Devant plus d’une cinquantaine d’élèves de la section Abibac, Gerhard Wiese, l’un des procureurs du second procès d’Auschwitz tenu à Francfort dans les années 1960, a pris la parole avec calme et gravité pour évoquer sa participation à ce moment clé de l’histoire allemande.


Un procès historique : juger Auschwitz en Allemagne
Le procès de Francfort constitue un des tournants décisifs de la confrontation de l’Allemagne avec son passé nazi. Après un premier procès à Krakau et celui organisé à Nuremberg par les Alliés, c’est cette fois-ci la justice allemande elle-même qui met en cause ses propres ressortissants pour les crimes commis dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Ce procès - officiellement connu sous le nom de « second procès d'Auschwitz » - s’est ouvert le 20 décembre 1963 pendant plus de 180 jours d’audience. Vingt-deux anciens officiers SS et un Kapo sont alors accusés de meurtre ou de complicité de meurtre de milliers de personnes.
Un jeune procureur confronté à l’horreur
Quand il entre dans la salle d’audience en 1963, le Procureur Gerhard Wiese n’a qu’une trentaine d’années.
Son rôle consiste à rédiger des parties de l'acte d'accusation, à interroger des témoins survivants et à soutenir l’accusation, sous la direction du Procureur général Fritz Bauer. Au total, plus de 350 témoins sont entendus, dont 211 survivants des camps.
Beaucoup d’entre eux racontaient pour la première fois ce qu’ils avaient vécu des années auparavant ou devaient se confronter de nouveau à des souvenirs extrêmement douloureux.
« Un témoignage m’a particulièrement marqué, raconte Gerhard Wiese. C’est celui du Dr. Berner. Lors des sélections sur la rampe, il a aperçu un nazi qu´il connaissait de par sa profession et lui a demandé la permission de rester avec sa famille : sa femme et ses trois enfants, dont des jumeaux. Ces derniers ont été montrés à l’officier nazi, le Dr. Mengele, qui n’a pas jugé bon de les retenir auprès de leur père. Le témoin apprendra plus tard que des expériences médicales étaient pratiquées spécifiquement sur les jumeaux, mais uniquement sur les vrais, ce qui n’était pas le cas des enfants du Dr. Berner ».
M. Wiese se rappelle encore le silence qui régnait dans la salle après ce témoignage.
Au total, seuls six accusés ont reçu comme verdict la prison à perpétuité. Ces condamnations, même limitées au regard de l’ampleur des crimes, ont cependant marqué un tournant dans la conscience collective allemande.
Des lycéens face à une mémoire vivante
Les élèves de la section Abibac, âgés de 15 à 17 ans, connaissent les grandes lignes de la Shoah. Mais pour la plupart d’entre eux, entendre le témoignage direct d’un acteur de cette période constitue une toute première expérience, rendue possible grâce à l’organisation de cette rencontre par leur professeur d’histoire, Nathalie Moersfelder.

L’attitude de Gerhard Wiese les a particulièrement frappés comme en témoigne Erin-Juliette Gould (élève de Seconde) impressionnée par la clarté et la précision du récit de l’ancien Procureur.
La manière dont il a su garder une distance réfléchie face aux événements a marqué cette autre élève de la section Abibac :
« J’ai trouvé intéressant la façon dont il prenait du recul sur la situation. Il restait de marbre en racontant son histoire, sans laisser paraître la moindre émotion. Ce récit était à la fois passionnant et terrible. Il est rare de pouvoir rencontrer aujourd’hui un témoin direct des procès de Francfort, capable de partager son incompréhension face à de telles atrocités commises par ses propres concitoyens. » (Aloïse Simonneau)
À l’instar de Gerhard Wiese, Sylvain Pardo, proviseur du Lycée Français International de Francfort, a rappelé l’importance du devoir de mémoire :
« Accueillir M. Wiese au lycée a été un moment d’une intensité exceptionnelle. Son témoignage, empreint de lucidité et de dignité, a profondément marqué nos élèves. Il nous rappelle que la justice et la mémoire sont des devoirs vivants que chaque génération doit continuer à faire vivre. »
Soixante ans après le procès, l’écho de cet événement continue de résonner, à travers des œuvres contemporaines telles que le roman Deutsches Haus d’Annette Hess, mais aussi grâce à ce type de témoignages directs, parmi les derniers.
Aujourd’hui âgé de 97 ans, Gerhard Wiese poursuit inlassablement son travail de transmission auprès des jeunes générations.
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