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ANTONIN BAUDRY - "Dominique de Villepin a éclaté de rire dès la première ligne"

Écrit par Lepetitjournal.com International
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 11 décembre 2013

Antonin Baudry, ancienne plume de Dominique de Villepin lorsque ce dernier était ministre des Affaires étrangères, a raconté sous le pseudonyme d'Abel Lanzac les coulisses agitées du ministère dans la BD Quai d'Orsay, dont l'adaptation vient de sortir au cinéma. Entrevue avec le désormais conseiller culturel de l'ambassade de France à New York

Né à Paris il y a 38 ans, Antonin Baudry est devenu en 2002 conseiller de Dominique de Villepin, chargé des discours, au ministère des Affaires étrangères après avoir fait l'École polytechnique et l'École normale supérieure. C'est cette expérience au ministère auprès de celui qui deviendra ensuite Premier ministre qu'Antonin Baudry a raconté avec humour dans la BD Quai d'Orsay, Chroniques diplomatiques dessinée par Christophe Blain, ouvrage qui a rencontré un beau succès public et dont le deuxième tome a été récompensé par le Prix du meilleur album de l'année au festival d'Angoulême 2013. L'adaptation au cinéma de cette BD, réalisée par Bertrand Tavernier et co-écrit par Antonin Baudry et Christophe Blain, a déjà été vue par plus d'un demi-million de Français depuis sa sortie en novembre. Nommé ensuite conseiller culturel à l'ambassade de France à Madrid, Antonin Baudry occupe désormais la même fonction à l'ambassade de France à New York depuis 2010.     

Lepetitjournal.com : Comment vous est venue l'idée de faire une BD plutôt que faire un livre classique ?
Antonin Baudry : D'abord, c'est parce que j'ai toujours été passionné de bande dessinée et que c'est un peu devenu une sorte de seconde nature pour moi que de voir les situations de la vie réelle à travers des bandes dessinées. C'est à dire que souvent, quand j'ai en face de moi des personnes, je les vois comme des personnages avec des super pouvoirs. Particulièrement quand j'étais au Quai d'Orsay, j'avais l'impression que chacun avait une sorte de pouvoir magique différent. En plus, je trouve que les événements qui s'y sont passés quand j'y étais sont des événements très visuels. Pour certaines choses, cela aurait mis trop longtemps d'expliquer avec des mots alors qu'avec une seule image, on les comprend de suite.

Il y a beaucoup de références à Tintin, X-Or, San Ku Kaï, Star Wars dans Quai d'Orsay. La BD, les dessins animés, la science fiction, c'est votre univers ?
C'est un de mes univers. J'ai baigné là-dedans quand j'étais petit. Ce n'est pas mon seul univers évidemment, je vis par ailleurs beaucoup dans les livres. L'univers de la littérature, je l'ai rendu un peu présent dans Quai d'Orsay par Héraclite et Démocrite (ndlr : philosophes grecs souvent cités par Dominique de Villepin dans la BD) mais la superposition de la littérature et de la bande dessinée n'est pas simple.


De quelle façon avez-vous travaillé avec Christophe Blain ? Etait-ce un échange permanent entre vous ?

Ce n'était pas du tout quelque chose que j'ai écrit d'un côté et puis que lui a travaillé de l'autre en dessinant les planches. Nous avions fait le storyboard ensemble. Nous étions enfermés dans une pièce et on a mis en scène tous les deux. Je racontais, je mimais, je me déplaçais, lui dessinait, corrigeait, rigolait. C'était un processus fusionnel.

Le personnage principal de la BD navigue entre le désespoir de toujours avoir à tout recommencer et en même temps l'euphorie de l'importance de sa fonction. Ce sont les deux états par lesquels vous passiez en permanence au ministère ?

Pour être honnête, il n'y avait pas vraiment d'euphorie. C'était plutôt de la tension tout le temps. Nous n'avions pas vraiment le temps d'être euphorique. Dès que nous finissions quelque chose, nous passions à une autre. Mais c'était en même temps très joyeux car nous formions une équipe marrante. C'était comme si nous étions sur un petit bateau tous ensemble matin, midi, soir, nuit et c'était très chouette. Les gens avec qui j'ai partagé cette expérience ce sont des personnes que j'aime très fort, et c'est pour ça aussi que j'avais envie de les faire vivre.

Comment ont réagi ces personnes à la sortie de la BD ?
Il n'y a vraiment qu'un ou deux personnages de la BD qui sont totalement inspirés d'une seule personne vivante, c'est le cas du ministre par exemple. Pour le reste, nous avons créé des personnages de fiction en nous inspirant de plusieurs personnages réels, en faisant des mélanges. Cela aurait été impossible de faire quelque chose d'exactement identique car en réalité nous étions une vingtaine. Chacun avait sa spécificité, son importance et nous ne pouvions pas mettre vingt personnages principaux dans la bande dessinée. Le ministre avait évidemment été prévenu que je travaillais sur cette BD. J'ai tout de même travaillé cinq ans avec lui donc je n'allais pas faire ça sans l'avertir. D'ailleurs, quand je lui ai montré le storyboard, il a éclaté de rire dès la première ligne. C'est quelqu'un qui a beaucoup d'humour.

