MARCHE : Briser la chaîne de corruption comme celles de l’esclavage
« Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice »
A l’initiative du Collectif du 4 décembre et de l’organisation Revey Sitwayen, une grande marche contre la corruption a été organisée le 5 décembre dernier. Le mot d’ordre : dire NON à la corruption, NON à l’impunité et OUI à la dignité. Pour les organisateurs, la société haïtienne doit s’affranchir du fléau de la corruption et se délivrer de cette forme moderne de rabaissement et de ravalement. Interview avec Jean Robert Argant, Coordonnateur Général autour de cet appel citoyen avant la marche.
« La corruption est pour nous aujourd’hui ce qu’étaient les boulets de canon attachés aux chevilles de nos ancêtres esclaves. La corruption est l’équivalent aujourd’hui des chaînes qui reliaient nos ancêtres-esclaves par le cou », déclare Jean Robert Argant. Et de fait, la corruption en Haïti est devenue un fléau dévastateur et omniprésent. Tous les secteurs d’activité sont touchés : le secteur des affaires, le commerce, la santé, l’éducation, la diplomatie et la politique. Dans le classement 2016 de Transparency International sur l’indice de perception de la corruption dans le monde, Haïti figure parmi les pays les plus corrompus au monde et occupe la 159ème place sur 176 pays. [1]
Ce qu’il y a de plus troublant dans la société haïtienne est que la corruption est considérée comme un état normal des choses, confirmant la pensée d’Émile de Girardin, en l’occurrence que « le mal le plus grave que fait la corruption, au point où elle en est venue, ce n’est pas de tirer injustement des derniers rangs de la foule, pour les placer aux premiers rangs de la société, les moins capables et les moins dignes, au préjudice des plus dignes et des plus capables ; ce n’est pas d’attirer la lie du fond du vase à la surface ; ce n’est pas même d’affaiblir le gouvernement et de le déconsidérer : non. Le mal le plus grave que fait la corruption, c’est d’égarer l’esprit public en détournant son attention des hautes questions et des grands intérêts, pour l’arrêter sur des misères et des turpitudes [2] ». C’est exactement ce que prétendent faire les ex-Premiers ministres et ministres, indexés dans le rapport d’enquête sur les fonds Petrocaribe, en défilant tour à tour dans les médias et en clamant leur innocence, à la barbe des citoyen(ne)s. Ils évoquent toutes sortes d’excuses, du complot à la vendetta, en passant par le coup monté. Ils accusent, s’indignent à grands coups de gueule, détournent et manipulent l’opinion publique au lieu de saisir la justice pour laver leur honneur. Ils veulent que le rapport du sénateur Beauplan aille à la poubelle et, comme l’a judicieusement noté le réalisateur Richard Sénécal sur Twitter, « le fait même qu’on veuille dénigrer et enterrer ce rapport est pour moi la plus belle preuve de sa validité ».
Le rapport d’enquête sur l’utilisation des fonds PetroCaribe est le dernier scandale en date qui illustre parfaitement ce qu’est la corruption soit l’utilisation abusive d’un pouvoir reçu par délégation à des fins privées comme l’enrichissement personnel ou d’un tiers. Ce rapport sera-t-il la goutte qui fera déborder le vase et poussera la majorité à enfin sortir de son silence ? Pour Jean Robert Argant, Coordonnateur du Collectif 4 décembre, « la majorité en a RAS-LE-BOL et est au bord du découragement, voire de la résignation. Nous nous évertuons à lui faire comprendre qu’elle continuera de faire les frais des abus et du vol par certains groupes ou individus, tout autant qu’elle ne tapera du poing pour dire NON AUX DILAPIDATEURS. Nous utilisons tous les moyens à notre disposition pour expliquer que la corruption est la pièce maitresse du mal qui ronge nos entrailles et que cette corruption alimente la violence qui finira par gagner du terrain, dans la mesure où les gangs de jeunes répondront aux appels tordus et au recrutement des corrupteurs ». Pour lui, « ce n’est qu’en luttant contre la corruption et contre l’impunité que les ressources récupérées seront mises au service du pays en contribuant effectivement à créer du travail, à garantir au plus grand nombre l’accès à l’éducation, au logement, aux soins de santé, à l’eau potable, à l’électricité, aux loisirs »
Une marche pacifique et historique
Pour cette marche du 5 décembre contre la corruption et l’impunité, le Collectif 4 décembre s’est allié à Revèy Sitwayen, une organisation de la société civile qui regroupe des citoyens concernés par le devenir de notre pays. Mais, plusieurs autres groupes se sont déjà joints à cette initiative : le Centre Œcuménique des droits humains (CEDH), la Fédération Protestante d’Haïti (FPH) ; le secteur vodouisant, le clergé catholique, S.O.S Spoliation, l’Union nationale des normaliens haïtiens (UNOH), le Front contre la Corruption, l’Association Haïtienne de Droit de l’Environnement (AHDEN), Jeunesse Montante, la Fondation Eric Jean Baptiste, le Mouvement 144, Croisade et MOVID. D’autre part, « les groupes qui se positionnent comme de l’opposition ont favorablement accueilli notre démarche et n’ont pas hésité à nous rejoindre, en respectant notre demande de ne pas transformer notre marche pacifique citoyenne en pugilat politique », précise Jean Robert Argant.
