Anne-Dauphine Julliand publie son premier roman, Jules-César
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Après son récit poignant "Deux petits pas sur le sable mouillé" sur ses deux filles ( (Les Arènes, 2011) et son film documentaire "Et les mistrals gagnants" (2017) qui donnaient la parole à cinq enfants malades, Anne-Dauphine Julliand, publie son premier roman, Jules-César, aux éditions Les Arènes. Il raconte, l'histoire d'un enfant de Casamance, gravement malade et qui part avec son père en France pour se faire soigner.
Jules-César est un petit garçon sénégalais, de bientôt 7 ans, qui vit avec sa famille à Ziguinchor, en Casamance. Il est presque comme tous les enfants de son âge, sauf qu'il doit subir des dialyses plusieurs fois par semaine car ses reins ne fonctionnent plus. Sous l'impulsion de sa mère, Jules-César va partir en France, avec son père, Augustin, qui peut être son donneur, pour tenter une greffe de rein. Ce roman, alternant les points de vue d'Augustin et de Jules-César, raconte la relation père-fils, parfois difficile et le long parcours médical. Pendant ce temps, sa mère, enceinte, restée en Casamance, guette leurs nouvelles.
La maladie de son fils bouleverse son père dans ses habitudes. Lui plus proche de son autre fils, et soucieux de sa carrière professionnelle et du club de football qu'il entraîne, part en France à contre-cœur. Il le fait pour sa femme à qui il a promis de tout tenter pour sauver son fils. Ce roman tendre et pudique parle de nos limites et interroge notre humanité. Entretien avec Anne-Dauphine Julliand.
Comment s’est passée votre rencontre avec le Sénégal ?
Anne-Dauphine Julliand : J’ai découvert le Sénégal pour la première fois il y a une quinzaine d’années et depuis, j’y suis retournée à plusieurs reprises. J’ai appris à connaître et à aimer ce pays grâce à Thérèse, une femme sénégalaise, qui s’est occupée de nos filles pendant 10 ans et a embelli notre vie familiale. Une fois, nous sommes partis avec elle en Casamance, près de Ziguinchor dont elle est originaire pour découvrir sa famille. C’était très touchant. C’est vraiment elle qui m’a ouvert le cœur et l’esprit au Sénégal.
Pourquoi cela vous a-t-il semblé important d’ancrer votre roman entre la Casamance et Paris ?
J’ai senti à la fois une vraie proximité entre nos deux pays, le Sénégal et la France, notamment linguistique, mais aussi de vraies différences, qu’il m’a semblé intéressantes d’explorer dans mon roman.
Le Sénégal fait face à un manque de moyens criant dans le domaine de la médecine. Par exemple, il n’est pas possible de recevoir une greffe, en tout cas pour le moment, et il n’existe pas d’accord de prise en charge relatif aux soins de santé, comme cela peut exister entre la France et l’Algérie, ce qui oblige le père, Augustin, à la clandestinité lorsqu'il arrive en France. En revanche, au Sénégal, il y a une vraie chaleur dans les relations humaines, alors qu'en France, il existe davantage de solitude humaine.
Et puis, j’aime le Sénégal et je me sentais légitime pour en parler.
Au départ, j’ai été inspirée par l’histoire d’Imad, le petit garçon algérien que l’on voit dans le documentaire "Et les mistrals gagnants" et qui était venu en France avec son père pour se faire soigner. Leur parcours m'a donné envie d'écrire ce roman. L’idée n’était pas de calquer leur histoire, mais de se demander jusqu’où est-on prêt pour sauver la vie d’un enfant ?
Le personnage d’Augustin, le père, est complexe. Comment l’avez-vous construit ? Que vouliez-vous montrer à travers son cheminement, ses doutes, ses hésitations ?
Il s’est construit petit à petit, à la fois dans ma tête et dans le livre. Je voulais un homme profondément sénégalais, mais qui s’émancipe aussi un peu du sentiment de fatalité face à la maladie et au handicap, qui prévaut souvent au Sénégal. Cette émancipation se fait aussi avec un peu de colère car ses croyances sont profondément enracinées. Je voulais un jeune père qui a connu une ascension professionnelle, grâce à ses efforts et à un peu de chance. Il en est fier et en ressent un certain orgueil. Mais en arrivant en France, et face à la maladie de son fils, il perd tout cela et ressent un sentiment de déclassement. C'est un père qui a du mal à se reconnaître dans ce fils malade, et qui se sent beaucoup plus proche de son fils aîné, Simon, en pleine forme. Je voulais aussi un homme amoureux de sa femme, et qui au départ, part en France pour soigner son petit garçon davantage pour elle que pour Jules-César.
J’avais envie de questionner la paternité face à la maladie. C’est un sujet dont on parle très peu. La mère d’Augustin ne peut pas venir en France, d’une part parce qu’elle n’est pas compatible avec son fils et d'autre part, elle est enceinte de leur troisième enfant. Donc le père et le fils se retrouvent face à face. Et celui-ci est parfois difficile, tendu. On voit peu et on parle peu de cette relation père/enfant. Dans les hôpitaux pour enfants, on voit surtout des mères, en France comme au Sénégal.
Vous avez écrit que dans ce roman, vous aviez voulu montrer « que du pire, on peut faire naître le meilleur de chacun ».
Chacun des personnages, à sa manière, illustre cela. Bien sûr, Augustin qui, petit à petit, va poser des actes d’amour. Au départ, il agit par devoir et ensuite, par amour. Plus qu’un rein, Augustin va lui donner sa vie, c'est un don d’amour total. D'autres personnages vont également évoluer, à l'image de Monsieur Jeanjean, leur voisin, un vieil homme aigri par sa souffrance, mais qui va être capable de tendresse au contact de Jules-César.
En France, Jules-César rencontre différentes personnes, certaines formidables, d’autres plus peureuses ou plus lâches devant sa maladie. Lui-même est parfois très courageux et parfois plus faible. Est-une façon de montrer que face à la maladie, les émotions, les réactions, les cheminements sont multiples et tous humains, finalement ?
Dans mon roman, tout est un peu exacerbé, mais il s’agit effectivement de montrer que personne n'est manichéen, tout n’est pas tout noir, ni tout blanc. De la même façon, chaque pays a ses limites et ses richesses.
La maladie est un révélateur de nos fragilités et de nos forces. Face à la maladie ou au handicap, certaines personnes atteignent leurs limites et d’autres parviennent à trouver en elles des ressources qu’elles ne soupçonnaient pas. Par exemple, sa maîtresse, qui au départ, est très fuyante face à Jules-César, va finir par se rapprocher de lui lorsqu’elle arrive à le considérer comme un enfant et non plus comme une personne malade. Ce roman interroge nos faiblesses et notre humanité.
Jules-César, Anne-Dauphine Julliand, Editions Les Arènes, octobre 2019, 384 pages, 19 euros (prix France), bientôt disponible à la librairie des 4 vents.
