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HAITI ET L’AFRIQUE - Il nous faut regarder Haïti autrement

Écrit par Lepetitjournal Haiti
Publié le 11 juin 2016, mis à jour le 16 juin 2016

 

Moïse Mougnan

 

Nous africains devons nous sentir solidaire du peuple haïtien dans cette tragique épreuve qu'il traverse. Autant imposée par l'histoire que voulue par la culture. Haïti fait partie de l'Afrique de même que l'Afrique fait partie d'Haïti.

Il faut se rappeler le cri du c?ur du fondateur du pays par rapport à la reforme agraire (l'une des multiples raisons qui lui ont coûté d'ailleurs la vie) pour comprendre cet attachement  d'Haïti à l'Afrique.

 

Les supposés descendants des propriétaires terriens et des opportunistes bien avisés réclamaient (après le départ des colons bien sûr) les meilleures terres pour eux et leur progéniture. Fâché, le premier des haïtiens (selon la formule de l'historien Roger Dorsainvil) Jean Jacques Dessalines, leur lança cette mémorable phrase : Et les pauvres nègres dont les pères sont en Afrique, ils n'auraient donc rien.

 

Annibal Price et J.B White

 

 Dans son ouvrage De la réhabilitation de la race noire par la République d'Haïti, Hannibal Price soulignait "Je suis D'Haïti, la Mecque, la Judée de la race noire, le pays où doit aller en pèlerinage au moins une fois dans sa vie tout homme ayant du sang africain dans les artères". Dans De l'égalité des races humaines, Antènor Firmin affirmait que "la conduite des noirs haïtiens apportait, en effet le plus complet démenti à la théorie qui faisait du Nigritien un être incapable de résister aux hommes de la race blanche".

 

 Nous africains, antillais ou tiers-mondistes, nous ne devrions jamais voir Haïti sous l'angle napoléonien, héritage malsain d'une longue lignée d'aliénation et de corruption historique. Le seul, qu'on nous enseigne et qu'on nous présente jusqu'à présent, passant sous silence les hauts faits inégalés de ce peuple qui n'a jamais courbé l'échine devant la mitraille et la racaille 

C'était l'époque où le gobinisme faisait école et où un certain Gustave Le Bon était la référence. Gobineau avait écrit son torchon Essai sur l'inégalité des races humaines tandis que son compère Le Bon gribouillait son mal être dans son pamphlet raciste sur Les lois psychologiques de l'évolution des peuples.

 

Le romancier Antoine Innocent exprime encore mieux l'Afrique dans Mimola, ou l'histoire d'une cassette : "Nous sommes liés à nos origines par des liens d'autant plus forts que ni le temps, ni la distance, ni le croisement ne sauraient nous affranchir d'une façon absolues". Non seulement l'école indigéniste (1915-1946) qui s'était créée en Haïti baptisait Griot leur publication, référence identitaire aux gardiens de la mémoire africaine, mais l'un des leurs le poète Carl Brouard dans Nostalgie glorifiait l'Afrique dans ses vers d'une admirable beauté : "Tambour quand tu résonnes, mon âme hurle vers l'Afrique".

 

Jacques Roumain (1907-1944), l'auteur du légendaire livre Les Gouverneurs de la rosée (1944) ira plus loin "Afrique, j'ai gardé ta mémoire Afrique. Tu es en moi. Comme l'écharde dans la blessure".

Dans la même lancée le poète Michel Sanon dans son recueil Kout Lanbi s'adresse en créole au continent de ses ancêtres. Dans Powem pour Afrika, il dénonce l'acculturation et l'aliénation ainsi que la mauvaise image qu'on donne de ce continent. 

 

 

 

« Afrik, Manmam Afrik

Afrik,manmam mizik

Ou chita, w'ap koute

Mem w paka mem tande

Gwo kout lang madichon

Pwopagann pongongon

K'ap simaye tou cho

Sou tèt pitit ou yo ».

 

Balthazar Inginac qui fut ministre des affaires étrangères du président Jean Pierre Boyer (1818 1843) déclarait fièrement en recevant des Noirs américains venus se réfugier en Haïti : "L'Afrique doit être l'objet de tous nos v?ux, de tous nos souhaits, de toutes nos espérances. Haïti fille aînée de l'Afrique, considère son histoire et sa civilisation comme la première page de la réhabilitation de sa race".

