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ART NUMÉRIQUE - Le concours Africa ArtBox, une initiative de Trias Culture

MARIA LUISA ANGULOMARIA LUISA ANGULO
Écrit par Lepetitjournal Dakar
Publié le 7 septembre 2017, mis à jour le 21 septembre 2017

Rencontre avec Maria Luisa Angulo : Artiste et économiste d’origine salvadorienne vivant en Afrique depuis 2006, Maria Luisa Angulo est la fondatrice de Trias Culture. Sa démarche est le résultat de sa formation artistique dans le champ de la danse contemporaine et de son expérience comme économiste dans le secteur du développement.

Le croisement entre ces deux disciplines lui a permis d’orienter son parcours professionnel vers le secteur de l’économie créative et d’entamer depuis 2000 des recherches sur le croisement entre technologies numériques, création artistique et développement culturel. Dans cette démarche elle a mis en place une première initiative au Salvador et plus tard au Sénégal, afin de promouvoir l’accès aux technologies numériques dans le milieu artistique et culturel dans ces régions du monde.

Trias Culture

 

Qu’est-ce TRIAS CULTURE ?

TRIAS CULTURE est une entité que j’ai créée au Sénégal en 2008 à Dakar, afin de promouvoir l’intégration et l’appropriation des technologies numériques dans les milieux de l’art et de la culture.

Depuis, j’ai développé diverses initiatives : des ateliers de création numérique en collaboration avec des artistes africains et d’ailleurs (France, Canada, Belgique, Espagne), des ateliers techniques en partenariat avec des professionnels pluridisciplinaires (informaticiens, développeurs, artistes visuels, etc.), des conférences au Sénégal et à l’international, entre autres.

En 2012, j’ai mis en place le label de formation TRIAS NUMERIKA. Il s’agit d’un programme de formation en entrepreneuriat culturel mais axé sur l’intégration des technologies numériques dans la structuration professionnelle des artistes. Des thèmes tels que la e-communication, la e-réputation, le community management, par exemple font partie du cursus de formation.

Un volet d’ateliers grand public a été aussi développé auprès des jeunes des quartiers populaires à Dakar et des groupements des femmes. Pour les jeunes, il s’agit de leur offrir une fenêtre aux nouvelles formes de création artistiques et aux usages plus innovants des technologies numériques.

Avec les groupements de femmes, nous organisons particulièrement des ateliers de photo participative, proposant à ces femmes très engagées dans le développement de leur quartier, de prendre la parole à travers l’image et de rendre plus visible leur travail.

Est-ce la première fois que vous organisez un tel concours ?

TRIAS CULTURE est la continuité d’une première initiative que j’ai mise en place au Salvador entre 2000 et 2007. Lors de cette première expérience, j’ai organisé l’un des premiers concours d’art numérique en Amérique Centrale et un festival d’art numérique. Ce concours nous a permis de créer une collection d’art numérique latino-américain, laquelle a été exposée dans plusieurs pays d’Amérique Latine ainsi qu’au Gabon et au Sénégal.

Le concours Africa ArtBox organisé aujourd’hui en Afrique est en quelque sorte la continuité de cette expérience centraméricaine.

Comment avez-vous eu l’idée ou l’envie de créer ce concours ?

Une fois établit au Sénégal j’ai continué mes recherches autour des croisements entre art, culture et technologies numériques. Issue du monde de la danse contemporaine, j’ai commencé à organiser à Dakar des ateliers d’expérimentation, en particulier avec des danseurs et des chorégraphes sénégalais mais aussi d’autres pays de la sous-région. Ces ateliers de recherche chorégraphique ont été combinés avec des ateliers techniques orientés aux informaticiens pour partager l’expérience et décoder les dispositifs utilisés pendant les ateliers de création. Les résultats de ce travail ont été présentés au théâtre de verdure de l’Institut Français de Dakar.

