Professeur de français, guide touristique, experte en histoire, artiste? Difficile de faire rentrer Chantal de Campos dans une case. Du haut de ses 69 ans, cette femme ultra dynamique, au caractère bien trempé, ne s'y laisserait de toute façon pas enfermer ! Une chose est néanmoins sûre, avec sa fondation « Les ateliers de Chantal », celle qui a posé ses valises en République dominicaine dès 1974 a donné un avenir professionnel à des centaines d'hommes et de femmes dominicains qui étaient promis à la misère. Portrait d'une Française expatriée au parcours atypique et généreux.
« Je suis Nantaise comme Jules Vernes et Cambronne ! Et d'origine portugaise par mon grand-père paternel » déclare fièrement Chantal de Campos quand on lui demande d'où elle vient. Née en 1946, au lendemain de la libération, elle grandit en effet à Nantes, élevée par son père. « J'ai perdu ma mère quand j'avais 10 ans. J'en ai probablement tiré mon tempérament de battante et mon côté émotif » analyse-t-elle. Après des études d'infirmière dans sa ville natale, elle arrive à Paris à la fin des années 1960. Elle décroche son diplôme, mais cherche encore sa voie et travaille à l'hôpital Américain de Neuilly tout en suivant des cours de psychologie. Elle y soigne notamment Coco Chanel, alors en fin de vie. C'est à cette période que commence alors son destin dominicain avec la rencontre d'un étudiant en cardiologie, originaire de Saint-Domingue. Ils se marient et, fin 1974, ils partent s'installer en République dominicaine. Chantal a alors 28 ans.
Les années 80 et l'explosion du tourisme
La carrière de guide touristique de Chantal de Campos démarre un peu par hasard. Elle est professeur à l'Alliance française de Saint-Domingue quand Robert Hersant, patron d'un groupe de presse, organise un voyage sur l'île avec des industriels français et peine à trouver un guide francophone. Chantal ne connaît pas grand chose à l'histoire dominicaine mais elle ne manque pas de culot et elle relève le défi : « J'ai totalement improvisé et j'ai raconté un peu n'importe quoi mais je les ai fait rire, alors c'est passé ! Je me suis bien rattrapée par la suite, j'ai pris des cours et suis devenue une guide certifiée ». Nous sommes alors au début des années 80 et c'est l'essor du tourisme en République dominicaine. Chantal devient guide pour les touristes québécois qui affluent en masse vers les hôtels tout inclus. Parallèlement, elle continue à enseigner le français et devient le professeur particulier du grand historien dominicain, Franck Moya-Pons (Manuales de historia dominicana (1992), La República Dominicana: Una Historia Nacional (1998)) qui complète ses connaissances historiques. « J'étais passionnée. Pour moi, Saint-Domingue était pour les Amériques l'équivalent d'Athènes pour l'Europe mais personne ne le présentait comme ça à l'époque », raconte celle qui est désormais une guide reconnue.
Les ateliers de Chantal?
Elle commence par enseigner le français et l'histoire dans sa maison de Boca Chica à quelques enfants et adolescents. Son objectif : leur permettre de trouver un métier dans le tourisme et les sortir d'un destin parfois tout tracé vers la prostitution et la drogue. Un de ses premiers étudiants, Roberto, a appris avec Chantal au pied d'un arbre. Elle se souvient : « C'était un adolescent très beau du barrio de Soco et j'ai senti qu'il serait une proie facile pour les touristes. J'ai vu naître le phénomène des sanki-panki dans les hôtels, et je ne voulais pas qu'il le devienne. » Mission réussie pour Chantal. Aujourd'hui, Roberto est guide officiel pour la Cueva de las Maravillas, un site touristique proche de La Romana, réputé pour ses peintures taïnos.
A la demande des femmes du village, elle monte un atelier de couture dans sa maison mais celle-ci s'avère vite trop petite et surtout, Chantal de Campos a plus d'ambition pour ses protégées. « Je voulais que les femmes obtiennent un diplôme à l'issue de leur formation, alors j'ai été frapper à la porte d'INFOTEP, l'institut national de formation.» Pour envoyer un professeur certifié, nécessaire à la remise d'un diplôme, l'organisme officiel exige la construction d'un local dédié à la formation. Cela représente un investissement de plus de 2 millions de pesos qu'elle finance avec ses fonds personnels. Elle reçoit aussi l'aide de l'Ambassade de France pour le mobilier et les machines à coudre. Quelques années plus tard, elle peut annoncer fièrement avoir permis à 50 femmes d'être sorties diplômées en couture des Ateliers de Chantal.
Progressivement, elle développe des ateliers dans d'autres disciplines et met en place un système de transmission du savoir afin que ceux qui ont été aidés, aident à leur tour leur communauté. Ainsi, par exemple, elle ne donne de machines à coudre qu'aux femmes qui forment à leur tour d'autres femmes et prête un local aux anciens étudiants pour qu'ils reviennent donner des cours d'anglais. Au cours de ces années, la réussite de ses anciens élèves continue de la conforter même si, revers de la médaille, elle est aussi touchée directement par la dure réalité du pays : sa maison de Guyacanes, contenant effets personnels et matériel de la fondation, a été cambriolée 8 fois au total.
"Dans ma manière de vivre et de travailler, je reste une vraie Française ! »
Aujourd'hui, Chantal, l'hyperactive, continue de mener de front ses multiples activités. Elle donne toujours des cours de français à l'aide de la méthode pédagogique qu'elle a développé au fil du temps : enseigner le français et l'histoire par le théâtre. Quand elle trouve un peu de temps, elle poursuit également son métier de guide et fait découvrir Saint-Domingue à des visiteurs d'un jour, anonymes ou célèbres, comme Lionel Jospin ou Erik Orsenna.
Et bien sûr, elle continue de se battre au quotidien pour les « Ateliers de Chantal ». Même si son engagement est reconnu, trouver des financements externes pour la fondation dans laquelle elle a mis toutes ses économies personnelles reste difficile. Avec l'arrivée d'Anne Rousseau, ancienne cadre d'Air France, venue l'épauler sur la gestion administrative, elle espère donner un nouveau souffle à la fondation. Ensemble, elles structurent un réseau d'adhérents qui peuvent soutenir financièrement l'association ou encore donner de leur temps bénévolement pour animer des ateliers ponctuels ou récurrents. Dernièrement, l'un d'entre eux a proposé des cours de « protocole et étiquette » dans le batey de Soco. Un sujet qui peut paraître un peu décalé mais qui obtient un grand succès auprès des jeunes filles rêvant d'un avenir meilleur !
Cours de français au Soco
Chantal de Campos a passé plus de la moitié de sa vie en République dominicaine et y est profondément attachée mais quand on lui demande si elle se sent plus dominicaine ou française, elle affirme sans hésiter : « Dans ma vision des choses et dans ma manière de vivre et de travailler, je reste une vraie Française ! »
Gaëlle Le Gall Nicolas (www.lepetitjournal.com/republique-dominicaine), mercredi 4 novembre 2015
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