Avec une audience d'environ 55 millions de téléspectateurs et présente dans 196 pays, la chaîne francophone TV5MONDE est l'une des chaînes les plus regardées par Français de l'étranger. Le journaliste Yves Bigot, son directeur général depuis deux ans, revient sur l'actualité de la chaîne et ses défis.
photo TV5MONDE
lepetitjournal.com :Comment avez-vous traité les attentats de janvier en France ?
Yves Bigot : On a beaucoup relayé le direct de France 2 et aussi nos propres éditions et nos propres journalistes. On a interrogé les chefs d'Etats, les artistes d'Afrique, du Moyen-Orient, du Maghreb, ou même la rue. La spécificité de TV5 c'est de donner la parole à tout le monde. On n'est pas que francophone. On sait qu'on est regardé par les terroristes, on est diffusé en Irak en Syrie. Il faut nourrir le débat : chercher à comprendre les sensibilités, les critiques plus en marges de la sensibilité française. Nous avons interrogé Tariq Ramadan, par exemple, qui n'a pas été invité sur les chaînes françaises, parce que nous savons que nous sommes regardés en Afrique et au Moyen-Orient.
Justement, le fait d'être regardé en Afrique et au Moyen-Orient a-t-il influencé votre ligne éditoriale ?
Il ne faut pas que cela influence notre ligne éditoriale, nous devons continuer à travailler de manière libre et indépendante. Bien sûr nous ne donnerons pas la parole aux terroristes mais nous représentons l'ensemble de la francophonie. Il faut donner la parole aux nuances. C'est quand on ne se parle pas que l'on ne se comprend pas. On est au cœur de ce que nous sommes en diffusant les différents regards du monde sur ces événements.
Quel bilan dressez-vous après deux ans à la tête de TV5MONDE ?
J'ai passé deux ans à clarifier la ligne éditoriale pour qu'on arrête de se demander en France quelle est la différence entre TV5 MONDE et France 24. Il fallait trouver notre place. Nous sommes un diffuseur culturel multilatéral. On est généraliste. On fait la promotion des créateurs des artistes de toute la francophonie. On est LE rendez-vous francophone. Ce qui nous rend unique et que nous sommes les seuls à faire, ce sont les regards croisés que nous offrons sur le monde. Notre ADN c'est de diffuser ces regards croisés.
Quel regard apportez-vous sur l'information en tant que chaîne francophone ?
Nous faisons maintenant de l'info aussi avec « 64minutes : le monde en français » qui est le JT francophone, parce que pour être cultivé il faut être informé. Notre grille de lecture, c'est ce qui se passe dans l'actualité francophone. Pour nous, tout à coup, la finale de football en Côte d'Ivoire va avoir plus d'importance que ce qui se passe en Ukraine. On couvre une actualité que personne ne couvre. Qui d'autre va aller parler du sommet acadien dans le Maine aux Etats-Unis ? Nous revendiquons une culture artistique et des regards croisés francophones.
Quelle est votre audience ?
C'est toujours très difficile à évaluer. On sait avec certitude que nous avons 34 millions de téléspectateurs dans 24 pays différents. Avec les 196 pays que nous couvrons, nous pouvons toucher un nombre de foyers total 250 millions de foyers, et nous estimons approximativement 55 millions de téléspectateurs réguliers en tout.
Quels sont vos projets pour 2015 ?
Les priorités ce sont les transformations numériques, le progrès sur le développement d'applications. Nous menons aussi une réflexion sur le développement de chaînes thématiques comme nous l'avons fait avec la chaîne pour enfants Tivi5 aux Etats-Unis. Il y a aussi le passage à la HD qui nous importe beaucoup.
Quelles sont les avancées de votre déploiement international ?
La couverture de l'Inde nous ajoute 40 millions de foyers. L'inde est passée n°1 devant l'Allemagne. Nous avons un fort potentiel de croissance en Chine que l'on voudrait exploiter. On a aussi des possibilités d'extension dans le golfe persique.
Comptez-vous sortir de nouvelles langues de sous-titrage ?
Le sous titrage c'est un des plus gros budgets. Cela coûte très cher notamment dès que c'est dans un alphabet différent mais le sous-titrage en mandarin classique et simplifié serait notre prochain objectif. On a augmenté le volume de programmes dans les langues déjà existantes, on en a douze. On voudrait aussi ajouter le turc. L'anglais c'est la facilité, surtout pour l'Inde.
De quel budget disposez-vous cette année ?
Je n'espère rien, je me réjouis que les cinq États à l'origine de la création de la chaîne continuent de soutenir le projet. On dispose de 109 millions d'euros avec une augmentation de 0.53% cette année donc on est stable et c'est une marque de confiance dans l'audiovisuel public. On est très heureux d'être passé sur la redevance publique cette année. Ça donne plus de confiance et de pérennité.
Quelles sont vos relations avec France 24 ?
Les deux entreprises, autrefois conflictuelles, sont complémentaires. Nous travaillons dans la meilleure intelligence possible, même si on est toujours en concurrence.
Est-ce que la prise de fonction de Michaelle Jean, la nouvelle secrétaire générale de la Francophonie après Abdou Diouf va changer quelque chose pour TV5 MONDE, quels projets de collaboration avez-vous ?
Cela ne va pas changer radicalement les choses pour nous. On la soutiendra et on travaillera avec elle. Si nous avions des relations privilégiées avec Abdou Diouf, là où il apportait un regard politique peut être pourrait-elle apporter une meilleure compréhension du média francophone, puisqu'elle a été journaliste pour Radio Canada.
Quelle attention portez-vous aux Français de l'étranger ?
J'en ai été un moi-même, à San Francisco, Londres et Bruxelles : je sais ce que c'est que d'être expatrié. Les Français de l'étranger sont notre premier public bien que ce ne soit pas les plus nombreux. Nous représentons pour eux presque le cordon ombilical avec la mère patrie. On connaît leurs exigences et leurs frustrations. Malheureusement nous n'avons pas toujours les droits pour diffuser leurs programmes préférés. En plus, l'offre change selon l'endroit où ils se trouvent. Dès qu'il se passe quelque chose d'important dans l'actualité française, nous le diffusons pour eux, même si cela implique une grande perte d'audience pour les francophones non français. Ils sont les premiers téléspectateurs -les plus exigeants- au centre de nos préoccupations.
Propos recueillis par Mathilde Berger-Perrin - www.lepetitjournal.com - lundi 2 mars 2015