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EMMANUELLE BEART – "J’aime d’autant plus la France que je fais un métier qui me permet de voyager"

Écrit par Lepetitjournal.com International
Publié le 5 août 2014, mis à jour le 5 août 2014

À 50 ans, Emmanuelle Béart est une femme très active. A peine rentrée d'Australie, elle va déjà repartir sur un autre film. Légèrement fatiguée, elle s'assoit un instant dans une suite du Park Hyatt de la rue de la Paix, à Paris, pour la promotion de l'adaptation cinématographique du livre de Katherine Pancol, Les Yeux jaunes des crocodiles. Elle y excelle dans le rôle d'Iris, une illuminée hors du temps, méchante et complètement inadaptée à la société dans laquelle elle vit.

Lepetitjournal.com - Jouer cette femme complètement larguée a dû être assez jouissif, non ?
Emmanuelle Béart - Je me suis effectivement beaucoup amusée à interpréter ce rôle. Pour qu'il y ait une gentille, il faut une méchante. Et je sais comment faire, je ne suis pas habituée à jouer des gentilles ! C'est jouissif car c'est un personnage complexe, ambivalent. Elle est totalement perchée, mythomane, mondaine, intéressée, incapable de s'occuper de son enfant. C'est "Mme Tout pour plaire", elle parade, elle est fort déplaisante. Au 1er degré, elle est assez inquiétante. Mais j'ai vu toute de suite la complexité du personnage à la lecture du scénario, cette sorte de tourbillon vain dans lequel elle est enfermée pendant que sa s?ur (jouée par Julie Depardieu, ndlr) est dans une spirale sombre de difficultés financières amoureuses.

Si l'on plaint votre personnage, on comprend vite que si elle est ainsi, ce n'est pas de sa faute?
Iris est le fruit d'une éducation. Elle a été élevée dans le culte de l'image, dans le fantasme de la mère, elle correspond parfaitement à ce que sa mère voulait qu'elle soit. On peut imaginer les dégâts d'une mère castratrice, délaissant l'une car l'autre lui correspond mieux. Personne ne naît coupable, c'est le cas ici. Dans le film, sa mère lui dit par exemple : "petite tu pleurais même mieux que les autres". C'est horrible? Et là, comme c'est une femme intelligente, elle comprend que rien ne va.

Vous aviez lu le livre avant de recevoir le scénario ?
Non. Mais comme le scénario a mis du temps à arriver par la Poste, j'ai finalement eu le temps de le lire avant ! Je trouve l'adaptation très fidèle, dans le foisonnement des personnages, la description de cette cellule familiale. Évidemment, quand les gens lisent un livre qui s'est tellement vendu, ils se sont créés un imaginaire. Et cela peut être étrange de voir qui incarnent les personnages.

Comprenez-vous la réussite de ce livre : plus deux millions de ventes, traduit dans plus de 30 langues ?
Tout le monde peut s'identifier à ces personnages, être en empathie et détester les membres de ce puzzle. C'est un portrait de famille plus qu'un duo de s?ur. La mère monstre, le beau-père gentil mais lâche et infidèle, le mari de ma s?ur qui se barre loin dans le désespoir, mon mari figure de la moralité et de l'intégrité mais qui est ambivalent. Et tout se casse la gueule au fur et à mesure, c'est ça qui est formidable.

               "Avec le temps, je regrette un peu de ne pas avoir ouvert           
           ma palette d'actrice, car cela faisait du bien de partir de chez soi."


Votre carrière a explosé à l'international avec Manon des Sources en 1986, comme Daniel Auteuil. Il nous confiait qu'il aurait pu s'expatrier aux Etats-Unis, mais ne l'a pas fait. Vous non plus. Pourquoi ?
Difficile de savoir? Je n'avais pas envie, enfin? Je me suis expatriée pour la première fois pour Mission : Impossible en 1996, dans un film qui ne laissait pas beaucoup de possibilités d'interprétation. C'était une énorme machine. Il y a eu des propositions américaines mais elles étaient tellement stéréotypées? Tout comme je n'avais pas eu envie de continuer à jouer Manon toute ma vie, je n'allais pas me lancer dans une sorte d'exotisme à la française à l'étranger. Si des gens passionnant étaient arrivés dans mon univers, aurais-je dit non ? Honnêtement, je ne crois pas. Mais j'avais, il est vrai, beaucoup de mal avec Hollywood.

