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GUERRE D'INDEPENDANCE D'HAITI - La fièvre jaune au 18e siècle

Écrit par Lepetitjournal Haiti
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 10 février 2016

J'ai réalisé l'horreur de la guerre et surtout de la guerre biologique après le rapport d'un chirurgien, le docteur Gilbert,  militaire français. Le témoignage de Sire Laujon et les écrits du  baron de Vastey  me donnèrent aussi la sensation d'être dans la mêlée.

Une fièvre cruelle qui provoquait des ravages affectait les troupes françaises et s'était propagé pour causer de grandes désolations dans la colonie. Le mal avait toutes les caractéristiques de la fièvre jaune, si fatale aux Européens,  nouveaux venus au Nouveau Monde. Pourtant, ce fléau semblait être encore plus catastrophique, jamais cette maladie ne se montra avec une telle violence et d'une manière si terrible. Elle attaqua les gens les plus sains, sans prévenir, et elle inspirait une terreur considérable. Quelques fois la mort venait aussi vite que le tonnerre. Bénis étaient ceux qui échappaient  à un destin aussi horrible. Ordinairement le cours de cette maladie était tellement lent qu'il était difficile de retracer son évolution.

La maladie commençait  dans le cerveau avec une douleur violente accompagnée de fièvre. Le fiévreux était dévoré par une soif ardente et son estomac était déchiré par la douleur due à ses efforts sans fin pour vomir. C'était vraiment la situation la plus angoissante.  Les yeux devenaient entièrement rouges et le visage enflé devenait aussi rougeâtre que les yeux, les oreilles montraient aussi la violence de cette maladie. Parfois, la langue était couverte d'épaisses expectorations et le malade ne pouvait même pas parler. S'il le pouvait, et s'il était éveillé, c'était pour assister à sa propre mort. Quand dans toute sa force, la maladie atteignait le c?ur, les gencives se noircissaient. Dormir était pire que rester éveillé.

Troublé par des convulsions ou par des visions horribles, le patient était submergé par le délire, il ne pouvait avoir aucune paix. La progression de la maladie était évidente quand tout le corps devenait jaunâtre et comme un volcan en feu qui jaunit l'herbe des montagnes. Si un miracle n'arrivait, tous les espoirs étaient perdus. Bientôt le souffle était si fétide qu'il putréfiait l'air. Les lèvres devenaient froides et le visage s'enflammait. Dans les yeux de l'agonisant, il n'y avait que désespoir. Ses seules paroles n'étaient que ses cris qui n'étaient interrompues que par de longs silences. De chaque côté de sa bouche coulaient de larges trainées d'écume teintées de sang noirâtre et impur. Ainsi un liquide putride de couleur  bleu se versait sur son corps jaunâtre. Alors, la mort, combattant la vie de cette façon horrible,  venait le troisième jour. Néanmoins, la période entre le septième et le onzième jour était le moment le plus propice à la mort. Elle dépendait aussi de l'âge, des habitudes et du mode de vie du malade, ce qui rendait plus difficile à la science et à la médecine de trouver une solution.

Cette calamité, au cours de sa croissance, causait des ravages d'abord au Cap-Haïtien, mais attaquait aussi des lieux aussi salubres que Port-au-Prince et encore d'autres villes de la colonie. En d'autres temps le pays avait connu cette maladie, mais jamais dans une telle forme aussi sévère et macabre.

Les remèdes étaient donnés en vain. Des décoctions de quinine, ainsi que d'autres ingrédients, étaient administrés, mais rien ne pouvait vaincre le fléau. Un médicament prescrit par des médecins britanniques faisait souffrir  les patients plus qu'il ne les guérissait. La maladie se moquait de tous les médicaments et de tous les médecins et était hors de portée de la science humaine. Rarement survivaient ceux qui étaient attaqué par elle. La maladie se répandait dans toute la colonie; le nombre de décès s'élevait à quatre cents morts par jour. La science médicale était impuissante et cette peste était plus forte que tous les médicaments. Les médecins mouraient aussi avec leurs patients, sept cents d'entre eux perdirent la vie à cause de leur dévouement, de leur courage et de leur patience.

Les Noirs qui n'ont pas été contaminés étaient sereins. Ils pourraient, s'ils le voulaient, détruire l'expédition française affaiblie, cependant, ils préféraient, par compassion, rester tranquilles. Les femmes, quant à elles, allaient aussi loin que de recevoir les malades dans leurs maisons, essayant de les aider et les réconforter. Ils voyaient leurs ennemis comme des guerriers qui étaient assaillis par un destin inexorable.

Ceux qui survivaient avaient une convalescence longue et difficile. Certains avaient perdu leurs souvenirs à un point qu'ils ne  pouvaient qu'à peine se rappeler du passé, d'autres avaient perdu leur âme : ils étaient tous dans le désespoir. La maladie changea les habitudes de l'armée: la joie du soldat s'était transformée en tristesse. Ils rêvaient tous de rentrer chez eux en France, leurs yeux étaient toujours fixés vers l'océan, vers la route qui les mènerait à leur pays.
Jean-Claude Fanini Lemoine (www.lepetitjournal.com/haiti) vendredi 12 février 2016

lepetitjournal.com haiti
Publié le 11 février 2016, mis à jour le 10 février 2016

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