RECIT D’OUTRE TOMBE D’UN DICTATEUR - Rafaël Leonidas Trujillo Molina
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Le Vendredi 9 juin 1961, le capitaine d'armée Zacarias de la Cruz sur son lit d'hôpital disait qu'il avait entendu le feu d'une mitrailleuse derrière lui. La fenêtre arrière de ma voiture a été brisée, les balles m'avaient blessé. Nous avions trois mitrailleuses dans la voiture à tout moment, mais je n'ai pas pu utiliser aucune d'entre elles parce que j'étais trop mal en point. Dès que le capitaine eut arrêté la voiture, je sautai dehors, tirant à l'aide de mon revolver. Le sang giclait de partout. Il y avait sept hommes avec des mitrailleuses et des pistolets empilés hors de l'autre voiture. Il y eut un éclat de tir, et je tombai sur le macadam, le visage tourné vers le sol.
Au cours de la 31e année de mon ère, moi le docteur Rafaël Leonidas Trujillo Molina général âgé de 69 ans, le bienfaiteur de la patrie, reconstructeur de l'indépendance financière de la République, le père de la nouvelle patrie, le protecteur en chef de la classe ouvrière dominicaine, le génie de la paix, je m'en suis allé, mon corps, grotesquement défiguré par 27 blessures par balle. Je fus bourré dans le coffre arrière de la voiture du Général Tomas Diaz, qui sera bientôt abandonnée.
J'étais sur le point d'aller à une réunion de minuit, une visite romanesque à une de mes nombreuses maîtresses, cella-la s'appelait Moni Sanchez. Pour elle, j'avais fait construire une ferme (finca) à San Cristóbal, à 20 kilomètres de Ciudad Trujillo.
Personne n'a jamais pensé ou parlé des conséquences de ma mort. Au lieu de servir de signal à la révolution, mon assassinat a été suivi d'un silence étourdi parmi mes 2.900.000 sujets (actuellement 10 millions d'habitants). Le Général Diaz, mon assassin, aurait pu espérer que, sans moi, mon régime s'émietterait. Mais son motif principal était apparemment la vengeance, pas la révolution. Favori d'Hector, mon frère, il était tombé dans le déshonneur quand certains de ses parents furent impliqués l'année précédente dans un complot contre moi. Diaz joignit un groupe de trois civils et quatre autres de mes anciens tigres qui étaient prêts à se retourner contre moi.
Ils n'avaient aucun plan, mais ils ont simplement attendu l'occasion. Prévenus que moi, le bienfaiteur de la patrie, j'étais sur mon chemin pour voir ma dulcinée, ils m'ont rattrapé sur la route de San Cristobal, la ville où tout a commencé pour moi, il y a 69 ans.
Mes panégyristes proclament qu'un de mes ancêtres était un dirigeant d'armée espagnol distingué, et un autre était un marquis français. Mais, je l'avoue maintenant en toute modestie, j'étais réellement l'un des onze enfants d'un simple commis postal en partie nègre appelé José Trujillo Valdez.

Je grandis dans la pauvreté, j'étais un bagarreur dur et méchant dans ma ville productrice de canne à sucre, San Cristóbal. Mais la bonne occasion se présenta pour moi avec l'arrivée des marines Américains qui débarquèrent en 1916. Ils m'employèrent en tant qu'informateur et macro.
Mon idole était un capitaine américain à la gâchette facile appelé Merkel, dont la conception du maintien de l'ordre était de trucider les fauteurs de trouble.
Charles F. Merkel connu comme le « Tigre du Seibo » torturait les prisonniers dominicains en leur entaillant la peau avec un
couteau et en versant du sel et du jus d'orange amer dans les plaies, puis il leur coupait les oreilles.

Il a été finalement arrêté, et se suicida en prison avant qu'il ne puisse être jugé. Il se tira une balle à la tête après une visite de deux officiers de la marine américaine qui lui laissèrent une arme à feu.
Mais je continuai ma trajectoire jusqu'à devenir patron des forces armées dominicaines, position que j'occupai jusqu'à mon accession à la présidence en 1930.
J'eu trois épouses et des maîtresses innombrables. Je possédais douze palais et des ranchs auxquels un plein personnel de domestiques s'y affairait loyalement. Ces derniers préparaient des repas journaliers juste au cas où moi le maître je m'y présenterais à l'impromptu. Dans chaque manoir, je maintenais une pleine garde-robe avec des uniformes complets avec mes couvre-chefs tricornes surmontés de plumes d'oiseaux rares. Le président haïtien Paul Eugène Magloire, mon contemporain, s'en affublait aussi.

