Est-ce qu'on en parle ? Comment on le vit ? ? Le tout, sans injonction. Nous montrons l'intimité de chaque membre de cette famille. Il n'y a pas de règles, on maintient l'imaginaire et la curiosité. Dans le cinéma normal, l'amour est toujours défini de la même façon avec des acteurs qui imitent l'acte, qui font quelques sons faux et des regards intenses. Personne n'y croit. La seule alternative, et seul autre repère pour le public, est le porno. Malheureusement, il montre une masculinité inaccessible, ce qui peut être nocif pour un jeune qui voit ça. De plus, la femme est de plus en plus dégradée.

Votre film est tout de même assez cru et peut choquer?

Il ne doit pas être choquant car il ressemble à la réalité. Nous célébrons le côté humain et solaire de ce qu'est le sexe, qui se perd de plus en plus parce que, à travers la religion ou le fantasme des médias, c'est devenu quelque chose de très lointain, distant. Et si on n'est pas comme les autres on n'est pas bon, pas normal?

Les protagonistes de ce film font réellement l'amour à l'écran. A-t-il été facile de trouver des acteurs et actrices qui jouent vraiment le jeu ?
De trouver les bons, oui. Beaucoup de gens étaient intéressés par le casting, mais nous avons eu tendance à ne pas prendre les gens hyper motivés, il y avait un côté militant qui demandait plus que ça. Nous avons fait un casting sur le jeu, l'énergie à réunir. Chacun était conscient qu'il était sur un fil du rasoir, mais ils avaient une énorme confiance en nous. La base de ce film, c'est le porno. Un acteur a vite fait d'être labellisé en tant que tel et cela peut être horrible pour lui. Il fallait donc des acteurs sensibles à notre message. Ce n'est pas un film de baise mais un film pour essayer d'emmener cette joie, ce côté humain de la sexualité et de la partager avec le plus grand nombre. Et, au final, provoquer chez le spectateur un questionnement sur sa propre sexualité, sur la tolérance.

Selon vous, les gens ne parlent pas assez de sexe entre eux ?
Il n'y a plus de transmission entre les générations, et ce n'est pas l'industrie du porno qui va le faire. Ce qui compte, c'est la parole, le passage à l'acte, de manière joyeuse. Et ça témoigne tout de même d'une connotation négative de la sexualité aujourd'hui. Nous avons vécu les années 70 où il y a avait une mini révolution sexuelle, des choses étaient révélées, choses que nos parents n'osaient même pas faire. Nous avancions. Mais depuis, l'industrie a pris le pas. Si tu veux voir l'acte physique, c'est avec deux acteurs qui imitent ou quelqu'un qui se fait baiser. C'est insultant, surtout dans une époque où l'image est accessible à tous les âges. Il est banal de voir les gens en train de se faire massacrer, les Américains tuent des terroristes comme dans les jeux vidéo, alors que l'on est complexé par le fait de voir des personnes dans des positions sexuelles. Alors que la sexualité concerne tout le monde.

"Le cinéma est rendu juvénile, à l'instar de nos hommes politiques qui nous parlent comme des enfants"


Le budget du film est minime, 500.000?. Votre nom et votre image doivent donc être très utiles pour que cette production ait une vie cinématographique nationale et internationale, non ?
Depuis le début notre envie est internationale. Nous faisons nos films nous-mêmes, avec peu de budget, nous sommes responsables de notre propriété. Ce n'est pas une grosse sortie, mais il est né. Avec Internet, le film est exponentiel, il vit. Et ce n'est pas seulement mon nom qui contribue à la vie, celui de Pascal aussi. Nous avons fait six films ensemble, les gens nous ont repérés. Les deux premiers films Lovers et Too Much Flesh ont attiré par le côté Grand Bleu, les autres beaucoup moins. J'ai la même sincérité qu'il y a 22 ans. Le Grand Bleu m'a permis de faire des choix. J'ai déjà eu beaucoup de chance dans ma vie, j'ai vécu l'American Dream jeune. J'avais le désir de poursuivre ma culture européenne. Je suis un Européen, né en Allemagne, d'un papa américain, d'une mère française.

