Les zama zama, des mineurs clandestins, font régulièrement parler d’eux dans les quotidiens locaux. Il y a trois semaines, un fait sordide dans “l’informal settlement” de Cloverdene à Benoni, à l’ouest de Johannesburg, a fait la une. Sept corps de morts par balles pourrissant au soleil ont été retrouvés dans un terrain vague et identifiés comme des zama zama faisant craindre la reprise d’une guerre entre différents groupes rivaux. Bénédicte Champenois Rousseau, notre sociologue lost in Joburg, se penche sur la condition de ces mineurs souvent oubliés : Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils si nombreux ? Quel rôle jouent-t-ils dans le secteur minier en Afrique du Sud ?
Quelques jours après cet incident, les craintes ont été ravivées par les meurtres de quatre femmes apparentées aux victimes alors qu’elles préparaient leurs funérailles. Depuis 2015 la police d’Ekhuruleni aurait dénombré plus de quarante meurtres liés à la guerre des zama zama sans avoir la moindre piste quant aux responsables des tueries. Il faut dire que le manque d’efficacité de la police sud-africaine confine à la légende, et que redresser les torts faits aux zama zama, comme des habitants des townships en général est probablement le cadet de ses soucis.
Les zama zama (“essaye, essaye” en zoulou) font partie des recalés de l’histoire, des invisibles victimes des abandons progressifs des anciens sites miniers. Ils sont, comme l’a formulé joliment une journaliste de Business Day, au fin-fond de la chaîne alimentaire de l’activité minière illégale. Ils sont en grande majorité étrangers, venant des pays avoisinants: Mozambique, Zimbabwe, Malawi, Lesotho, Swaziland pour travailler. Ils se sont trouvés coincés quand les mines ont fermé. Ils sont une conséquence du désinvestissement continu dans l’activité minière et révèlent une partie sombre de la vie de ce pays, une réalité clandestine dont on ne prend conscience périodiquement qu’avec les entrefilets dans les journaux.
On trouve des zama zama partout où il y a des mines désaffectées ou des gisements non exploités. Autour des gisements de chrome dans le Limpopo, dans des anciennes mines de charbon du Mpumalanga, et bien sûr tout autour des restes de ce fameux filon d’or découvert en 1886 sur le plateau du East Rand qui allait accueillir l’incroyable développement de Johannesburg. La géographie de la ville, pour peu qu’on s’y intéresse où même si l’on en déploie simplement un plan de papier révèle une quantité impressionnante de poches de terrain non construit et clôturé, ce sont les anciens puits de mine rendus théoriquement inaccessibles lors de la fin de leur exploitation industrielle, mais auxquels les zama zama trouvent toujours un moyen d’accéder. Lorsque la presse ne fait pas état de la guerre des gangs de zama zama, elle rapporte des opérations de sauvetage dans les boyaux des mines, par les bénévoles du MRS (Mines Rescue Service)…
Les témoignages des zama zama que l’on peut lire montrent que le choix de leur activité est un choix par défaut. Avec un taux de chômage officiel avoisinant les 40% en Afrique du Sud, il ne faut pas faire le/la difficile pour pouvoir gagner sa pitance quotidienne. Descendre dans les entrailles de la terre et essayer d’en arracher quelques éclats d’or paraît une alternative convenable. Il faut bien sûr du cran, pour circuler/ramper et travailler dans des conditions rudimentaires, dans ces boyaux mal entretenus, parfois inondés, où rendus difficiles par les éboulements, (plus de 16 000 kms de galeries sous la Witwatersrand Belt selon Greg Mills), avec les risques d’effondrement que cela comporte. Il faut aussi payer la “sécurité”/protection, des gangs qui se disputent férocement les accès aux galeries et prélèvent leur dîme sur les mineurs clandestins, soit en quantité de sable à tamiser, soit en espèces sonnantes et trébuchantes. Avec près de dix fois moins de zama zama que de mineurs employés officiellement dans les mines d’or en activité (15 000 contre 120 000), on dénombre deux fois plus de morts pour l’exploitation illégale des anciennes mines. On meurt tôt quand on est zama zama…
Les revenus ne sont pas non plus mirobolants, même si la valeur pour 2015 des 8 tonnes d’or extrait par les clandestins au total est estimée à 400 millions de dollars, les zama zama ne sont payés que la moitié du cours de l’or au gramme par des intermédiaires qui le cèderont à des revendeurs possédant une licence.
L’importance du nombre des zama zama vient de la désindustrialisation et du désinvestissement dans le secteur minier depuis la chute de l’apartheid. L’Afrique du Sud représentait 40% de la production mondiale d’or à la fin des années 80, elle n’en était plus qu’à 5% en 2016, le nombre de mineurs ayant été quasiment divisé par deux.
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* L’image utilisée en illustration de ce billet est une réinterprétation personnelle d’une peinture de Sam Nhlengetwa, artiste sud-africain.
A propos de Bénédicte Champenois Rousseau
Installée en Afrique du Sud depuis octobre 2015, Bénédicte est sociologue et a enseigné la sociologie en France notamment à Sciences Po Paris tout en effectuant des missions de recherche pour des organismes de recherché publics ou des organisations non gouvernementales. Ses sujets de prédilection: la santé publique, l'éducation et le "women empowerment". Elle a créé à Johannesburg le réseau professionnel de femmes francophones Work In The City JHB et met en oeuvre son goût pour l'écriture sur son blog Ngisafunda et le blog d'Enko Education.