A Dakar, Laurence Maréchal, descendante des signares, produit et commercialise une boisson alcoolisée surnommée « La Marquise », dont la recette née à Saint-Louis au 19ème siècle se transmet de génération en génération.
En plein cœur du Plateau, Laurence Maréchal nous accueille dans une magnifique maison coloniale datant de 1902. Un véritable havre de paix et un ilot de verdure où cette descendante des « signares »1 vit depuis la fin des années 80. « La recette de la Marquise m’a été transmise par ma grand-tante. Elle se transmet de génération en génération depuis deux siècles » raconte Laurence. « Quelques années après la Révolution française, des aristocrates ont été envoyés à Saint-Louis pour préparer ce qui allait devenir l’Afrique Occidentale Française (AOF). A l’époque, le seul moyen de transport était les bateaux. Ceux-ci arrivaient à Saint-Louis chargés de rhum, de vin, d’armes, de fer, de soierie, de bibeloterie… Ces nobles ont offert ce vin et ce rhum à des signares. Celles-ci ont commencé à faire des mélanges à base d’aromates et de fruits. On raconte que lors d’une des grandes soirées organisées à cette époque, une de nos arrière-arrière-grand-mère aurait offert ce breuvage à l’un des marquis présents. Celui-ci l’aurait trouvé tellement bon qu’il l’aurait surnommé marquise ! ». Et c’est ainsi que cette histoire se transmet de génération et génération et voyage dans le temps et l’espace. La recette n’a pas changé depuis lors. Laurence Maréchal la prépare chez elle, avec du vin blanc, du rhum (des Antilles ou du Cap Vert), des épices et des fruits (citron, mangue, papaye, fruit de la passion, ananas, mad, mais aussi tamarin, gingembre…). Le mélange macère quelques semaines, puis Laurence fait faire de jolies étiquettes et habille la bouteille d’un bout de tissu. « Pour moi, la Marquise est bien plus qu’un simple alcool, c’est un produit culturel chargé d’histoire » affirme Laurence Maréchal. En tout cas, elle est délicieuse, parfumée et pas trop sucrée !
La Marquise constitue une activité de retraite pour Laurence aujourd’hui âgée de 73 ans. Née à Dakar de parents métis, tous deux fonctionnaires dans l’administration coloniale, Laurence est partie à Nice faire ses études secondaires et d’assistante sociale. Ensuite, rattachée au Ministère de l’Education nationale, elle a travaillé pendant des années pour des ONG en faveur de l’éducation des jeunes filles dans différents pays d’Afrique (Niger, Ethiopie…) et au Sénégal. Elle a notamment œuvré au sein du FAWE Sénégal (Forum des éducatrices africaines). Mariée à un diplomate, mère de quatre enfants, elle a également beaucoup voyagé.
Depuis des années, Laurence Maréchal est également très active dans la promotion de l’artisanat sénégalais. « Nous avons des artisans qui ont beaucoup de talent, mais qui ont du mal à se vendre car le secteur n’est pas suffisamment structuré et organisé » regrette-t-elle. Laurence Maréchal a soutenu et encouragé de nombreux artisans. Elle les a conseillés et aidés à s’introduire dans certains circuits et à participer à des expositions afin de gagner en visibilité. « Mon objectif était de les rendre autonomes et de les voir prendre leur envol » explique Laurence. Elle a régulièrement organisé des expositions chez elle et soutenu des collectifs d’artisans. Lors du dernier Festival mondial des Arts Nègres en 2010 (Fesman), elle a été commissaire de l’exposition « Artisanat d’Art ». « Les pouvoirs publics devraient davantage aider nos artisans à s’organiser et à se former. En Afrique du Sud, au Burkina ou dans les pays du Maghreb (Tunisie, Maroc, Algérie), le secteur de l’artisanat est très fort et créateur d’emplois. Nos artisans ne connaissent pas toujours suffisamment les exigences, de plus en plus fortes, de la clientèle. Il faut qu’ils soient davantage en contact avec leur public » analyse-t-elle.
C’est ainsi qu’il y a 30 ans, elle a aidé les femmes brodeuses de Grand Yoff à se développer. « Elles avaient fait l’effort de s’organiser en coopérative, mais elles avaient du mal à vendre leurs réalisations. Nous les avons aidées à se former et à réaliser des produits modernisés (serviettes, nappes) mais aux motifs traditionnels qui correspondaient aux besoins de la clientèle. Et cela a très bien fonctionné ! ».
Il y a quelques années, elle a également aidé Cyril Fallou Valton qui travaille la calebasse sous toutes ses formes à exposer au Musée de la Femme Henriette Bathily, dont elle est l’un des membres fondateurs. Meissa Fall, qui recycle les vieux vélos en objets d’art à Saint-Louis, a également fait partie des artisans qu’elle a soutenu à ses débuts. Le bijoutier Fallou Diouf, à la cour des Orfèvres, est également l’un de ses protégés. « Mais maintenant, il n’a plus besoin de moi. Il fait des allers-retours à Paris pour vendre ses bijoux ! » sourit Laurence.
« Il faudrait faire un répertoire de l’artisanat qui mérite d’être développé, organiser des ateliers pour renforcer et améliorer les techniques par métiers, aider les artisans à s’améliorer, à s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, à s’adapter au marché pour mieux vendre, le tout sans perdre leur âme », analyse Laurence Maréchal. « Des individus percent, comme Ousmane M’Baye, mais il n’y a de dynamique générale. Le Sénégal n’est pas suffisamment orienté vers le développement de ce secteur comme c’est le cas dans d’autres pays d’Afrique, alors que l’artisanat constitue une source infinie de créativité et d’emplois » conclut-elle.
1. Les Signares doivent leur nom au mot portugais « senhoras » qui signifie « dames », et qui était employé au temps des comptoirs portugais, vers le 15ème siècle. Il s’applique alors aux femmes issues d’unions entre des sénégalaises et des européens hauts placés, acquérant ainsi un statut social élevé et des biens matériels. Elles vivaient à Saint-Louis mais aussi à Gorée et Rufisque et sur la Petite-Côte du Sénégal.
Informations pratiques : Laurence Maréchal vendra ses bouteilles La Marquise au marché de l’Institut français jusqu’23 décembre. Le reste du temps, vous pourrez en trouver à la boutique Cocktail du Sénégal. Contact : laurence.marechal@yahoo.fr