

« Je me sens seul comme au milieu de l'océan». Je suis à l'autre bout du téléphone et je peux ressentir toute la détresse de Patrick, 40 ans. En quinze ans, il s'est construit l'une des plus belles réputations de décorateur en Espagne, les clients se battent littéralement pour avoir ses services, et pourtant il a cette terrible impression d'être arrivé en bout de course. « Je veux arriver à prendre un virage que je n'arrive pas à négocier seul. Ce virage est un nouveau challenge professionnel qui me redonnera l'envie de me lever le matin ».
Patrick a le sentiment de n'avoir plus aucun repère et de se noyer dans un verre d'eau. Partir à 25 ans sans connaître personne, avec pour seul but de réussir fut une situation compliquée dont il s'est plutôt bien sorti. Pourquoi pas cette fois-ci ?
« Je me souviens d'avoir ce sentiment d'euphorie et d'invincibilité alors que j'étais finalement à Madrid, la ville ou j'avais toujours rêvé vivre. Très vite, mon énergie et enthousiasme m'ont fait rencontrer des architectes, des décorateurs et, après avoir travaillé quelque temps pour eux, je me suis lancé dans mon propre business, sans jamais craindre l'échec ». C'est un plaisir de l'écouter faire le récit de ses débuts. Il a 25 ans de nouveau. Je le sens s'agiter, son langage est haut en couleur mais subitement, c'est le Patrick version noir et blanc qui ressurgit. « Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Je ne supporte plus ce que j'ai construit, je ne vois que les mauvais cotés de la ville, ce pays qui me plaisait temps me fatigue et m'ennuie tous les jours un peu plus, je deviens terne et aigri, j'ai l'impression d'avoir donné à tout le monde sauf à moi ».
Il se considère comme un vrai immigré: il a en lui cette envie de changement, ce côté aventurier « éternel insatisfait » qui a fait des miracles pour lancer sa carrière, mais qui aujourd'hui est en pleine contradiction avec le Patrick raisonnable, celui qui a atteint son but : s'installer dans son pays de choix et réussir dans le métier qu'il aime. Lorsque je lui demande de décrire les deux Patrick en lui, il ne se fait pas prier. « Le raisonnable c'est celui qui s'autoflagelle constamment, qui culpabilise à mort sur la normalité de la vie, qui ne s'est jamais occupé de soi et qui a tout donné aux autres. C'est un Patrick à fond dans l'autodestruction et qui a peur. Il est moche, triste, statique, avec zéro énergie positive et avec un sacré manque de confiance en soi ». Portrait dur mais qui a le mérite d'être honnête. Et le Patrick aventurier ? « Il n'a peur de rien. Il est léger matériellement et mentalement. Il est souriant, attirant, assoiffé de découverte et de nouveauté. C'est rien que du bonheur ».
À votre avis, qu'est-ce qui vous empêche de prendre ce virage ? « J'aimerais faire disparaître le Patrick raisonnable au profit de l'aventurier mais je n'y arrive pas ». » Et pourquoi cela ? « Je ne sais vraiment pas ». Et si c'était tout simplement parce que le Patrick raisonnable est une partie de vous et chercher à l'éliminer c'est déjà commencer à vous perdre et à vous renier ? Vous avez pris l'habitude d'utiliser soit l'un soit l'autre, je crois qu'il serait temps d'utiliser les deux en même temps, les superposer pour enfin vous retrouver. « C'est vrai, je vois bien la dualité de ma situation. J'ai envie de partir vers de nouvelles aventures, mais j'ai peur. Peur de refaire n'importe quoi, peur de repartir en claquant la porte comme je l'ai fait avant. Je n'ai plus 25 ans ». Superposer les deux parties d'une personnalité est un aspect très courant de mon métier de coach. Il s'agit de chercher à mieux se connaître pour se donner une chance de s'aimer complètement.
« Tout ça me parle Nicolas. Avant d'essayer de voir ce que je peux faire prochainement, il faut que je me réconcilie avec moi-même. C'est vrai que j'ai une folle envie de partir, mais si je le fais, cela ne doit pas être une fuite mais une belle aventure avec le sourire ». Pourtant, après six séances, il est impossible pour Patrick d'appliquer dans la vie réelle ce qu'il a compris intellectuellement. Son attitude sur tout ce qui touche à son environnement et à ses accomplissements est si négative qu'il n' arrive pas à penser positif. Je me nourris de ce que mon client me donne, et je me retrouve totalement inefficace. C'est comme s'il était dans des sables mouvants. Je le vois s'enfoncer mais tout ce que je peux faire est de le maintenir à niveau. Lui seul peut s'en extirper. Lorsque je m'apprête à re-évaluer avec lui notre relation, Patrick me surprend une fois de plus.
Un matin, il m'appelle. « Je m'en vais trois mois sur un voilier. Ce sont des vacances loin de ma vie. J'ai décidé de m'arrêter de m'angoisser en ne me projetant plus dans le futur. Je me sens enfin léger. Je ne culpabilise pas du tout, au contraire, ce voyage c'est la chance de me retrouver et d'appliquer ce que j'ai appris dernièrement sur moi. Au fond de moi je sais que ma vie n'est plus ici, mais je sens tout de même que j'ai besoin de partir pour mieux revenir ».
Deux semaines plus tard il s'envolait pour la Turquie démarrer son périple. Je suis content pour lui. C'est sa décision et elle réunit bien les deux côtés de sa personnalité : l'aventurier « s'en va », le raisonnable « revient ». Il est en harmonie avec lui-même et sa nouvelle vie démarre aujourd'hui. Nous retravaillerons ensemble à son retour. Le prochain cycle dans notre relation sera nourri des expériences qu'il aura vécues, des rencontres qu'il aura faites et des paysages qu'il aura découverts. À travers ses mots, je serai le traducteur de ses nouvelles émotions afin qu'il acquiert ce nouveau langage qui lui fera découvrir la vie dont il rêve.
Nicolas Serres Cousiné, le life coach des expats français àtravers le monde (www.lepetitjournal.com) mardi 25 novembre 2014
En savoir plus: Le site de Nicolas Serres Cousiné www.monlifecoach.com,
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