Ces ateliers nous ont permis d’expérimenter des médias et des technologies diverses: capteurs de lumière, flexion, télémètre, ultrason, la captation en temps réel de données, la caméra vidéo sous différents formats (HD, caméra vidéo de surveillance, téléphone portable), entre autres. Maintenant, avec le concours Africa ArtBox, l’idée est de capitaliser ces expériences, et de pouvoir créer un espace de convergence où ces artistes émergents peuvent se retrouver et se reconnaitre dans cette nouvelle discipline qu’est l’art numérique.

Mais avant tout, ce concours souhaite promouvoir le développement professionnel des artistes qui cherchent à construire une carrière dans le secteur des arts numériques. Pour cela, le prix du concours est une résidence de création au centre international Plataforma Bogota (Colombie), un lieu spécialisé, en mesure d’accompagner l’artiste dans la production de son œuvre. Par la suite cette œuvre sera exposée dans différents lieux en Afrique et ailleurs.

Le concours est ouvert à tous les artistes africainsâgés de plus de 18 ans. Il est ouvert aussi à des artistes non africains, mais installés en Afrique depuis plusieurs années, car nous considérons que ces artistes contribuent également à dynamiser le secteur.

Art numérique

En ce qui concerne les disciplines artistiques, le concours reste ouvert : les arts de la scène, la musique, les arts visuels, le vidéo-art, les installations, le Net-Art, les rendus 3D, la réalité virtuelle et augmentée, les dessins créés sur des téléphones, tablettes, ordinateurs, à l’aide de logiciels ou et des dispositifs numériques (tels que des capteurs, des tablettes, des téléphones mobiles, entre autres).

Finalement, ce concours est aussi une invitation à réfléchir sur nos réalités de plus en plus intangibles et sur l’impact que les mutations technologiques actuelles ont dans nos sociétés africaines en particulier.

Qu’est-ce que l’art numérique concrètement ?

L’irruption de technologies numériques a bouleversé profondément les concepts qui gouvernaient le monde de l’art, et la définition d’art numérique reste encore ouverte.

Mais sans entrer dans un exhaustif débat sur le sujet, je citerais l’article publié par l’artiste cubain Angel Alonso, membre de l’équipe de curateurs d’Africa ArtBox à ce sujet « Nous pouvons dire que nous sommes face à une œuvre d’art numérique quand elle a les mêmes motivations spirituelles que tout œuvre d’art, sauf que, au lieu d’être réalisée avec des pigments, du bois, de l’argile ou d’autres matériaux, elle a été produite avec un ou plusieurs médias numériques ». (Voir plus sur https://africa.artbox.digital/fr/une-approche-la-definition-lart-numerique ).

Les formats qui prennent les œuvres numériques sont très divers : nous pouvons être face à une œuvre intangible qui ne serait accessible que par le net (Net Art), nous pouvons également voir des  installations interactives, ou entendre parler de l’art génératif, immersif, réalité virtuelle, etc.

Aussi, nous pouvons avoir une œuvre numérique imprimée semblable à une photographie ou à un tableau (comme celle de l’artiste cubain Angel Alonso). Face à ça, le public se demande souvent est-ce qu’une photographie prise avec un appareil photo numérique est aussi de l’art numérique ? Pour répondre à cette question je cite à nouveau l’article d’Angel Alonso : « L’artiste Pop David Hockney dessine avec un iPad, par exemple, et son œuvre est reconnue comme de l’art numérique, bien qu’elle ressemble à ses peintures qu’il réalise avec les pigments, parce que le support est numérique. Cela nous amène à nous demander si la photographie imprimée est de l’art numérique. Je pense que pour qu’une photographie soit considérée comme de l’art numérique, elle doit intégrer un processus digital dans sa création, ce qui n’est pas le cas des photographies classiques prises simplement avec un appareil analogique ou numérique ».

Est-ce que l’art numérique est un secteur émergent dans la culture africaine ?

Oui, et on peut voir déjà certains pays comme l’Afrique du Sud ou le Kenya par exemple, qui montrent une dynamique plus poussée, avec des initiatives clairement orientées vers l’art numérique.