 

Autant Cheikh Anta Diop (29 décembre 1923-7 février 1986) a prouvé scientifiquement que la civilisation égyptienne est belle et bien africaine (ce que Herodote le mentionnait déjà et que tous le savaient) c'est-à-dire noire, remettant ainsi en cause les mensonges véhiculés par des égyptologues racistes qui la blanchissaient honteusement, autant Jean Price Mars va s'atteler a une tâche monumentale : la reconquête du patrimoine africain d'Haïti. Il a d'ailleurs fondé en 1941un institut d'ethnologie pour mieux comprendre et transmettre ce patrimoine refoulé par une certaine "élite" pénétrée de valeurs fausses comme le disait si bien le poète martiniquais Aimé Césaire (1913-2008).

Nefertiti, reine d'Egypte

 

 

 

 L'haïtien Simon Linstant (qui a pris connaissance des écrits de Diodore de Sicile, de l'Abbé Grégoire ou de Victor Schoelcher) ne disait-il pas comme le père de l'histoire qu'il cite abondamment dans son ouvrage, Essai sur les moyens d'extirper les préjugés des Blancs "C'est un point hors de toute contestation que l'Égypte fut peuplée p ar des nègres ». Ce que dit d'ailleurs le professeur Jean Vercoutter "l'Égypte était africaine dans son écriture, dans sa culture, et dans sa manière de penser". Les anciens ne disaient pas autre chose : Aristote, Héliodore, Strabon, Diogène Laërte, Lucien le Navigateur, Apollodore, Eschyleou encore Achille Tatius etc.?.

 

Jean-Price Mars (1876-1969) qui connaissait bien l'auteur du célèbre Nations Nègres et culture (1954) ainsi que Antériorité des civilisations nègres, mythe ou vérité historique (1967) apprenait à ses compatriotes à redécouvrir l'Afrique, non selon l'optique coloniale toujours teintée de déni et de révisionnisme, mais selon une nouvelle lecture dénuée de toute édulcoration et de toute falsification. Ne dira t-il pas dans une entrevue dans la revue Rond-Point en 1962 :

 

"J'ai été longtemps frappé de l'ignorance dans laquelle étaient plongés le plus grand nombre de nos intellectuels en ces dernières décades sur tout ce qui concernait l'Afrique". C'est à lui que l'Académie française va remettre en 1959 un prix spécial pour sa contribution aux études africaines en France.

 

Il en va de même pour nous africains, antillais ou tiers-mondistes, nous ne devrions jamais voir Haïti sous l'angle napoléonien, héritage malsain d'une longue lignée d'aliénation et de corruption historique. Le seul, qu'on nous enseigne et qu'on nous présente jusqu' à présent, passant sous silence les hauts faits jamais inégalés de ce peuple qui n'a jamais courbé l'échine devant la mitraille et la racaille. 

L'auteur de Ainsi parla l'oncle (1928) ainsi que La vocation de l'élite (1919), savait que ses compatriotes ne connaissait de l'Afrique que ce qu'enseignait l'école coloniale. Il ne pouvait en être autrement.

 

Un jour l'Afrique écrira sa propre histoire disait déjà un certain Patrice Emery Lumumba ( 1925-1961) porté d'ailleurs à l'écran en 2000 par le cinéaste haïtien Raoul Peck. Un autre poète haïtien, Jean Metellus, lui a aussi rendu un vibrant hommage, Lumumba le Grand, dans son recueil Voix nègre, voix rebelle publié en 2000. Le même Metellus disait lors d'une entrevue accordèe à Jean Marie Salien en France en mars 1999 "Mythes des origines? Je pense que mes origines sont en Afrique. C'est pourquoi j'ai tant écrit sur les dieux du vaudou. J'ai surtout écrit sur Ogoun...