Pour quelles raisons ?
Hollywood, c'est grandeur et décadence. Ça ne faisait pas partie de mes fantasmes. Est-ce parce que avec Daniel Auteuil nous avions en commun d'avoir été élevés dans le midi ?! Déjà, monter dans la capitale, c'est énorme, alors si en plus il faut aller là-bas ! Non merci. Avec le temps, je regrette un peu de ne pas avoir ouvert la palette, car cela faisait du bien de partir de chez soi. Mais à l'âge que j'avais, dans cette configuration-là, je n'ai pas regardé. J'avais besoin d'être chez moi.

Pourtant, très tôt, vous étiez partie au Canada. Vous n'aviez donc pas finalement une réelle âme d'expatriée ?
J'ai vécu trois ans là-bas, oui. J'ai adoré, cela m'a sauvé la vie. En pleine adolescence, à peine 15 ans, j'avais besoin de partir. Je devais rester 15 jours, je suis restée trois ans. J'ai travaillé, refait mes études. J'aimais les gens, l'hospitalité, la chaleur humaine, la famille dans laquelle je vivais? Je n'imaginais pas une seule seconde rentrer en France, ma vie était à Montréal. J'avais reconstruit ma vie. Tout me plaisait, j'étais indépendante, je gagnais mon argent (coiffeuse, baby-sitting, cours de français)? Je me suis émancipée.

Et vous êtes finalement rentrée?
Le rappel des racines, un manque de la famille, de mon pays. J'étais différente, avec un autre d'état d'esprit. J'y suis retournée dans le cadre du travail, mais c'est différent. C'était un monde d'adolescence. Je n'ai rien retrouvé de ce que j'avais vécu. Et puis j'ai construit ma vie amoureuse en France, celle de maman, d'actrice. Et ma famille était en France. C'était fini.


                          "Je passe mon temps à faire mes valises.
                      Et quand je reviens en France je suis heureuse."


Comment êtes-vous perçue à l'étranger en tant que Française ?

Cela dépend des endroits. Je ne vais pas citer de pays, car je n'aime pas ça, mais certains me disent "qu'est-ce que vous êtes conservateur, rétrograde? Vous ne lâchez sur rien, tous les pays qui vous entourent ont 10 ans d'avance?" Ils sont un peu étonnés de notre difficulté à assumer le mariage homosexuel, à aborder le problème de l'euthanasie? En Asie, en revanche, les Français restent le symbole de l'élégance, de la culture. Et tout est vrai dans le fond.

Dans quel pays êtes-vous le plus connu ?
Dans les pays francophones évidemment. En Russie aussi, en Allemagne? Je vous parle là des gens qui me reconnaissent dans la rue. Il y a eu le Japon il y a quelques années, mais je ne pense plus que ce soit encore le cas. Mais je vous avoue que lorsque je pars de mon pays, j'ai un tel besoin que l'on ne me reconnaisse pas que je pense que les gens me regardent pour ce que je suis et non pas pour ce qu'ils savent. Je me dis "tiens, c'est formidable d'être tranquille !". Je viens de tourner trois mois en Australie, ils ne savaient pas du tout qui je suis, c'était bon !

Qu'avez-vous pensé justement de l'Australie ?
J'étais à Brisbane pendant plusieurs semaines. Mais c'est un pays trop planche à voile, surf, et trop rigoureux pour moi. Ce n'est pas assez latin à mon goût. Je me verrais bien en Grèce, en Espagne, ou en Amérique Latine. En Afrique aussi.

Pour terminer, vous sentez vous heureuse en France aujourd'hui ?
(Silence?) On pourrait être dans une période plus joyeuse, il n'y a pas d'énergie positive, pour personne. Je le vois sur mes enfants. Des enfants qui ne pensent pas "qu'est-ce que je désire ?", mais "Comment je peux trouver ma place ? Où je vais avoir du travail ?". Je ne retrouve pas l'insouciance que j'avais chez mes enfants. J'aime la France, oui. D'autant plus parce que je fais un métier qui me permet de voyager tout le temps. Je passe mon temps à faire mes valises. Et quand je reviens je suis heureuse.

Jérémy Patrelle (www.lepetitjournal.com) mardi 8 avril 2014




Les Yeux jaunes des crocodiles, un film de Cécile Telerman (2h02), avec Emmanuelle Béart, Julie Depardieu, Patrick Bruel, Samuel Le Bihan, Jacques Weber?

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Publié le 5 août 2014, mis à jour le 5 août 2014

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