

C'est bien connu, la France est le pays de la liberté, de la fraternité et de l'égalité. Mais les difficultés des Français issus des "minorités visibles" pour trouver un emploi, malgré leurs diplômes, les poussent parfois à tenter leur chance ailleurs. La discrimination serait-elle moins tangible dans d'autres pays que la France ?
"Jamais je n'aurais réussi à faire la même chose en France !" Ce leitmotiv revient souvent chez les expatriés. C'est d'autant plus vrai pour les Français issus de l'immigration. Si la devise "Liberté ?Egalité- fraternité" s'affiche fièrement aux frontons de nos mairies, la réalité est toute autre. En France, les portes restent souvent fermées aux jeunes actifs issus de ce que l'on appelle pudiquement "les minorités visibles", malgré leurs diplômes et leurs compétences. Nombre d'entre eux font alors le choix de l'expatriation.
La question de la discrimination à l'embauche concerne plus de 13% des 10.000 réclamations que recevait chaque année la Halde* (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité). Selon une enquête de l'Institut national d'études démographiques (Ined)**, les descendants d'immigrés ont un risque accru de connaître le chômage, mais aussi d'occuper des emplois moins qualifiés et moins rémunérés que le reste de la population. Ce constat va de pair avec un fort sentiment de discrimination à l'embauche, du fait de la couleur de peau ou de l'origine. Par exemple, selon cette étude, 27% des hommes dont les parents sont nés au Maroc et en Tunisie ont ressenti de la discrimination au cours des 5 dernières années, et 24% des hommes dont les parents sont nés en Afrique subsaharienne.
photo Corbis
La discrimination positive
En France, les mesures de discrimination positive (CV anonyme ou ouverture de places dans les grandes écoles pour des élèves issus de Zones d'Education prioritaire) ne semblent pas changer pas grand-chose. Et même lorsque l'on trouve un emploi, le malaise persiste. Florence, Française d'origine béninoise, témoigne : "J'ai toujours senti un mal-être, une sorte de rejet de la communauté française du fait de ma couleur de peau. Ce mal-être est difficile à expliquer, car la discrimination en France est cachée, souvent inconsciente et lancinante. Seule directrice noire du centre culturel du 17eme arrondissement de Paris, j'ai quand même eu le droit lors des v?ux de l'année 2008 à un discours où la maire se vantait d'être à la mode ou d'avoir son "Barack Obama" du 17eme arrondissement, en parlant de mon poste. On m'a souvent pris pour une animatrice de mon centre lorsque je me présentais aux réunions, et la question "de quelle origine êtes-vous?" avant les présentations me mettait mal à l'aise et me faisait mal au plus profond de moi-même".
Confrontés à cela, combien sont-ils ces Français dont les ancêtres ne sont pas des Gaulois, à tenter leur chance à l'étranger ? Difficile de le dire, car les statistiques sur l'origine ethnique n'existent pas, et sont même anticonstitutionnelles. Mais beaucoup ont tenté avec succès l'aventure de l'expatriation, préférant s'envoler vers la Grande-Bretagne, le Canada ou encore Dubaï plutôt que de galérer dans l'Hexagone.
L'eldorado britannique
En 2007, dans son livre intitulé De la Cité à la City, Hamid Senni raconte comment on lui suggérait de changer de prénom pour trouver un emploi. Issu d'une famille de huit enfants, ce fils d'ouvrier marocain s'est expatrié en Suède, puis en Angleterre. Un vrai déclic ! embauché chez BP puis chez Philip Morris, il a créé sa société : "Aujourd'hui, je m'appelle toujours Hamid Senni. Mon entreprise de conseil (Vision Enabler) a son siège à la City de Londres. Et ma double culture m'a rendu plus fort".
Une success story qui en inspire beaucoup d'autres : Richard, d'origine africaine, a fait des études d'économie. Pour finaliser son DESS en Finance, il a postulé dans des organismes financiers et obtenu des entretiens téléphoniques. "Pour deux de ces entreprises, tout a changé quand ils m'ont demandé de leur envoyer mon CV incluant ma photo. Ce qui a immédiatement entraîné pour l'une d'entre elle, l'annulation de mon entretien la veille pour le lendemain". Après pas mal de petits boulots, il part à Londres. "Depuis mon arrivée en Angleterre, j'ai eu des entretiens avec les plus grands organismes bancaires. Même si je n'ai pas été sélectionné, on m'a donné la chance de défendre ma candidature ! Cela prouve une fois de plus qu'ici l'on regarde les compétences et privilégie l'expérience terrain. En effet les employeurs anglo-saxons aiment les gens opérationnels qu'ils peuvent former ensuite. Les diplômes servent plutôt pour la suite de la carrière".
