

Certains s'expatrient pour découvrir le monde, d'autres cherchent la croissance pour mieux entreprendre, certains fuient la pression fiscale et d'autres veulent simplement... jouer au poker ! Avec la multiplication des sites de jeu d'argent sur internet, la législation américaine s'est beaucoup durcie ces dernières années et nombreux sont ceux qui veulent s'expatrier pour continuer légalement à jouer au poker en ligne. Portrait d'une niche d'expatriés inédite...
Casino sans frontières
En 2003, le poker est en pleine effervescence populaire. Cinq ans après le film Rounders avec Matt Damon, John Malkovitch et Edward Norton, la flamme des joueurs casaniers est attisée, les parties à domicile se multiplient. La chaîne ESPN diffuse en direct les World Series of Poker (les championnats du monde de poker) dans leur intégralité à la télévision. Un système est mis au point pour filmer les cartes des joueurs pendant la partie, le spectateur devient complice d'une stratégie aux frontières de la pure statistique, de la chance et du talent. Les affrontements sont commentés par des journalistes spécialisés et le poker se professionnalise. Les vainqueurs, déifiés, gagnent des millions et font miroiter des ascensions sociales fulgurantes. Le jeu de carte devient une véritable source de revenu fixe pour ceux qui savent soumettre le hasard, et une économie parallèle se développe sur internet. La connexion transporte virtuellement le cercle de jeu à domicile, et l'on peut bluffer depuis son canapé. Amateurs et débutants se frottent aux professionnels les plus aguerris dans ces "casinos sans frontières". Malgré les dérives et les addictions, les plus endurants - ceux qui passent de longues heures par jour devant leur écran - parviennent à vivre correctement de cette ressource.
Black Friday
POKER - La France est "All-in"Voilà maintenant quelques années que le phénomène poker a débarqué en France tout droit venu des Etats-Unis. Présentant les mêmes caractéristiques que le football, il a rapidement créé le buzz autour de lui.
|
Le 15 avril 2011, le département de la Justice des Etats-Unis s'attaque soudainement aux trois géants du online gambling en saisissant cinq noms de domaine et 76 comptes bancaires dans 14 pays. Pokerstars, Full Tilt Poker et Absolute Poker, les trois sites américains les plus populaires sont fermés par le FBI. Cette opération coup de poing avait pour but de mettre un terme aux activités de onze magnats du poker en ligne, soupçonnés de blanchiment d'argent. Ces sites avaient fleuri dans les zones d'ombres et vides juridiques de la loi UIGEA de 2006 (Unlawful Internet Gambling Enforcement Act).
Ce 15 avril, baptisé Black Friday, est aujourd'hui encore un souvenir douloureux pour les joueurs en ligne car les conséquences sont lourdes pour le milieu. Des milliers de joueurs n'ont plus accès à leur compte et des millions de dollars sont bloqués. La confiance envers les plateformes de gambling s'effrite, et le trafic mondial baisse de 22%. S'il reste possible de jouer à de vraies tables aux Etats-Unis - à Las Vegas par exemple - les professionnels regrettent la rapidité et la simplicité du jeu en ligne. Sur internet, un joueur estime jouer en moyenne 1.600 mains par heure, contre seulement 35 en live. Malgré ce coup d'éclat en 2011, l'interprétation de la UIGEA est toujours incertaine.
Pourtant cette législation sévère est propre aux Etats-Unis, les sites européens, sud-américains ou asiatiques sont beaucoup plus libres de leurs mouvements. Alors que faire lorsque votre activité professionnelle devient illégale, lorsqu'un trou béant de plusieurs années apparaît dans votre CV ?
Il y a deux ans, suite au Black Friday, quelques jeunes entrepreneurs américains proposent une solution. La meilleure qui soit pour continuer à vivre du poker : s'expatrier. Trouver un pays ou la législation est plus tendre avec les joueurs en ligne, et pourquoi pas par la même occasion, un pays où il fait beau. Le site PokerRefugees.com propose six destinations à ces réfugiés du poker : le Canada, le Costa Rica, l'Equateur, le Panama, Malte et le Mexique. Au départ dédié aux Américains, le site s'est étendu aux joueurs du monde entier, 285 joueurs ont été expatriés jusqu'à aujourd'hui et le phénomène va en augmentant. Conseil, conciergerie et paperasse, PokerRefugees s'occupe de presque tout et ces nouveaux expatriés sont ravis de jouer désormais sur leur ordinateur, les doigts de pied en éventail. Pour ses deux ans, le site offre même un "full relocation service" de 2.500$ via un tirage au sort.
Ceux qui rechignent à quitter le sol américain définitivement ont adopté un rituel original, ils vont "travailler" la journée ou toute la semaine au Mexique, pour revenir le week-end à leur domicile californien. Ces commuters traversent donc régulièrement la frontière pour éviter les ennuis juridiques et jouer depuis une connexion mexicaine. Economiquement, ceux là sont des citoyens du web. Pour le site theVerge, "leur nationalité relève alors davantage de l'adresse IP que du passeport".
David Attié (www.lepetitjournal.com) Jeudi 22 août 2013
