Cousins des jeux du Commonwealth, les Jeux de la Francophonie s'ouvrent demain à Nice, avec une cérémonie d'ouverture présidée par François Hollande en présence de plusieurs chefs d'Etat. Jusqu'au 15 septembre, 3.000 artistes et sportifs issus des pays de la francophonie se retrouvent pour une compétition sportive et culturelle. L'occasion pour la France de prouver son intérêt pour la Francophonie, dont certains doutent.
Une manifestation du corps et de l'esprit
Créés en 1987 à l'initiative de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), les Jeux de la Francophonie se déroulent tous les 4 ans, dans l'année post-olympique. Tout comme les jeux antiques et les jeux olympiques à leurs débuts, ils comportent à la fois des épreuves sportives et culturelles. Langages universels, expressions du corps et de l'esprit, le sport et la culture sont le moyen pour la jeunesse francophone d'exprimer tout son talent. Durant cette semaine de jeux olympiques francophones, les participants s'affronteront dans une quinzaine de disciplines comme l'athlétisme handisport, le football, la lutte, mais aussi la littérature, la photographie, la chanson ou encore la création numérique ou écologique, le tout dans une ambiance festive.
Un carrefour pour la jeunesse francophone
Si les jeux de la francophonie sont une compétition - dans laquelle la France domine le tableau général des médailles devant le Canada et le Maroc - ils sont également l'occasion pour les francophones du monde entier de se retrouver autour de leur langue commune. La promotion du français est en effet l'un des objectifs inscrits dans le marbre du règlement de la compétition organisée par le Comité International des Jeux de la Francophonie (CIJF), sous l'égide de l'OIF. Pour Yamina Benguigui, ministre déléguée chargée de la Francophonie, ils sont un "lieu d'expression pour la jeunesse francophone", bien souvent victime des aléas politiques, comme au Mali ou en Egypte cette année.
Car c'est bien la jeunesse qui est au coeur de cette manifestation : les épreuves sont réservées aux 18-35 ans, certaines disciplines sportives comme le football sont même réservées aux moins de 20 ans. C'est l'occasion pour elle de briller lors d'une compétition internationale avec l'espoir qu'elle constitue un tremplin vers les hautes cimes du sport mondial ou vers le succès artistique. Des champions comme David Douillet, Marie-Josée Pérec ou encore le marocain Hicham El Guerrouj s'y sont illustrés, avec la carrière qu'on leur connaît.
Un évènement populaire
Avec désormais 7 éditions au compteur, les Jeux de la Francophonie restent une manifestation relativement jeune au regard d'autres compétitions internationales, comme leurs cousins du Commonwealth qui existent eux depuis 1930. Néanmoins, "il y a une adhésion de plus en plus importante" note Mahaman Seriba, directeur du CIJF. Avec 56 pays sur 77 membres de l'OIF, l'édition niçoise marque un record de participation. "Nous ne sommes pas dans le gigantisme des jeux olympiques ou la course aux médailles. Nous sommes dans la mesure. C'est un modèle où chacun apporte sa contribution", explique t-il. Un avis que partage Geneviève Thauvette, médaillée en or dans la catégorie photographie en 2009 au Liban : "Les gens, malgré la compétition et le goût pour l'or, étaient conviviaux, encourageants et toujours prêts à aider. Le mélange de culture et de sourire m'a profondément marqué". Pour Julien Kébèn, ex-chanteur du groupe congolais Lang'I, lauréat d'une médaille de bronze aux Jeux de Niamey en 2005, les Jeux permettent un véritable brassage : "Tous les participants, sportifs comme artistes, se retrouvaient donc mélangés, c'était génial". Loin du faste des olympiades, les Jeux de la Francophonie se veulent un événement ouvert à tous avec comme vocation de renforcer le sentiment d'appartenance à la francophonie. Ainsi les épreuves sont entièrement gratuites pour les spectateurs, une manière de les inciter à suivre un événement en quête de renommée. Car si ailleurs la presse francophone se fait l'écho des Jeux, en France ils ne semblent pas intéresser grand monde. C'est pourtant la deuxième fois que la France accueille cette manifestation puisque la ville de Paris était l'hôte de l'édition de 1994. Les Français s'intéressent-ils à la francophonie ?
