Édition internationale

ALFRED GROSSER - L’infatigable spécialiste de la relation franco-allemande

Écrit par Lepetitjournal Francfort
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 1 octobre 2014

Alfred Grosser, politologue, historien, écrivain et journaliste, figure emblématique dans le paysage franco-allemand, analyse depuis de nombreuses années les enjeux aussi bien politiques, historiques que sociaux-culturels entre la France et l'Allemagne. Lepetitjournal/francfort est allé à la rencontre de l'infatigable spécialiste de la relation franco-allemande, lors de son passage près de Heidelberg au comité de jumelage "IGP Edingen-Neckarhausen" fin septembre.

Au Château de Neckarhausen
(Photo VK lepetitjournal.com/francfort)

Né juif en 1925 à Francfort-sur-le-Main, Alfred Grosser a fuit l'Allemagne avec sa famille en 1933 sous le régime nazi pour se réfugier en France. Naturalisé Français en 1937, il enseignera notamment à Sciences Po pendant trente-six ans. Il n'a jamais cessé d'expliquer chacun des deux pays à l'autre ; il continue, avec une énergie et un dynamisme qui épatent, à sillonner les routes et multiplier ses interventions? que ce soit au Bundestag à Berlin lors des commémorations du centenaire de la Grande Guerre en juillet dernier ou dans des petites bourgades à la rencontre d'initiateurs de projets d'échanges entre villes jumelées comme à Edingen-Neckarhausen fin septembre.
Et s'il se dit lui-même "intellectuellement pessimiste mais génétiquement optimiste?, Alfred Grosser n'a toujours pas la langue dans sa poche et n'hésite pas à égratigner la presse ou montrer du doigt des personnalités médiatiques.

Lepetitjournal.com/francfort : en 2013, la France et l'Allemagne célébraient en grande pompe les 50 ans du Traité de l'Elysée. L'année 2014 est marquée par le 75e anniversaire du début de la Seconde Guerre, le 25e anniversaire de la chute du mur de Berlin et les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale. Quel regard portez-vous sur la relation franco-allemande aujourd'hui ?

Alfred Grosser : en 2014, la relation politique franco-allemande va mal. C'est la faute aussi des médias qui ont tendance à brosser un tableau encore plus noir de la situation. La presse allemande notamment est de plus en plus méprisante pour la France ou le Front National gagne du terrain et du côté de l'Hexagone on excuse les faiblesses françaises en attribuant la faute à l'Allemagne. La montée de l'AfD, le parti anti-euro est aussi un signe négatif en Allemagne.

Que pensez-vous des dépenses engagées pour commémorer le centenaire du début de la Grande Guerre ?

C'est beaucoup trop ! Même s'il est important de célébrer la mémoire des soldats disparus et la fin d'un conflit sanglant pour mettre en exergue la réconciliation et la coopération entre la France et l'Allemagne, les frais engagés sont disproportionnés. Dépenser des millions d'euros pour commémorer 14-18 alors qu'on ferme à tour de bras les Instituts français et les consulats en Allemagne faute de budget, est une réelle aberration. Il ne faut pas oublier que la Maison de la France à Berlin a été sauvée de justesse par l'intervention auprès de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, de Frank-Walter Steinmacher entre autres, son homologue allemand. Je n'ai pas compris que le gouvernement français veuille vendre un bâtiment chargé de symbole tél que la Maison de la France.

Pourtant vous étiez parmi les invités d'honneur au Bundestag le 3 juillet dernier à Berlin où une large place a été accordée au centenaire de la Première Guerre Mondiale ?

Oui en effet et c'était un très grand honneur pour moi de pouvoir intervenir lors de cet événement, sur la relation franco-allemande tout de même soixante-quatre ans après la révolution du plan Schuman en présence du président allemand Joachim Gauck, de la chancelière Angela Merkel et tout le gouvernement allemand. On m'a laissé 30 minutes d'intervention et je m'y suis tenu !

Au Château de Neckarhausen
(Photo VK lepetitjournal.com/francfort)

Et quelle est votre opinion en ce qui concerne le salaire minimum dont le projet de loi a été adopté au Bundestag lors de cette rencontre ? Est-ce une avancée sociale ?

C'est en effet un immense progrès social côté allemand. L'Allemagne néglige trop ses concitoyens tombant dans la pauvreté, en particulier les salariés dont le revenu est très faible ou alors les personnes touchant de toutes petites retraites qui deviennent les laissés-pour-compte d'une société à deux vitesses. En Allemagne le taux de paupérisation et les inégalités augmentent dangereusement. Or de grands quotidiens comme la FAZ ne communiquent pas suffisamment sur ces inégalités. Et que devient l'Etat de droit lorsque les puissants de l'argent peuvent échapper à la justice en payant ? Prenez le cas de Bernie Ecclestone, le patron de la Formule 1 qui a payé 100 millions de dollars pour mettre fin à son procès pour tout une série de délits graves ou encore l'ancien patron de la Deutsche Bank, le Suisse Josef Ackermann qui a versé 3 millions de dollars pour un ensemble de fraudes.

Un Franco-Allemand né comme vous à Francfort, Matthias Fekl, a été nommé secrétaire d'Etat chargé du Commerce Extérieur, de la Promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Qu'en pensez-vous ?

C'est lui qui aurait dû être nommé Secrétaire d'Etat aux Affaires européennes au lieu d'Harlem Desir?Il a le profil idéal pour cela. Je me réjouis cependant de voir qu'il y ait encore des personnes engagées pour la cause franco-allemande comme René Lasserre, directeur du CIRAC (Centre d'information et de recherche sur l'Allemagne contemporaine), Hélène Miard-Delacroix, professeur à la Sorbonne, spécialiste de civilisation allemande, Rainer Hudemann, professeur allemand titulaire de la chaire d'histoire de l'Allemagne à la Sorbonne? et notre eurodéputée Sylvie Goulard est merveilleuse.

Quelle relation entretenez-vous avec la ville de Francfort où vous êtes né ? Y allez-vous souvent ?

Je me suis souvent rendu à la Paulskirche pour le Prix de la Paix des Libraires et Editeurs allemands, prix qui m'a été remis à moi-même en 1975. Cette année, je n'irai pas parce que celui qui le méritait vraiment, proposé par une foule de gens dont moi, ne l'a pas obtenu. Rupert Neudeck a écrit nombre de livres sur ses interventions humanitaires un peu partout dans le monde et ces temps derniers en Syrie. Je pense que le fait qu'il a été et est, comme moi, très critique de la politique d'Israël a joué contre lui?

Vous semblez à 89 ans être encore doté d'une énergie exceptionnelle. Qu'est-ce qui fait courir Alfred Grosser ?

Vous savez l'engagement politique et moral, c'est comme le vélo... si on arrête, on tombe. Alors, je continue?

Interview réalisée par Valérie Keyser (www.lepetitjournal.com/francfort), jeudi 2 octobre 2014

 

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Publié le 1 octobre 2014, mis à jour le 1 octobre 2014
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