Comment avez-vous découvert le cinéma ?
Quand j'ai vu les films de Godard. Il y avait une telle subversion ! Cela a éveillé plein de choses chez moi. Je viens des années 70, époque où il y avait une certaine lutte contre l'autorité, nous n'étions pas soumis. Depuis trente ans, cela s'est réduit. L'ère industrielle, avec le triomphe du capitalisme sur le nazisme et le communisme, a développé une autre forme d'autoritarisme où l'art et l'artiste ne comptent plus. S'il n'y a pas un vrai bénéfice de fric ou de profits monétaires derrière, cela ne compte plus. Je ne suis pas contre ça, juste contre le fait que cela devienne la norme. Au détriment des contenus et de ce qu'est le cinéma. Il est rendu juvénile, à l'instar de nos hommes politiques qui nous parlent comme des enfants. La responsabilité de l'artiste ou de l'individu en société s'en trouve effacée. Et je ne peux pas permettre de rester là sans rien faire.

Vous avez des origines américaines et françaises, vous êtes né en Allemagne. Quel citoyen êtes-vous en réalité ?

Je paie mes impôts en France depuis 1985. C'est ma réponse capitaliste. Je suis quelqu'un de très privilégié. Je suis né en Europe, j'ai grandi dans une famille simple, classe moyenne. J'ai vécu les années 70 aux Etats-Unis, et je suis venu en France, comme un Français, à l'élection de François Mitterrand. J'ai étudié Shakespeare en Angleterre? Je fais partie de deux nations qui ont quand même donné une idéologie politique quant à la liberté de l'individu. C'est une position privilégiée, que je prends au sérieux, même si je ne prends pas ce métier au sérieux, et dès que j'ai eu Le Grand Bleu, je me suis dit : "comment je vais exister autrement que par cette image du succès que l'on me donne ?".

"La plus grande tragédie est de ne pas faire face à la réalité que l'on a"

La facilité aurait été de faire carrière aux Etats-Unis ?

Effectivement. J'aurais fait trois-quatre films bien payés, et j'aurais disparu de la circulation. Là, avec mon travail avec Lars Von Trier, ma collaboration avec Pascal, j'ai joué l'opposé de la star. Je fais toutes sortes de rôles, pour tout public. Du coup mon prix n'est pas très intéressant, mais quand la caméra tourne, je n'ai rien à cacher. Le problème est dès que tu commences à être une star payée à coup de millions d'euros, il n'y a que deux metteurs en scène qui peuvent te parler. Et si tu vires politiquement, tu deviens esclave de cette situation. Moi je ne le suis pas.

Vous êtes donc un homme libre ?

Non, je veux cette illusion de liberté. Je serai vraiment libre quand je serai mort. J'ai connu une éthique de ce qu'était l'artiste dans les années 70. Avec l'arrivée de Ronald Reagan et la suite, tout a disparu. Aux Etats-Unis en tout cas. Peu de films prennent parti. Pour moi, Américain, c'est horrible de témoigner que mon pays est devenu ce que l'on critiquait de l'Union Soviétique pendant les années 80.