 

J'écris maintenant sur Erzulie, Erzulie-Fréda-Dahomey...C'est grâce aux dieux du vaudou que nous avons pu gagner notre indépendance... Je dis toujours que je suis indien géographiquement, c'est-à-dire que ce que Anaconda m'a laissé, c'est la terre, même si je n'ai rien d'indien, comme le racontent certains Caribéens. Moi, je suis africain et j'occupe une terre qui a connu le génocide de toute une race. En ce sens-là, je suis redevable aux indiens, puisque j'ai pris leur succession... Il reste que les Haïtiens sont surtout d'origine africaine et que les mythes vaudous les rattachent à l'Afrique. C'est indéniable. La cérémonie du Bois Caïman qui a inauguré la lutte pour l'indépendance d'Haïti était une cérémonie vaudoue, donc une cérémonie où les combattants renouaient leurs liens de sang au nom de leur origine africaine."

 

Véritable pionnier du mouvement de La Négritude, on doit donc à celui que ses compatriotes appellent respectueusement l'oncle, la réhabilitation non seulement de l'Afrique mais de la culture populaire haïtienne.

L'oncle a vécu en Afrique comme tant d'autres de ses compatriotes, et principalement au Sénégal comme Roger Dorsainvil et Félix Morisseau Leroy. Les écrits de ce dernier qui a vécu aussi au Ghana ont été traduits en Wolof, langue parlée au Sénégal et en Gambie, en fanti et en twi langues parlées au Ghana et en Cote d'Ivoire.

L'oncle a influencé toute une génération de leaders et d'intellectuels africains et antillais. Il a présidé en 1956 la Conférence sur la culture africaine à Dakar (Sénégal) et aussi à Rome (Italie) en 1959. Il fut le premier président de la Société africaine de culture créée par le sénégalais et fondateur de la célèbre Maison d'Édition Présence Africaine, Alioune Diop.

 

Ce que Spartacus vaincu (en 71 avant J.C) par Marcus Licinius Crassus, n'a pu réaliser Jean-Jacques Dessalines a pu le faire. Première république bâtit par des esclaves, Haïti s'est toujours fait un devoir de défendre et de soutenir tous les laissé-pour-compte et particulièrement nous les africains et les antillais.

 

Nous avions connus (et nous connaissons encore) des enseignants, des médecins ou des ingénieurs haïtiens venir aider des pays africains nouvellement...Indépendants ou pour mieux dire indépendantisés. Haïti au moins a arraché de sang et de sueur son indépendance dans l'honneur et la dignité.

L'auteur congolais Camille Kuyu ,qui a voulu rendre hommage à tout ces pionniers haïtiens qui se sont sacrifiés pour aider le jeune État congolais à se bâtir ,a écrit en 2006 d'ailleurs un excellent ouvrage sur la présence haïtienne en Afrique, et particulièrement au Congo : Les Haïtiens au Congo. L'Afrique, André Breton l'avait retrouvé en Haïti. Il avait fait cette mémorable déclaration "Il me parait évident que le destin de ce pays est inséparable de ses croyances et de ses idéaux séculaires, dès l'instant ou ceux-ci se montrent encore si vivaces. Ce qui lui a donné la force de supporter d'abord,puis de secouer tous les jougs,ce qui a été l'âme de sa résistance,c'est le patrimoine africain qu'il a réussi à transplanter ici et a faire fructifier malgré ses chaînes". Cela fait penser aussi à la pièce d'Aimé Césaire, La tragédie du roi Christophe.

 

Le roi confondant son royaume et le continent de ses ancêtres «  Pauvre Afrique! Je veux dire pauvre Haïti! »

C'est grâce d'ailleurs au soutient d'un haïtien Émile Saint Lo que la société des Nations avait statuée sur l'indépendance de la Libye.

Il faut signaler aussi que Haïti était le premier pays à reconnaître l'indépendance de la Grèce en 1822 après quatre siècles de domination ottomane. Sans oublier de dire que le même vote haïtien a été capital et décisif pour la création de l'État hébreux.

 

Au delà même de la reconnaissance de cet État, le pays a favorisé l'exfiltration de quelques juifs d'Europe (par la politique des documents officiels) et aussi accueilli quelques victimes du nazisme.

La part d'Haïti dans l'histoire est tellement grande, qu'il faut des pages entières pour en parler.