Au début du 1er tome, il y a un remerciement pour Agnès Jaoui ? Quel rôle a-t-elle eu dans cette aventure ?
Tout d'abord, c'est une amie très proche qui m'est très chère. Elle m'a toujours encouragé à écrire, et à faire ce que j'avais envie de faire et notamment cette bande dessinée. Elle a relu avec moi le storyboard plusieurs fois, elle m'a fait des tas de remarques très utiles pour l'améliorer. Elle a été très présente, très gentille, très aimante et très utile dans ses avis.   



L'intégrale des deux tomes vient de sortir dans une édition collector en même temps que le film. Est-ce que cela veut dire qu'il n y aura pas d autres tomes de Quai d'Orsay ?

Non, ça ne veut rien dire de spécial. Nous avons toujours voulu raconter cette histoire avec Christophe et donc nous l'avons racontée. Est-ce que plus tard, nous nous remettrons à raconter une autre histoire dans cet univers ou dans un autre univers ? Nous verrons, mais en tout cas avec Quai d'Orsay nous avons fait ce que nous voulions faire. Le cycle prévu, c'était deux albums dès le début. Dès la première page, nous savions que nous partions sur deux albums car nous avions trop de matière pour un seul.

Qu'avez-vous ressenti lors de votre récompense à Angoulême, vous qui êtes un fan de BD mais qui ne faisiez pas partie de la "grande famille de la bande dessinée" avant Quai d'Orsay ?
J'étais très ému. Quand j'étais petit, j'adorais suivre le Festival d'Angoulême avec mon père, c'était un moment très important pour nous. Recevoir le prix sur la scène du Festival m'a procuré vraiment  beaucoup d'émotions.

Quel a été votre rôle dans l'adaptation au cinéma ?

J'ai co-écrit le film avec Bertrand Tavernier et Christophe Blain. Nous avons rajouté beaucoup de scènes, il y a des dialogues de la BD qui sont repris à certains moments mais il y a très souvent des transformations. L'effet de fidélité par rapport à la BD relève d'un gros travail de réécriture. Nous ne nous sommes jamais laissés enfermer dans la bande dessinée. Nous l'avons prise comme un matériau, jamais comme une contrainte. Nous avons inventé des tas de choses, rehaussé des personnages, mis en place des scènes différentes.  Sur le choix des acteurs aussi, Bertrand Tavernier nous a beaucoup consultés. Tout cela s'est fait dans une très grande harmonie, une ambiance très joyeuse et très drôle en plus.

Votre fonction actuelle de conseiller culturel à l'étranger vous satisfait-elle plus que votre fonction au ministère des Affaires étrangères ?
Je ne peux pas comparer, les deux sont des expériences géniales. J'ai toujours été très heureux, je suis le plus heureux des hommes. J'ai beaucoup de chance parce que j'ai l'occasion d'exercer des missions qui me passionnent réellement et qui sont en plus très variées. A chaque fois, je découvre un nouvel univers très intéressant.

Vous étiez auparavant à Madrid, aujourd'hui vous êtes à New York. Promeut-on la culture française de la même façon quand on est en Espagne ou aux Etats-Unis ?
C'est vraiment différent. La première grande différence, c'est qu'ici je m'occupe beaucoup des questions universitaires, c'est à dire tout ce qui est partenariat entre universités françaises et américaines. C'est quelque chose d'absolument majeur et stratégique, c'est même ma priorité ici car les universités américaines sont d'un tel niveau et d'une telle importance que c'est vraiment l'endroit où il faut être.
La deuxième différence c'est que je passe beaucoup de temps à lever des fonds alors que c'était moins le cas en Espagne. Ici, on lève des fonds très importants pour compléter les moyens qui nous sont fournis par la fonction publique et ainsi décupler l'action que l'on entreprend. Chaque euro d'argent public est multiplié par dix grâce à des fonds privés. Je passe beaucoup de temps à lever de l'argent pour des programmes que mes équipes font ensuite tourner.

Cette partie de recherche de financement n'est-elle pas un petit peu moins jouissive ?
Au contraire c'est quelque chose de très enthousiasmant, car cela nous donne une capacité d'action qui est fantastique. Dès que nous avons une idée, si par exemple nous voulons monter tel programme universitaire ou un programme de traduction de tel type d'ouvrages, et que nous trouvons les deux-trois bonnes personnes qui ont des ressources là-dessus, qui connaissent des gens qui peuvent nous aider, trente minutes après nous sommes en train de créer quelque chose de nouveau. En plus, il y a une très grande francophilie aux Etats-Unis que j'ai découverte. Je la soupçonnais, mais là je la découvre et je la vis au quotidien, partout. Ce n'est pas seulement la Côte Est, c'est aussi vrai au Texas, dans tout le Midwest, la Côte Ouest. Les Français ne s'en rendent pas toujours compte mais les gens ici aiment la France, beaucoup sont même amoureux de la France.
Paul Garibaldi (www.lepetitjournal.com) mercredi 11 décembre 2013

logofbinter
Publié le 10 décembre 2013, mis à jour le 11 décembre 2013
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