On connaît les pérégrinations de Paul de Tarse dans le monde méditerranéen ou encore l'épopée légendaire de l'apôtre Thomas jusqu'en Inde. Moins connue est la vie de Mansur al-Hallaj, mystique persan du soufisme*, qui s'installa longtemps en terre non-musulmane pour répandre sa religion et son amour de Dieu.
Cette grande figure mystique, nommée aussi Hallaj « le cardeur de coton », en raison de la profession de son père, a donné lieu à une biographie augmentée d'une compilation de poèmes traduits par l'islamologue Stéphane Ruspoli dans son ouvrage Le message de Hallâj l'Expatrié. Retour sur le parcours d'un homme qui par sa foi et ses voyages devint un éternel avant-gardiste en islam, crucifié en raison de sa foi passionnelle.
(Steve Evans, Sufis performing a ritual in Khartoum)
Un missionnaire aux confins du monde musulman
Mansur al-Hallaj naît en 857 dans la province perse d'Ahwâz, en Perse (actuel Iran). Issu d'une famille Zoroastre, c'est son père, converti, qui lui inculque l'islam le premier. Enfant, il se tourne très vite vers la spiritualité et apprend le Coran. Des l'âge de 16 ans, Al Hallaj s'engage comme serviteur dans une confrérie soufie et devient le disciple du maître Sahl al-Tustarî. Attiré par le rayonnement religieux et culturel de Bagdad, il va y chercher l'enseignement du maître soufi al-Junayd. A l'âge de 20 ans, il reçoit la robe de laine, le sûf, et devient donc soufi.
Il effectue son premier pèlerinage à la Mecque et commence à prêcher auprès des foules. Dans la ville sainte des musulmans, il passe un an à jeûner et méditer en silence dans la cour de la mosquée sacrée, Masdij al-Haram, dans laquelle se trouve la Kaaba. Au retour de son premier pèlerinage, le mystique abandonne les habits de religieux pour s'extirper des dogmes qui contraignaient son discours. Hallaj adopte un langage populaire et encourage ceux qui l'écoutent à trouver Dieu dans leurs propres âmes.
Il prend ensuite la route pour l'est de l'Iran, dans la région du Khurâsân, où il prêche pendant cinq ans. De retour avec sa famille à Bagdad, il décide d'organiser un deuxième pèlerinage à la Mecque, il est cette fois suivi par des centaines de disciples. Son succès attire l'ire de dignitaires. S'en suit un long périple qui l'emmène au delà des frontières du monde islamique : dans la vallée de l'Indus, au Turkestan (actuelle Turquie), et selon certains dires jusqu'en Chine. C'est ainsi le premier missionnaire musulman à s'aventurer jusque chez les Hindous pour tenter de les convertir.
Il retourne alors pour la troisième et dernière fois à la Mecque, vêtu comme un Hindou. Tandis que certains lui prêtent des pouvoirs miraculeux de thaumaturgie, d'autres l'accusent d'avoir appris la sorcellerie en Inde. Son pouvoir d'attraction sur les foules est très craint à Bagdad, ses détracteurs l'accusent d'hérésie et c'est sur dénonciation d'un autre poète, autrefois son ami, que Al-Hallaj est arrêté.
Son procès commence alors, il est tout autant politique que religieux puisqu'il est accusé de crime d'hérésie (zandaqa, une terme d'origine persane, qui désigne aussi le crime de celui qui conspire contre l'Etat). Après avoir échappé une première fois au procès grâce au soutien de ses partisans, il est condamné à mort. Le 27 mars 922, il est crucifié, démembré et décapité. Sa dépouille est brûlée et les cendres jetées dans le Tigre avec ses ?uvres. Ainsi meurt celui qui fût, pour de nombreux islamologues, le premier martyr de l'islam.
Un mystique soufi pas comme les autres
Son rayonnement dans les confréries soufi est grand malgré sa condamnation pour hérésie, il impose la notion de dévoilement pour penser Dieu comme une lumière qu'il s'agirait de faire percer. Il contribue de plus à l'institutionnalisation du soufisme, bien qu'il faille attendre le 11ème et le 12ème siècle et Ibn Arabi pour que le soufisme s'impose comme la science religieuse musulmane par excellence.De sa pensée mystique, on retiendra sa conception des rites et pratiques religieuses placés au second plan, qui lui vaudra la haine des dignitaires musulmans davantage attachés aux prescriptions juridiques du Coran qu'à son contenu spirituel. Pour beaucoup, c'est en raison de sa célèbre phrase « Je suis la Verité », véritable blasphème quand on sait que « la vérité » est l'un des 99 noms d'Allah en islam, qu'il fût condamné. Une deuxième lecture, plus mystique, permet de comprendre le sens de cette phrase. Hallaj n'a pas confondu la créature et la Créateur mais a voulu dire qu'il se noyait dans l'absolu divin.
Grâce à ses partisans, ses ?uvres nous sont parvenues, comme le Diwan, véritable recueil poétique, ou son traité théologique sur Satan. C'est ainsi qu' al-Hallaj est l'un des Soufis les plus célèbres, connu en Occident grâce aux travaux pionniers de Louis Massignon, qui lui consacra sa carrière et sa thèse La passion de Husayn Ibn Mansûr al-Hallâj. Bien que contestée, l'interprétation de Louis Massignon est intéressante. Il conçoit Hallaj comme une figure christique de par son crucifixion et son amour de Dieu. Si cette comparaison appartient à Massignon, il est certain que les ?uvres de Al-Hallaj rappellent celle des mystiques chrétiens comme Maître Eckhart ou Thérèse d'Avila.
Robin Marteau (www.lepetitjournal.com) vendredi 30 septembre 2016
*Le soufisme est une approche mystique de la religion musulmane dont l'objectif est une meilleure connaissance de Dieu. Mansur Al Hallaj est l'une des premières figures soufies de l'histoire de ce mouvement spirituel méconnu.
Le message de Hallâj l'Expatrié ? Recueil du Dîwan, Hymnes et prières, Sentences prophétiques et philosophiques, Paris, Cerf, (coll. Patrimoines-Islam), 2005.