À 63 ans, avec près de 40 annuités au compteur, Daniel Auteuil n'a pas l'intention de prendre sa retraite. Après La fille du puisatier en 2011, il passe une nouvelle fois derrière la caméra et adapte les deux premiers volets de la ?Trilogie marseillaise? de Marcel Pagnol, Marius et Fanny (en salles le 10 juillet). Deux longs métrages qui content l'histoire d'amour dramatique entre deux jeunes héros idéalistes, et qui confirment également l'histoire d'amour artistique indéfectible de l'acteur césarisé pour Jean de Florette et de son auteur à l'accent du sud inoubliable.
Lepetitjournal.com : Daniel Auteuil - Marcel Pagnol, c'est près de 30 ans de passion commune?
Daniel Auteuil : Pour le grand public, oui. Mais elle a en réalité 60 ans ! Je suis né dans les années 50 en Algérie, mais j'ai été élevé dans le sud de la France. Marcel Pagnol a donné à la Méditerranée et au sud une identité. Avant c'était Alphonse Daudet. Au moment où je grandis là-bas, dans le vocabulaire des gens, dans les histoires, dans les mots, il y a Pagnol, sa culture. Je découvre ensuite ses films à l'âge de 16 ans. Et quand j'arrive à Paris en 1969, la lumière du soleil me manque, je me plonge donc dans ses livres et je découvre sa littérature. Et puis vient Jean de Florette (qui sort en 1986, ndlr). Quand ce film arrive, j'ai l'impression de connaître Pagnol par c?ur. Et tout naturellement, lorsqu'il s'agit, beaucoup plus tard, de passer à la réalisation, je me dis que c'est avec lui que ça va se faire. Il y a eu La Fille du puisatier en 2011, et désormais cette trilogie.
Adapter son répertoire est une manière de se rassurer ?
Bien sûr. C'est une façon de se rassurer car ses ?uvres ont fait leurs preuves. C'est une façon de voir que, comme moi, quand on vient du théâtre, l'on peut passer sa vie à visiter Molière, Shakespeare et Marivaux et à chaque fois y apporter quelque chose de personnel. En l'adaptant, je peux porter mon propre regard, c'est confortable.
Pourquoi ne pas avoir réalisé les trois films en même temps ?
Le troisième volet, César, est adapté et écrit, mais pas encore tourné effectivement. L'histoire se déroulant 20 ans après les deux premiers volets, il y avait une certaine logique à faire Marius et Fanny à la suite et laisser passer du temps pour le dernier. Je suis encore dans la réflexion. Il fallait faire un break, je veux vraiment qu'il y ait une différence entre les deux premiers et le troisième. Je commence tout juste à entrevoir comment réintégrer la ville alors qu'elle n'est pas filmable aujourd'hui.
Marius et Fanny vivent au rythme de dialogues riches, tristes et joyeux, agrémentés de l'accent ?made in Pagnol?. Peu d'acteurs du film l'ayant naturellement, mis à part Victoire Belezy qui interprète Fanny. Pendant les cinq premières minutes, on ressent un accent surjoué chez eux, puis tout rentre dans l'ordre. Comment avez-vous drivé votre équipe ce comédiens ?
Victoire m'a effectivement fait croire qu'elle venait du sud-ouest. Mais elle vient visiblement de Limoges ! Concernant, celui du Marseille d'aujourd'hui n'est pas possible, comme l'était celui de Pierre Fresnay (acteur de 1915 à 1973, il a joué le rôle titre dans le Marius de Marcel Pagnol en 1931, et avait une diction très incisive, ndlr). Nous avons donc trouvé une musique qui accompagne les mots de Pagnol car cela ne marche pas sans la musique de l'accent. Je ne pense que cela était dur pour les comédiens car ce sont des acteurs, ils sont formés à se faire à la musique de Pagnol comme on se fait à celle de Shakespeare ou d'autres. En Angleterre par exemple, l'accent est un passage obligé. À Londres, dans chaque quartier, l'acteur demande quel accent il doit prendre. Chez nous, depuis un peu plus de 30 ans, les présentateurs de France 3 Régions n'ont presque plus aucun accent. C'est à mon avis une idée parisienne, mais bon, ce n'est pas grave. Comme vous l'avez dit, tout rentre dans l'ordre au bout de cinq minutes. Mais l'inverse est pire. J'ai vu Fanny à la Comédie Française, jouée sans accent. C'était terrifiant.