Je comprenais bien la puissance de la terreur. Je fis périr des milliers de mes adversaires des cachots de la police secrète SIM, dans de spectaculaires accidents ou d'incroyables suicides. Mon bras vengeur atteignait même les États-Unis en 1956. Je fis enlever et assassiner à l'Université de Columbia le professeur Jésus de Galindez, un critique amer de mon régime et ancien précepteur de mes enfants.
Le pic de la terreur fut atteint pendant une nuit d'octobre 1937, quand je donnai des instructions pour éliminer les squatteurs haïtiens le long de la frontière du nord-ouest. On se rappelle que pendant 36 heures, mon armée très efficace envoya à la boucherie 20, 000 hommes, femmes et enfants.
Oui, j'ai horrifié beaucoup de personnes aux États-Unis et en Amérique latine, mais je ne gouvernais pas seulement par la terreur. Il faut avouer que j'avais un talent naturel pour la gestion autocratique.
Commençant par l'ouragan de 1930 qui détruisit 70% de la capitale, j'imposai une économie rigidement commandée qui a permis de reconstruire la ville en un temps record.
Quand je pris le pouvoir, la république avait $20 millions de dettes impayées, je décrétai des impôts si lourds que la dette fut payée en moins de 17 ans.
Pendant que le trésor commençait à se remplir, je fis construire des écoles et revendiquai même d'avoir élevé le taux d'alphabétisation de 30 à 96%. Des hôpitaux efficaces ont été construits ; de bonnes routes, avec des points de contrôle militaire tous les quelques kilomètres, s'entrecroisaient dans le pays pour faciliter l'acheminement des récoltes de sucre et de café.

D'autres apologistes, ignorant la terreur que je faisais régner, indiquaient que le revenu annuel par habitant de la République Dominicaine s'était brusquement amélioré atteignant $225 environ, moyenne enregistrée pour l'Amérique latine. Mais cette moyenne ne reflétait pas la part disproportionnée de la richesse acquise par ma famille omniprésente qui percevait 10% sur tous les contrats de travaux publics, sans compter les intérêts très lourds que je recevais sur le sucre, les textiles, le bétail, les assurances, et sans mentionner mes monopoles d'huile, de sel, de cigarettes, du bois de charpente, des allumettes, du lait et de l'arachide. A ma mort, ma fortune était évaluée à $800 millions (valeur actuelle $ 6,390, 000,000.00)
L'un de ceux qui récoltaient de ce tourbillon et qui rejoignait ma maison de Paris en louant à chaque fois un avion d'Air France à $28.000, n'était autre que mon fils Ramfis, âgé de 32 ans.

Je le nommai colonel de l'armée à l'âge de trois ans et il devint brigadier général à neuf ans, Ramfis n'avait pas du tout la ténacité et le talent requis pour faire face au chaos qu'il hérita de moi. Je crois avoir déjà dit que sa mère Maria Ricardo Martinez était aussi d'ascendance haïtienne par les Heureaux.
Un autre dominicain faisait souvent parler de lui dans la presse internationale : ce n'était nul autre que Porfirio Rubirosa. Il était un personnage haut en couleur. Il maintint grâce a moi, son poste à l'ambassade de la République Dominicaine à Paris, pendant assez longtemps pour abîmer une flopée de pantalons rayés et le travail lui faisait beaucoup de bien disait ironiquement de lui les journaux européens. En un jour ouvrable, il pouvait soit jouer au polo à Deauville, ou participer aux courses de chevaux à Auteuil. En soirée, à moins qu'il ne soit en train de s'amuser à Cannes ou à Monte Carlo, il préférait se présenter tôt chez Maxim's.