Sandy, installée à Liverpool, ne tarit pas non plus d'éloges sur la Grande-Bretagne : "Les gens sont en général plus amicaux et plus tolérants. On ne m'a jamais privé d'un emploi ici parce que j'étais noire. On voit vraiment que c'est un pays multiculturel : la télé reflète la population. Dans toutes les entreprises où j'ai été, il y avait des gens de toutes les origines aussi bien dans des fonctions d'encadrement que d'exécution. Le système anglais est très flexible. Il y a plein d'organismes, gouvernementaux ou non, qui aident les demandeurs d'emploi dans leurs recherches (rédaction de CV, techniques d'entretiens, feedback/compte-rendu etc...) Leurs services sont généralement gratuits".
Il faut dire que l'Etat britannique s'est doté d'un outil efficace pour lutter contre toutes les formes de discrimination : la Commission for Racial Equality a été créée en 1976, et dispose de moyens conséquents. Un volontarisme bien loin des timides avancées constatées en France.
La Grande-Bretagne n'est pas la seule destination possible, bien sûr. Laurence, 29 ans, avait toujours rêvé de monter une entreprise. Pour elle, un séjour à New York en 2007 a été décisif. "Aux Etats-Unis, j'ai rencontré des jeunes qui avaient le goût d'entreprendre. J'ai réalisé ce que j'étais capable d'accomplir. Cela m'a donné l'énergie de me lancer à mon tour". Dans les pays du Golfe, une attention particulière est portée aux Français d'origine maghrébine, arabophones, pour des raisons culturelles et religieuses évidentes. Beaucoup de jeunes d'origine africaine tentent aussi leur chance sur le continent noir.
Si chaque cas d'expatriation réussie sonne comme une revanche, tout n'est pas rose pour autant à l'étranger. La bonne santé économique d'un pays pèse souvent sur la qualité de l'accueil qui y est réservé. La réussite de ces Français à Londres par exemple, est sans doute due aussi à la forte croissance qui y régnait avant la crise financière.
Une identité française enfin reconnue
La vie à l'étranger permet parfois d'étranges paradoxes. Au lieu d'avoir sans cesse à se justifier sur leurs origines, ces expatriés voient leur identité française pleinement reconnue. C'est ce que confirme Florence, installée à Pretoria en Afrique du Sud depuis 4 ans. "Quelle est ma joie lorsque je parle anglais et que mon interlocuteur me coupe en disant : "mais vous êtes française? On l'entend grâce à votre accent et vos manières!" Grâce à l'expatriation, je suis en paix avec moi même, parce que tous les jours je peux parler de mon pays que j'aime sans avoir à justifier de mes origines ou autres. Je me sens française hors de mon pays". Hamid Senni déclare également se sentir français quand il est à Londres, mais immigré lorsqu'il est en France...
Partir, la solution ?
Hamid Senni a une conviction : "Nos cités regorgent de talents qui sont une chance pour notre pays. Une société qui ne tire pas profit de sa diversité avance à reculons." "Le monde est immense ! estime Sandy. Si la France continue à être lente à reconnaître ses minorités, elle court à sa propre perte. Si je devais donner un conseil aux minorités visibles françaises, je leur dirai : Vous valez mieux que ce qu'on vous fait croire de ce fait, au lieu de vous battre en vain pour ce qui devrait être un acquis, autant partir vous installer dans un pays où vous serez respecté justement parce que vous avez des origines étrangères !"
MPP (www.lepetitjournal.com) lundi 23 mai 2011
*La Halde est dissoute depuis le 1er mai 2011 et ses missions sont transférées au Défenseur des droits.
** réalisée entre septembre 2008 et février 2009 sur un échantillon de 21 000 personnes immigrées et descendantes d'immigrées.
En savoir plus : BBC news : Escaping France's ghettoes
De notre édition de Londres : Regards croisés - La France, un pays qui discrimine ?