Au Sénégal, des nouvelles figures percent la scène de ces expressions artistiques contemporaines avec beaucoup de détermination, tel que la jeune artiste sénégalaise FAKEBA, en pleine ébullition sur le terrain encore vierge de la musique électronique. Pour TRIAS CULTURE Fakeba (https://www.facebook.com/fakebaofficial/) est un symbole de ces mutations, et le fait que ce soit une jeune femme qui défriche ces terrains rend la signification encore plus importante.

Pour ces raisons, nous collaborons actuellement avec cette jeune artiste, qui ayant plus d’accès au grand public, est le porte-parole du concours. Pour TRIAS CULTURE, cette alliance prend du sens dans la mesure où les deux propositions cherchent à ouvrir un chemin en Afrique pour ces expressions artistiques du XXI siècle.

Trias Culture

Une chose est certaine, malgré les difficultés qui frappent le continent (chômage, pauvreté, instabilité politique, etc.), l’Afrique est déjà dans l’ère du numérique.

Cette course vers une culture numérique est indéniable en Afrique, et l’art du continent ne peut pas échapper à une telle réalité.

Pouvez-vous nous donner des exemples de projets qui concernent les arts numériques ?

Je peux citer en particulier l’un des travaux qui ont été développés lors des ateliers de création « d-CLIC danse » que TRIAS CULTURE a initiés en 2010 :

Il s’agit d’une recherche chorégraphique intégrant des capteurs de mouvement, lesquels, manipulés par les danseurs pilotaient le son et l'image par l’interface d’un logiciel (Pure Date), permettant aux danseurs d’agir sur son environnement de manière amplifié et prolongée et en temps réel sur la scène.

Ces dispositifs permettaient aux danseurs par exemple, de déclencher une image noire suite à un mouvement, lui plongeant dans l'ombre donc invisible au spectateur, tandis que restant immobile, il pouvait faire revenir la lumière sur la scène. Cette même interaction entre le mouvement et  la lumière a été aussi intégrée avec le son et l’image: le danseur générait par ses gestes le son (ou le silence), sur lequel il dansait, ou des images qu’il pouvait faire apparaître ou disparaître dans différents espaces de la scène.

Art numérique

Comment peut se démarquer la culture africaine dans ce domaine ?

Je ne suis pas partisane de codifier l’art selon l’origine de l’artiste créateur (l’art africain, l’art latino-américain, européen ou autre), cependant on ne peut pas nier que la principale matière première d’un artiste est son environnement, pour cela on dit souvent que l’artiste est le principal témoin de son époque.

Dans ce sens, la culture Africaine a ses propres codes et aborde des thématiques que lui sont propres. Les sociétés africaines disposent encore d’un patrimoine culture très riche et varié qui, malgré tout, n’est pas une culture des musées, elle fait encore partie de la vie quotidienne.

L’adoption du Faux Lion comme mascotte du concours est pour nous la synthèse de cette « marque » africaine : malgré toutes les mutations que la société sénégalaise vit par exemple, le faux lion reste un personnage très populaire dans la culture sénégalaise.

Le défi est maintenant de savoir comment traverser la frontière vers la modernité avec nos bagages culturels, tel que notre faux lion, qui voyage vers des mondes nouveaux, en gardant l’empreinte de son histoire.

Logo Trias

Vous êtes donc en lien avec l’ambassade d’Espagne mais aussi avec la plateforme de Bogota ? Comment se sont fait ces partenariats ?

TRIAS CULTURE et l’ambassade d’Espagne, à travers son programme CULTURA DAKAR (https://www.facebook.com/culturadakar/), travaillent depuis plusieurs années pour l’émergence de l’art numérique et les entreprises créatives au Sénégal, et malgré les limitations financières, ce partenariat est inscrit dans une logique de développement visant la continuité.

CULTURA DAKAR a accompagné TRIAS CULTURE dans diverses initiatives : des ateliers numériques pour les jeunes des quartiers populaires à Dakar (Jardins numériques), des ateliers de danse numérique (d-CLIC danse), les premières éditions du programme de formation TRIAS NUMERIKA et les ateliers MUSICA 2.0, ainsi que les ateliers de photo participative pour les femmes (Visages de femmes).