Vous avez la même image de la France ?
J'aime ce pays. Mark Twain, qui aimait aussi la France, disait : "Les Français sont le lien manquant entre l'homme et le gorille, parce qu'ils mettent les mains dans tout, ils n'ont pas de problème à explorer des choses". C'est exactement ça pour moi. Mes émotions les plus fortes, je les ai ressenties ici. Il y a une tradition beaucoup plus avancée dans la sagesse, la philosophie, dans l'éducation en générale ici en France. Et qui n'existe pas aux Etats-Unis. Là-bas, c'est une inconscience totale qui rend ce pays incroyablement merveilleux et incroyablement horrible. La démocratie est devenue l'otage des grands business et des corporations. L'enfer que l'on croyait soviétique, c'est nous. J'espère un jour faire là-bas ce que j'ai fait ici avec Pascal. C'est de la vraie résistance. Nous faisons des petits efforts, nous avons une responsabilité en tant qu'artiste par rapport à notre éducation d'essayer de brouiller les lignes de conduite.
Aujourd'hui, j'ai honte quand je vais au cinéma. En général, les films ne sont plus du cinéma. C'est du spectacle, du divertissement, rien qui n'implique dans ce qui se passe. La plus grande tragédie est de ne pas faire face à la réalité que l'on a.

Mais nous avons peut-être besoin d'autres choses qui nous sortent de la triste réalité. Le cinéma c'est aussi un divertissement !
Oui, mais cela peut influencer le comportement. Et là, ce n'est plus du divertissement. Les cathédrales sont devenues des HLM. Quand on connaît de moins en moins quelle est la spiritualité de la cathédrale, on oublie. Des gens la jeune génération et celle avant ne connaissent plus la cathédrale. Donc, nous en tant qu'artistes, nous sommes en échec car nous n'avons pas provoqué les gens qui nous dirigent pour faire quelque chose de grand et de beau. C'est "consomme, vends des voitures, du parfum, vends cette actrice qui est complètement lisse et qui n'a rien dans la tête parce qu'elle ne va pas faire penser à ce qu'est le vrai état de la femme". Les gens sont déprimés aujourd'hui car il y a une énorme hypocrisie dans leur vie. On leur dit de ne pas regarder ce que l'on est en train de faire, d'oublier, de ne pas faire face à la réalité de la situation. Le monde devient invivable. Au cinéma, on est dans les versions 3, 4, 5 ou 6, c'est honteux. Surtout quand on a connu Easy Rider, Les hommes du Président, Raging Bull. Là, nous étions traités comme des humains.

Jérémy Patrelle (www.lepetitjournal.com) jeudi 10 mai 2012





Chroniques sexuelles d'une famille d'aujourd'hui (1h17)
Un film de Jean-Marc Barr et Pascal Arnold avec Mathias Melloul, Valérie Maes, Stephan Hersoen, Leila Denio?
Romain, fils cadet d'une famille d'aujourd'hui, est pris en flagrant délit de masturbation en cours de biologie. Il relevait un défi lancé entre élèves qui consiste à se filmer avec  son téléphone pendant l'acte. Ses parents sont convoqués par le directeur de l'établissement. Ce sera le point de départ d'une nouvelle ère sexuelle. Lui le puceau qui ne parlait jamais de sexe avec ses parents voit sa famille tenter d'éclater le tabou en communiquant ouvertement sur le sujet?

Cette sixième collaboration entre Jean-Marc Barr et Pascal Arnold accouche d'un film parfois peu digeste mais ô combien réaliste, avec des acteurs qui ne se contentent pas de jouer les scènes, ils les vivent. "Le film est cohérent par rapport à ce que l'on a fait auparavant, explique Pascal Arnold (photo de droite). Il questionne et célèbre la sexualité. Nos vies sexuelles devraient être libres et libérées. Nous sommes dans une époque où le sexe est sensé ne plus être tabou. Mais dans l'intimité, dans la communication entre proches, cela ne l'a jamais autant été. La représentation de la sexualité a été prise en otage depuis vingt-cinq ans par l'industrie du porno qui est dominante, capitaliste, avec ses codes et sa grammaire. Nous questionnons cela, sans dire que c'est bien ou mal. C'est là, accessible à tous".
Préparez-vous tout de même à une bonne heure et quart de relations sexuelles intergénérationnelles. Du grand-père veuf à l'ado puceau par les parents, la fille adoptive et le grand frère bi, chacun finit par assumer pleinement sa sexualité. Un exemple à suivre ?


logofbinter
Publié le 21 août 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

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