Son travail lui permettait de fréquenter un milieu qui ne correspondait pourtant pas à son salaire de $600 par mois. Mais tout a une fin, je décidai d'un jour à l'autre de le priver de sa fonction.
Selon l'annonce du Département des affaires étrangères que je fis publier : « Les plaintes reçues en liaison avec la conduite personnelle du Señor Porfirio Rubirosa nous ont menés à l'annulation de son poste. » Depuis son divorce de Doris en 1948, Rubi était devenu, selon les dires de son ami Cholly Knickerbocker, chroniqueur du journal Hearst : « Le plus célèbre diplomate étranger de l'année ».
L'héritier du roi du tabac Richard Reynolds jr accusa Rubi d' « indiscrétion » avec Mme Marianne O'Brien Reynolds. Celle-là nia avoir jamais été dans une chambre d'hôtel avec Rubi et obtint un lourd dédommagement de la presse américaine.
Rubi était en amour avec la beauté hongroise Zsa Zsa Gabor ex de Ramfis, quand le mari de celle-ci, Georges Sanders, acteur de cinéma, était en train d'assigner la fameuse actrice pour cruauté mentale.
Est-ce que, homme du monde, j'ai vraiment pris ombrage de la conduite de Rubi ? Je voulais rappeler simplement à Rubi que son bienfaiteur était toujours moi et que j'étais toujours le seul patron.
N'importe quel fonctionnaire sous mon gouvernement pouvait souffrir d'un manque de chance occasionnel et se voir au chômage selon mes caprices, le tour de Rubi était simplement venu.
Pendant un temps, Rubi dut survivre sans le magique passeport diplomatique et dut subir que les fonctionnaires des douanes de New York, de Cherbourg et autres dérangent ses chaussettes et chemises. Ses copains pensaient d'ailleurs qu'il serait bien vite réintégré dans la diplomatie, un travail pour lequel il était si doué. Il était resté le meilleur ami de mon fils, son ex beau frère qui à ma mort devait me remplacer.
A ma mort, sous l'apparence d'ordre, la République connaissait un vide politique énorme. Son économie était au bord de l'effondrement. Pendant que je vieillissais, perdant un peu de mon énergie, je m'étais embarqué dans des projets grandioses mais sans succès.
Je perdis $35 millions dans une foire internationale en 1956, croyant dupliquer celle du président Estimé d'Haïti dans les années quarante. Je perdis ensuite $50 millions en l'espace de deux ans. J'ajoutai à mes ennuis croissants en fomentant le complot idiot et abortif d'assassiner le Président vénézuélien Rómulo Betancourt à Caracas. Comme conséquence, je fus banni par toutes les autres nations de l'hémisphère.

De plus en plus, mes nerfs ne tenaient plus, dans mes accès de fureur incessants et sans bornes, je giflai même mon Président Joaquin Balaguer. Je m'évertuais à distribuer des coups de pied dans l'aine aux fonctionnaires du palais.
Mais j'avais toujours mon instinct de survie. Conscient du fait qu'une menace de révolution interne s'étendait dans la bourgeoisie instruite, je maintins la pression en la faisant arrêter et harceler pour empêcher une organisation de l'opposition. Je pris même l'église catholique dans mon étau, et la conduisit tout droit à une opposition ouverte.
Comme les pressions des États-Unis et des nations latino-américaines durcissaient contre moi de plus en plus, je commençai une cour provocante envers Moscou. Je laissai des gauchistes monter une station de radio et un journal, envoyai des émissaires derrière le rideau de fer, entamai des pourparlers pour un pacte de non-agression avec Fidel Castro. Je promis de laisser un parti politique pro Fidel s'organiser et envoyai des hommes à lui à travers le pays faire des discours gauchisants.
Quand mon fils Ramfis prit le pouvoir, il avait la certitude que de toutes les factions d'opposition dans le pays, les communistes et les Castristes étaient les mieux organisées pour combler le vide du pouvoir laissé par ma mort.
Après des années d'autocratie, la République Dominicaine était un pays zombifié. Des milliers de Dominicains, bon nombre d'entre eux pleurant de façon hystérique, essayèrent de bloquer la crypte minuscule de l'église de San Cristóbal, où mon cercueil était étendu. Ramfis les mit dehors, puis, avec des yeux de feu, jura sur ma tombe de tuer chacun des membres de l'opposition.

Dans un sens, ma mort avait dégagé l'air. Beaucoup de nations latino-américaines étaient peu disposées à se porter contre Castro, à condition que ma dictature fût condamnée par les États-Unis. Mais dans cette situation chaotique, il y avait danger d'un massacre institué par mes héritiers, ou encore le danger d'une révolte dans laquelle Castro pourrait émerger triomphalement. Washington persuada donc les membres de l'Organisation des États américains (OEA) de la possibilité d'une action commune pour maintenir l'ordre à l'intérieur du pays et obtinrent le consentement ferme des principales nations membres.
Pendant que la menace de représailles de mon fils se développait, les États-Unis le mirent en demeure de finir avec l'ère de la terreur. L'attaché de presse du département d'État rapporta que la répression était utilisée à Ciudad Trujillo contre quiconque était soupçonné d'être non fidèle au régime. Ainsi, cela ouvrit la voie aux forces américaines, déjà regroupées dans la Caraïbe, d'intervenir à nouveau dans mon pays pour protéger la vie et les biens des citoyens américains. Toujours cette même histoire!
Jeudi 2 mai 2016
Lepetitjournal.com/haiti