Une francophonie en mal de reconnaissance française
On se souvient de la polémique suscitée par la loi Fioraso prévoyant de renforcer les dérogations permettant l'enseignement en anglais dans les universités françaises. Si les Français sont prompts à défendre leur langue, ils ne semblent en revanche pas prêter attention à la francophonie. C'est l'avis d'Hervé Bourges, président de l'Union Internationale de la Presse Francophone, qui remettait au gouvernement en 2008 un rapport dans lequel il expliquait que "Les Français ne témoignent pas d'intérêt à la Francophonie" et parlait d'une "France (est) trop repliée sur elle-même". Ce manque d'intérêt, Julien Kébèn l'a aussi ressenti lors des Jeux : "En Afrique, on ressent beaucoup ce sentiment d'appartenance, cette fraternité. En France, on ne se rend pas compte de cette force, la francophonie est négligée, alors que des pays comme le Canada font tout pour la valoriser. explique-t-il. C'est comme s'il y avait un microcosme en France, on ne réalise pas les liens qui unissent aux pays francophones de par le passé commun".
Un manque d'intérêt qui se retrouve dans le traitement médiatique de la francophonie pour Anne Laure Camus, membre de l'Assemblée des francophones fonctionnaires des organisations internationales, auteur d'une thèse en 2012 sur La francophonie dans l'espace médiatique français. Elle explique dans un article du Monde Diplomatique paru en octobre 2012 que «l'attachement au projet francophone reste très mesuré dans l'Hexagone» avant d'ajouter au sujet de l'OIF que «son action est largement méconnue en France et ce qui transparaît dans l'espace médiatique se limite le plus souvent aux réunions bisannuelles des sommets. (...) L'accent est mis sur les chants et danses locales organisés pour l'ouverture des conférences, sur le président français». En juin 2012 le secrétaire général de l'OIF, Abdou Diouf, critiquait lui aussi l'attitude française dans un entretien accordé au quotidien québecois Le Devoir. Il évoquait alors une «trahison des clercs». C'est pourquoi la France se doit de réussir ces Jeux 2013. Il s'agit pour elle de témoigner son attachement à la francophonie. Problème, des participants se sont déjà vus refuser leurs visas et ne pourront donc pas participer...
Une politique de la francophonie tournée vers l'Afrique
François Hollande avait fait de la relance de la francophonie le 58ème engagement de son programme. Il a depuis restauré un poste ministériel dédié à la Francophonie, auquel Yamina Benguigui s'est montrée proactive : organisation d'un forum mondial des femmes francophones en mars dernier, création d'un programme "100.000 professeurs pour l'Afrique" ou encore lancement du projet Afripedia. Une action tournée vers l'Afrique donc, puisque celle-ci constitue l'avenir de la francophonie. Le français sera en effet bientôt plus parlé en sur le continent Africain qu'en Europe. A l'horizon 2060, il pourrait représenter plus de 80% des francophones, dont le nombre lui devrait se situer entre 370 millions et 1,2 milliard suivant les scénarios envisagés par les projections de l'Observatoire démographique et statistique de l'espace francophone. Celui-ci conclut ainsi son rapport : "L'avenir démographique de la francophonie reposera de plus en plus sur les pays du Sud, plus particulièrement sur l'Afrique. (...) il est évident que l'avenir démographique de la francophonie dépendra grandement des gestes de solidarité et des efforts que seront prêts à consentir les pays du Nord de la francophonie à l'endroit des pays francophones d'Afrique".
Dans son rapport, Hervé Bourges dressait une liste de 16 propositions pour "redonner du sens à la communauté francophone". En tête de liste figurait l'inscription d'Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor au Panthéon des Grands Hommes. Cette décision constituerait "un hommage à la Francophonie et une reconnaissance du lien prioritaire qui lie la France à l'ensemble des pays qui parlent la même langue qu'elle". Le premier y est entré en 2011, pas le second. Hasard du calendrier, les Français sont invités depuis le début de la semaine à s'exprimer sur la personnalité qu'ils souhaitent voir entrer prochainement au Panthéon. Peut-être manifesteront-ils leur attachement à l'un des pères fondateurs de la francophonie, auteur en 1962 de l'article "Le Français, langue de culture" ?
Luc Allain (www.lepetitjournal.com) vendredi 6 septembre 2013
Les Jeux de la Francophonie en chiffres
77 : le nombre de pays membres de l'OIF
220 millions : le nombre de francophones
890 millions le nombre d'habitants des pays de l'OIF
60 : le pourcentage des francophones âgés de moins de 30 ans
10 millions : le budget pour l'organisation des jeux de la francophonie 2013 à Nice
2017 : la prochaine édition des Jeux, qui se tiendra à Abidjan en Côte d'Ivoire
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Plus d'infos
https://www.jeux.francophonie.org/
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