"Marcel Pagnol, c'est une sacrée carte de visite"
Depuis que vous êtes réalisateur, vous êtes également toujours devant la caméra, ici dans le rôle de César, père de Marius. C'est une obligation ? Une nécessité ?
Je crois que je ne sais pas faire autrement. Dans un premier temps, je me suis dit qu'en étant aussi devant, je pourrais combler les manques. Comme acteur, il m'est arrivé de travailler avec des nazes et de sauver leur film ! Et puis, je fais également les films pour le rôle en lui-même, je suis acteur avant tout. Finalement, être au milieu me permet de régler tous les problèmes, je suis au plus près des acteurs et je sais qu'ils aiment ce soutien. Après, je ne vous cache pas que je rêve de faire un film sans être devant, mais ce sera encore autre chose, une autre étape de ma carrière. J'ai remarqué que depuis que je suis réalisateur, l'ego s'est complètement racorni, rabougri. Il n'y en a presque plus. Lorsque l'on est acteur, on passe sa vie à prendre, lorsque l'on est réalisateur, on donne, tout le temps. Là je donne et je prends.
Est-ce facile de revenir ensuite à une simple position d'acteur, libéré de la pression de la responsabilité du film ?
J'ai cru, comme beaucoup d'autres avant moi, que ce serait le cas. Mais en réalité non car je me mets dans le même état de stress. Jouer c'est un engagement. Je considère, comme Michael Haneke et d'autres, que la réussite d'un film est extrêmement liée aux acteurs, même si le metteur en scène apporte. C'est un vrai travail d'équipe.
Revenons à Pagnol. Ses ?uvres sont connues dans le monde entier. Peut-on affirmer que c'est grâce à lui que vous êtes vous-même connu et reconnu internationalement ?
Pagnol est effectivement étudié dans d'autres pays, bien plus que chez nous en France. La Fille du puisatier a eu un prix du public au festival du film français de Los Angeles en 2012. Et je sens qu'un certain public attend avec gourmandise cette trilogie. Lorsque Jean de Florette est sorti en Angleterre, il est resté un an à l'affiche, il est sorti aux États-Unis et dans des dizaines d'autre pays. Je suis invité très souvent un peu partout dans le monde et quand je rencontre des Américains célèbres et que l'on me présente, on leur dit ?C'est Daniel Auteuil.? Ils disent poliment ?Ah oui, il est acteur?. Et puis ensuite on leur précise que je jouais dans Jean de Florette et là ils disent vraiment ?Ah oui !?. Marcel Pagnol, c'est une sacrée carte de visite. C'est un auteur qui fait plaisir aux Français et à tout le monde. Il est rigoureux, il n'a pas peur de nous faire mal par des situations cruelles et douloureuses. Il est dans la tragédie, mais il comme il est bien élevé, il nous fait ensuite rire. Et lorsque l'on pleure, ce sont des larmes d'humanité, pour se réconcilier avec les autres.
N'auriez-vous pas pu profiter de ce rôle de Jean de Florette pour vous expatrier un peu partout dans le cinéma ?
Oui, j'aurais pu. Mais je n'ai pas réalisé ce qui m'arrivait. J'avais ma vie en France, j'étais super bien. Ce n'est pas grave. En revanche cela a beaucoup aidé à vendre à l'étranger les films dans lesquels je jouais.
"Je vis avec fierté de ne pas être que un acteur franco-français.
J'aime l'idée de faire des films qui s'adresse au monde entier"
Avec cette reconnaissance internationale, n'avez-vous pas pensé à résider durablement hors de France ?