Pour les organisateurs, le nouveau patron et bourreau d’Haïti est le corrupteur et son complice, l’impunité. Aussi, « nous déclarons la guerre à la corruption, plus précisément le système de corruption institué en modus operandi en Haïti. Tout notre combat ira vers l’anéantissement de ce système », revendique le Coordonnateur du Collectif 4 décembre. « Notre pays ne pourra jamais évoluer si nous continuons à entretenir ce mal dans les différentes sphères de l’administration publique. Les autres pays du monde entier, même les plus stables, œuvrent au démantèlement de la corruption. Il nous faut nous affranchir de ce fléau ».
Selon le Coordonnateur du Collectif 4 décembre, les réactions immédiates des citoyen(ne)s et leur spontanéité à appuyer cette marche citoyenne pacifique démontrent que les Haïtien(ne)s ont pris conscience de l’ampleur des dégâts causés par la corruption installée en système et sont déterminé(e)s à participer en grand nombre à cette manifestation de rejet de l’abject : la corruption.
« Nous invitons tous les citoyen(ne)s qui comprennent qu’ils sont victimes de cette gangrène à nous rejoindre pour dire NON à la corruption, NON à l’impunité et OUI à la dignité », a réitéré monsieur Argant. « Nous invitons les universitaires, nos futurs dirigeants à venir remplir nos rangs, Cette invitation s’étend aussi aux organisations professionnelles, aux associations de femmes, aux associations syndicales, pour faire cause commune, nous rejoindre pour exprimer ce refus profond de la corruption chez nous. Nous invitons toute la population haïtienne à se mobiliser à participer à la lutte vers un renouveau, vers la dignité.
Jean-Robert Argand
Enfin, tous les groupes organisés et tous les citoyens qui se sentent interpellés par la corruption sont appelés à nous rejoindre dans cette lutte », a-t-il lancé.
Le Collectif et ses alliés vont mettre en place un comité de suivi lequel, à son tour, prendra les mesures nécessaires pour mettre sur pied une instance qui s’érigera en partie civile dans le procès PetroCaribe que Jean Robert Argant appelle de tous ses vœux : « le jugement devra faire suite aux enquêtes et les inculpations devront être soutenues par des dossiers bien ficelés. L’État se devra d’agir. Il est indispensable que justice soit rendue et que les responsables répondent de leurs forfaits afin d’éviter aux innocents de payer des dettes engendrées par des responsables en fonction alors que les innocents citoyens « bon-enfants » n’auront bénéficié que du leurre qui leur a été présenté », a-t-il conclu.
Rappelons que plus d’une quinzaine de personnalités - dont deux anciens premiers ministres, Jean Max Bellerive (novembre 2009 - mai 2011) et Laurent Salvador Lamothe (mai 2012 - décembre 2014), ainsi que d’anciens ministres, d’anciens directeurs généraux et des responsables de firmes de constructions, impliqués dans des appels d’offres suspects - sont épinglées dans le rapport d’enquête du sénateur Evalière Beauplan sur les fonds PetroCaribe. Cet accord PetroCaribe, signé par Haïti le 14 mai 2006 avec le gouvernement vénézuélien a permis de financer entre 2011 et 2014, 234 projets pour près de 1,2 milliards de dollars. Enfin, pour la seconde fois, les sénateurs ne se sont pas réunis le jeudi 30 novembre 2017 au Sénat où ils s’étaient donné rendez-vous pour décider de l’avenir du rapport de la commission spéciale qui était chargée d’approfondir le rapport d’enquête de la Commission Éthique et Anticorruption du Sénat relatif à l’utilisation du fonds PetroCaribe.
« Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime ! Il est complice » disait Georges Orwell.
Ce 5 décembre 2017 a constitué un test capital quant à la prise de conscience du peuple haïtien par rapport à ses dirigeants, passés et présents, qui ont accentué sa misère en sapant les institutions démocratiques, en ralentissant le développement économique et en créant des appareils bureaucratiques dont l’unique fonction réside dans la sollicitation de pots-de-vin ou dans des détournements de fonds publics...
Par Nancy Roc
Soumis à
jeudi 7 décembre 2017