 

 L'Amérique du Sud doit sa libération (Colombie, Equateur, Venezuela, Pérou et Bolivie en honneur au libertador) du joug espagnol par l'aide massive d'Haïti à Simon Bolivar accueilli en 1815 (reçu aux Cayes par le général Marion) par le président Alexandre Sabès dit Pétion (1770-1818), et le général Francisco Miranda (reçu à Jacmel par le général Magloire Ambroise) par Jean Jacques Dessalines. C'est d'ailleurs à Jacmel (la première Ville électrifiée d'Haïti) que le précurseur Miranda a crée le 12 mars 1806 le drapeau vénézuélien. Cette ville a accueilli aussi en 1816 le même Simon Bolivar.

 

Cela confirme donc ce que disait déjà l'abbé Grégoire sur ce singulier petit pays (expression attribuée à Louis Joseph Janvier) "Haïti est un phare élevé au milieu des Antilles". C'est dire combien nous africains et antillais devrons nous intéressés au sort d'Haïti plus que tout les autres. L'histoire de ce pays nous concerne. C'est notre histoire. Ce pays fut non seulement la première République noire (le 1er janvier 1804), mais la première république africaine tout court.

 

Le nom même choisi par Jean Jacques Dessalines (1758-1806) le fondateur du pays pour baptiser le nouvel État en dit long : Ayiti en hommage aux Premières Nations gènocidées.

Ayiti en taino signifie terre montagneuse. Mais n'oubliant pas la mater alma, les haïtiens ont ajouté Toma. Toma d'après le spécialiste de la littérature francophone et particulièrement haïtienne Thomas Spear (auteur du livre Une journée haïtienne) vient de tomé. En fon to veut dire d'où l'on vient et mè veut dire dans, il y a sûrement d'autres interprétations en fon, mais elles disent à peu près la même chose. Ce qui signifie donc Ayititomé : dans ma terre montagneuse ayiti mienne selon l'interprétation de Spear.

 

 L'Occident faut-il le souligner, n'a jamais pardonné l'indépendance d'Haïti, pays qui remettait en cause tous les préjugés véhiculés à l'époque et jusqu'aujourd'hui d'ailleurs sur les noirs. Haïti a été la meilleure réponse à toutes les injures, à toutes les humiliations et à toutes les gifles qu'on avait reçu. Ce pays subit depuis lors un embargo qui ne dit pas son nom depuis 1804, faisant donc d'Haïti le thermomètre de comparaison de l'échec des États dits noirs. Thermomètre voulu pour mesurer les degrés de l'injustifiable man?uvre scélérate des puissances occidentales : agenouillée les pays africains.

"On veut nous marginaliser depuis la création de l'état haïtien en 1804 disait si bien Jean Metellus. Tout a été fait par le monde pour nous marginaliser. Aucune nation n'a eu d'égard envers nous. Au contraire, elles ont toutes essayé de nous piétiner". Haïti est punie, mais c'est au nom de nous tous, c'est au nom des préjugés raciaux et de leurs corollaires que ce pays est sournoisement sanctionné. Haïti est victime d'un complot racial depuis 1804. Cela n'absout aucunement, les dérives et les manquements inadmissibles de l'élite et des classes politiques haïtiennes .Certains ont démissionné intentionnellement de leur mission : celle d'être l'avant-garde, pour s'acoquiner avec la corruption et la dictature favorisant davantage la ruine du pays.

 

Cette Île mérite respect et considération de notre part. Il est temps pour nous tous de regarder Haïti autrement. Nous le devons à notre histoire commune. Nous le devons à ce pays comme le disait si bien Aimé Césaire "où la nègritude se mit debout pour la première fois et dit qu'elle croyait à son humanité".

 

Et pour laisser le dernier mot au poète dans une entrevue qu'il avait accordé à Maryse Condé : "l'histoire d'Haïti est glorieuse. Je n'ai jamais oublié que cette Île a conquis la liberté voila deux cent ans : on ne la lui a pas donnée. Les haïtiens se sont battus pour l'avoir. Mais il faut insister sur le fait qu'ils ne l'ont conquise pas seulement pour eux mais pour nous tous. Nous devons leur en être reconnaissants".

 

Ayiti Toma kembè pa laguè 

 

Moïse Mougnan est journaliste, intellectuel et propriétaire des Éditions Grenier à Montréal. Ce Tchadien d'origine est un spécialiste des questions africaines et tiers-mondistes.

Haiti-Culture

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Publié le 11 juin 2016, mis à jour le 16 juin 2016

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