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La famille Gueye : la peinture sous verre dans le sang

Gueye Cour des Maures Peinture Sous Verre Dakar Sénégal Laure SoléGueye Cour des Maures Peinture Sous Verre Dakar Sénégal Laure Solé
Samba Gueye, peintre sous verre à la Cour des Maures. ©Laure Solé
Écrit par Laure Solé
Publié le 15 avril 2019, mis à jour le 6 janvier 2021

La peinture sous verre (« suweer » en wolof) est une technique artistique particulièrement populaire au Sénégal. Mor Gueye est l’une des figures reconnues de cet art. Décédé en 2016 à l’âge de 95 ans, avec lui auraient pu disparaître ses techniques et son savoir. Cependant deux de ses vingt-quatre fils, Samba et Mam, ont repris l’atelier. Ils continuent de perpétuer cet art étonnant qu’est la peinture sous verre sénégalaise. Entretien avec Samba, l’aîné des deux frères.

“J’ai commencé la peinture sous verre à l’âge de seize ans, se rappelle Samba. J’en ai maintenant soixante-quatre, et j’aime toujours autant peindre”. Dans le petit atelier à étages caché au fond de la Cour des Maures à Dakar et entouré par des bijoutiers, les artistes prennent rarement du repos. Leur petite salle d’exposition au rez-de chaussée invite à contempler une grande diversité de sujets en peinture sous verre. En pièce maîtresse, la dernière peinture de leur père : une immense arche de Noé tout en détails. On y trouve aussi des œuvres d’autres grands artistes comme feu Lô Ba, lui aussi décédé en 2016. “Nous ne pouvons pas nous décider à nous en séparer”, confie Samba.

“Mon père a installé l’atelier ici en 1972, mais la peinture sous verre lui est venue petit à petit”, raconte Samba. Dans un premier temps, Serigne Mor Gueye ne dessinait sous le verre que pour faire des cadres. Puis, il s’est entraîné à peindre à l’envers sur du carton, sans relâche. Artiste reconnu, il fut nommé Chevalier de l’Ordre du Lion ainsi que décoré comme Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres par le président Wade puis Sall. Il fait partie des grands noms de cet art avec Moussa Sakho, Serigne Ndiaye, Fallou Dolly, Gora Mbengue, Sea Diallo ou encore Anta Germaine Gaye.

Gueye Cour des Maures Peinture Sous Verre Dakar Sénégal
Peinture sous verre figurative. ©Laure Solé

Le procédé du suweer est loin d’être simple et requiert beaucoup de technique et d’expérience : il faut commencer la peinture sous verre par ce qui aurait été la fin d’une peinture conventionnelle. Dans un premier temps, l’artiste peint la signature, les détails et les contours en traits fins à l’encre, et à l’envers. Puis, il faut appliquer les couches successives de peinture jusqu’à peindre l’arrière-plan du dessin. “C’est difficile d’apprendre à peindre à l’envers car c’est contre-intuitif”, indique Samba.

Gueye Cour des Maures Peinture Sous Verre Dakar Sénégal
"L'envers" d'une peinture sous verre. ©Laure Solé
Gueye Cour des Maures Peinture Sous Verre Dakar Sénégal
"L'endroit" de la même peinture sous verre. ©Laure Solé

“C’est un travail de mémoire aussi que de garder cet art vivant”, confie Samba. Effectivement, les plus vieilles peintures de l’atelier témoignent d’un quotidien différent : les tenues et les coiffes des femmes par exemple, diffèrent en fonction de l’ancienneté des peintures. La génération du père de Samba peignait de grandes scènes de vie, parfois des portraits de famille, des scènes saintes. Samba et son frère peignent plutôt de l’art figuratif, comme des poissons, des femmes en tenues traditionnelles...

Gueye Cour des Maures Peinture Sous Verre Dakar Sénégal
Samba, à l'ouvrage dans son atelier. ©Laure Solé

Serigne Mor Gueye a relancé l’intérêt de beaucoup pour la peinture sous verre, cependant celle-ci ne date pas d’hier. En Occident, c’est durant l’antiquité que celle-ci voit le jour, comme art religieux. La technique est introduite à la fin du dix-neuvième siècle au Maghreb, puis, celle-ci voyage jusqu’au Sénégal par les routes commerciales. Les premiers sujets représentés étaient majoritairement religieux, des figures de confréries ou de résistance à la colonisation, avant d’aborder des sujets du quotidien. Au début des années soixante, l’engouement a presque disparu, et on ne trouve plus beaucoup de “fixés” ou “suweer" au Sénégal. Les choses ont bien changé. « A l’occasion de la fête de l’indépendance, de nombreux officiels sont venus à l’atelier pour acheter des peintures, comme cadeaux aux invités du palais présidentiel. Ils en ont pris cent cinquante !”, raconte Samba.

Il est dorénavant possible de trouver des peintures sous verre un peu partout, mais elles ne sont pas toutes de la même qualité : “Nous avons choisi de ne prendre que quatre apprentis, très consciencieusement choisis”, confie Samba. “C’est très important que nous gardions notre réputation”, ajoute-t-il. On reconnaît la qualité d’une peinture sous verre à la précision et la finesse des contours à l’encre ainsi que par la netteté du dessin sous le verre. Les commandes affluent dans le petit atelier, si bien que l’équipe n’a presque plus le temps de sortir pour exposer dans des événements. Elle fait régulièrement des journées qui commencent à huit heures et qui finissent à minuit.

De temps à autre, le week-end ainsi que pendant les mois de juillet et août, l’équipe organise des formations à la peinture sous verre pour les curieux comme pour les artistes chevronnés.

Prix des premiers tableaux : 30 000 FCFA, certaines oeuvres coûtent beaucoup plus cher.
Adresse : Cour des Maures, petite cour juste en face du magasin Orca, à Plateau.

Vidéo explicative du processus de peinture sous verre.
Historique de la peinture sous verre au Sénégal.

laure solé
Publié le 15 avril 2019, mis à jour le 6 janvier 2021

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