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CREATION ET ESPACE PUBLIC - L’art de résister

Écrit par Lepetitjournal Le Caire
Publié le 6 avril 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

 

La révolution a vu descendre dans la rue les revendications libertaires du peuple égyptien : l'humour, mais aussi l'imagination et la poésie ont toujours été au rendez?vous, on a pu le constater en lisant les pancartes qu'arboraient les manifestants, "invitant" l'ex?président à se retirer

Des bulles de créativité ont éclos dans l'espace urbain et réinventent petit à petit le rapport à la ville ainsi que le lien social : par le biais d'actions individuelles ou collectives, spontanées ou organisées, se réapproprier "son" espace public est désormais une réalité tangible.
"Transformer le monde, changer la vie" : tel était le credo des Surréalistes au début du XXe siècle. Les pratiques artistiques ont bien souvent accompagné les mouvements d'émancipation, expérimentant de nouvelles manières d'être et de faire, afin de mieux questionner le présent.
Au Caire, il y a un "avant" et "un après" révolution pour l'expression artistique aussi : alors que le regroupement dans l'espace public était interdit depuis des années pour des raisons "de sécurité", la ville est aujourd'hui une scène, un laboratoire où les "artivistes*" fleurissent. Leur but ? Créer du dialogue.

Kazeboon
Si les messages contestataires (Photos: H.B) ou esthétiques n'ont pas attendu la révolution pour s'afficher sur les murs des villes égyptiennes et interpeller le passant, la pratique de l'art du graffiti s'est, elle, largement transformée et répandue depuis un an. Outil de la lutte de "terrain" pour la liberté d'expression, le graffiti est devenu "le" medium par lequel la révolution s'est matérialisée graphiquement. Ceci en particulier via le réseau "Graffiti the streets of Egypt" : incitant les citoyens à "investir les rues et peindre (leur) pays. Pensez, innovez, résistez et peignez", le collectif a mis en ligne quantité de pochoirs à imprimer ainsi que les instructions permettant de les utiliser. Un véritable "kit" du grapheur ! Le graffiti les plus répandus ? Le mot "Kazeboon" ("menteurs") en référence au pouvoir militaire en place. Outre le fait d'avoir rendu la pratique plus accessible et constitué une véritable bibliothèque iconographique, le mouvement a touché d'autres grapheurs et artistes de par le monde, qui ont tagué à leur tour les revendications égyptiennes dans les rues d'Allemagne, de Grande Bretagne ou de Pologne. Un formidable rayonnement pour un art si éphémère : les créations tendent à être rapidement effacées de l'espace qu'elles occupent?

Place aux arts
Là où le graffiti pose un geste - à priori - plus individuel et spontané, El Fan Fel Midan ("L'art sur la place"), propose au Caire et ailleurs, depuis un an, une réappropriation collective de l'espace au travers d'un rendez-vous mensuel à dimension festive. Derrière ce projet, des activistes réunis au lendemain de la révolution, défendant eux aussi la liberté d'expression par la création artistique. Chaque premier samedi du mois la Place Abdine est investie par des comédiens, musiciens, peintres, caricaturistes, marionnettistes? Une scène avec une programmation solide et diversifiée, mais aussi une série de happenings inopinés occupent la place pour la journée. Il n'y a encore que quelques mois, une autorisation pour organiser ce genre d'événement n'aurait jamais été délivrée. Habitués et passants curieux peuplent le lieu : l'ambiance, chaleureuse et informelle, se prête au dialogue, à la rencontre.
Par exemple, lors de la dernière édition, le "Project for the Oppressed Egyptian Theatre" a présenté des scénettes sur le thème de la banalisation de la violence où les comédiens agissaient selon les réactions et les interventions du public. Ici, c'est l'émancipation par la joie, la recherche de nouvelles manières de s'engager, de participer.



La rue est à nous !
Créé dans l'esprit "post-révolutionnaire" qui anime l'Egypte aujourd'hui, l'initiative Shaware3na ("Nos rues") quant à elle, entend amener l'art dans la rue, car "la créativité encourage les gens à réinventer leur quartier, leur ville, leur monde". Un des aspects du projet, "Art of Transit" voit le métro du Caire assailli par un clown : le comédien au nez rouge établit le contact avec les usagers. Ici également, la communication par le biais de la créativité et de la poésie vise à susciter une réaction, une prise de conscience. Le clown reprend sa fonction de doux agitateur, conférant du désordre au monde pour mieux en exprimer ses travers.

Graffiti the streets of Egypt, El Fan Midan, Shaware3ana : autant de modes opératoires envisageant l'espace urbain comme une source d'inspiration inépuisable. Lorsque l'art investit la rue, il fait entendre les revendications de manière ludique et "ouvre" l'espace pour mieux échanger? avec humour et imagination.

*L'auteur Jérôme Guillet définit le terme comme tel : « Activiste + artiste = artiviste. Derrière ce terme, popularisé à l'occasion des contre-sommets du G8, on trouve des plasticiens, des graphistes, des comédiens proposant des réalisations, allant du détournement (monuments, publicités) jusqu'à des happenings ou des expositions. Il s'agit essentiellement de permettre la prise de conscience de certaines réalités politiques ou sociales par le biais d'oeuvres artistiques. » « Des nouvelles formes d'interventions dans l'espace public », Territoires n°470, Artistes, militants, habitants... Les nouveaux débatteurs de rue, septembre 2006

Hélène Baquet (www.lepetitjournal.com/le-caire.html) vendredi 6 avril 2012

 

El Fan Fel Midan, chaque premier samedi du mois à partir de 14h, place Abdine, Cairo Downtown

La page de Graffiti the streets of Egypt

Shaware3na (Nos rues)

Publié le 6 avril 2012, mis à jour le 5 janvier 2018

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