La participation de CULTURA DAKAR comme l’un des principaux partenaires du concours Africa ArtBox est inscrit dans cette démarche de continuité, et cette collaboration n’est pas que d’ordre financier, elle se joué aussi sur le plan conceptuel et stratégique.

Je crois beaucoup à ce type de partenariat « Génération 3.0 » : de long terme, inscrit dans l’échange et l’engagement mutuel, capable de mobiliser ce qu’on appelle aujourd’hui « l’intelligence collective ». C’est cette même philosophie qui alimente notre collaboration avec nos partenaires tels que le PSE-J, Fakeba, Griot.com et l’ensemble des professionnels qui participent comme curateurs du concours.

Cette expérience d’Africa ArtBox, est pour moi un témoignage de ce type de collaboration: malgré le manque de ressources matérielles, financières et un environnement encore peu favorable, le projet a réuni une équipe d’entités et des professionnels engagés (https://africa.artbox.digital/fr/about/lequipe/ ) qui mettent au service du projet ses moyens et savoir-faire (communication presse, infographie, web design, comunity management, lobby, critique d’art, traducteurs, etc.), ce qui permet au projet de se développer.

Avec Plataforma Bogota (http://plataforma.idartes.gov.co/), il s’agit d’une collaboration plus récente et à son origine se trouve un jeune artiste colombien -Juan Pablo Pacheco (https://www.juanpablopacheco.com), Co-Directeur de Plataforma Bogota- qui est venu à Dakar pour faire un stage dans le cadre de ses études à San Francisco. TRIAS CULTURE a eu l’occasion de collaborer avec Juan Pablo dans l’organisation des ateliers de photos que l’artiste développait avec des jeunes adolescents dans l’un des quartiers populaires de Dakar.

Depuis son passage par Dakar, qui a duré quelques mois, Juan Pablo et moi sommes restés en contact, et quand j’ai décidé de lancer le concours, j’ai fait appel à lui car je voulais rapprocher cette expérience africaine à l’Amérique Latine.

Sur le fond, ce rapprochement me paressait vital, dans le sens qu’ayant eu la chance de vivre dans ces deux coins du monde, je suis persuadée que l’Afrique et l’Amérique Latine ont des choses à partager et je crois que ces deux continents ensemble ont un pouvoir énorme.

Avec un passé commun qui a contribué au riche métissage de l’Amérique Latine, ces territoires sont en pleines mutations. Habités par une population majoritairement jeune, ils sont des vrais laboratoires sur le plan économique, politique, technologique, sociétale, et malgré les conditions précaires auxquelles leurs populations sont soumises, ces deux continents fournissent les principales matières premières pour le monde dit «développé » : mines, pétrole, forêts, mais aussi leur jeunesse très mobile ; une main d’oeuvre bon marché qui fait tourner la machine économique dans la plupart des pays du nord.

Par cette approche, TRIAS CULTURE, à partir du Sénégal tisse des liens avec d’autres artistes latino-américains, tel que l’artiste cubain Angel Alonso (http://angelalonso-artist.blogspot.sn/), lui aussi complice de longue date, avec qui j’ai peut réaliser le concours d’art  numérique au Salvador.

Nous espérons qu’après cette première édition d’Africa ArtBox, le réseau Afrique – Amérique Latine puisse s’étendre dans les différents pays de ces deux continents et ouvrir plus des possibilités à une coopération sud-sud. 

Depuis juin, avez-vous eu beaucoup de candidatures ?

Il y a une cinquantaine d’inscriptions, et plusieurs artistes que nous contactent pour avoir plus d’informations. Mais puisqu’il s’agit d’un appel à projet, les artistes doivent rédiger leurs propositions. Si on s’attache au comportement normal, ce sont les dernières semaines que nous allons pouvoir mieux évaluer le niveau de participation.

Pour le moment nous faisons le nécessaire pour déployer l’information le plus largement possible et nous cherchons à mobiliser les réseaux de nos partenaires.

https://africa.artbox.digital/fr/

 

Propos recueillis par Claire Lapique (www.lepetitjournal.com/dakar) vendredi 8 septembre 2017

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Publié le 7 septembre 2017, mis à jour le 21 septembre 2017

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