J'ai fait des films en Angleterre, en Italie, et ailleurs, mais je me sens acteur, pas rock star ! Je vis ça avec fierté de ne pas être que franco-français. J'aime l'idée des films qui s'adressent au plus grand nombre, au monde entier. Mais c'est vrai que lorsque j'ai tourné de The Lost Son de Chris Menges à la fin des années 90, j'ai eu envie de rester en Angleterre. J'ai commencé à avoir des propositions qui venaient d'un peu partout, des Etats-Unis notamment. Mais, sans ce que cela soit un sacrifice, j'avais tellement de films forts à faire en France, j'ai croisé tellement d'immenses metteurs en scène que je n'ai pas de regrets. Après, j'ai eu des propositions du réalisateur mexicain Alfonso Cuarón Orozco qui a fait Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban en 2004, mais le film ne s'est pas monté. Peut-être que si l'on me proposait de revenir en arrière, je tenterais davantage l'aventure car mes expériences anglaises et italiennes ont été conformes à la façon dont j'envisageais ma vie de nomade. Je conçois les voyages dans le travail.
Vous fêterez en 2014 vos 40 ans de carrière d'acteur. Vous avez beaucoup joué dans des comédies au début, puis beaucoup moins après. Pour quelles raisons ?
Je me suis laissé porter par les propositions. Je suis un jeune homme, alerte, je gambade bien, je suis très heureux de faire ces comédies. Jusqu'au jour où j'ai envie d'un peu plus de densité dans ma vie. J'essaie par les polars, des séries B. Cela se passe mal, donc je ne suis plus nulle part. Jusqu'au moment où arrive Jean de Florette. Là, c'est une reconnaissance capitale. J'ai désormais le choix, mais je le fais toujours avec une forme d'impulsivité plutôt qu'avec une réflexion posée. Mais tout cela est si vieux, il s'est passé tellement d'autres choses. J'ai le sentiment d'avoir eu dix vies.
Parlons un peu du cinéma français et de la polémique sur les salaires. Quel est votre sentiment sur cette ?affaire d'Etat? ?
Il y a d'abord eu une espèce de curée sur ces salaires, quelque chose d'assez démagogique qui ne correspondait à rien. Et laissait finalement apparaître un problème plus grave : il n'y a plus d'argent nulle part, ou on ne voulait plus en donner. Cela eut donc été indécent de prendre beaucoup d'argent quand aujourd'hui il n'y en a pas pour faire des films. Avant, il y avait beaucoup d'argent pour tout, je ne voyais pas tellement le problème. Aujourd'hui, il faut faire avec moins. Le principal est donc de trouver comment faire. Marius et Fanny se sont faits sans chaine de télévision. Chaque film a coûté 6 millions d'euros, ce qui n'est rien dans le cinéma, et se sont tournés en six semaines. Ce n'est pas grand chose par rapport à la richesse que l'on peut voir sur l'écran ! (rires) Mais dans cette histoire, nous sommes dans un état de fragilité permanente. J'ai ressenti quelque chose de trop démago, comme si l'argent que l'on touchait avait été enlevé aux autres, ce qui est faux. Il faut juste s'adapter, relativiser. Et puis, de toutes façons, heureusement que ce qui est pris est pris car on ne l'aura plus !
Est-il vrai que vous avez refusé le rôle que tient François Cluzet dans Intouchables ?
Tout à fait. J'allais attaquer la post production de La fille du puisatier. Laisser le soin à quelqu'un d'autre de le faire aurait été trop dur.
Vous devez tout de même avoir quelques regrets, non ?
Il faut se poser la question différemment : ?Qu'ai-je perdu ?? Un peu de pognon, voilà tout. Cela ne m'aurait pas fait connaître davantage. Et puis rassurez-vous, j'ai aussi refusé Bienvenue chez les Ch'tis, et Astérix. Donc quelque 60 millions de spectateurs au total !
Jérémy Patrelle (www.lepetitjournal.com) mercredi 10 juillet 2013
Marius
Un film de Daniel Auteuil, avec Raphaël Personnaz, Daniel Auteuil, Jean-Pierre Darroussin, Victoire Belezy, Marie-Anne Chazel, Nicolas Vaude, Daniel Russo, Rufus, Jean-Louis Barcelona et Martine Diotalevi?
En salles le 10 juillet
Fanny
Un film de Daniel Auteuil, avec Daniel Auteuil, Victoire Belezy, Jean-Pierre Darroussin, Raphaël Personnaz, Marie-Anne Chazel, Nicolas Vaude, Daniel Russo, Ariane Ascaride, Jean-Louis Barcelona, Georges Neri et Martine Diotalevi?
En salles le 10 juillet