

Comparée à Linda Lemay, Georges Brassens et Pierre Perret, Giedré Barauskait?, plus connue sous son nom de scène GiedRé, manie l'humour, l'ironie et la dérision dans des chansons crues et politiquement incorrectes visionnées des millions de fois sur YouTube. À 29 ans, cette Lituanienne qui vit à Paris depuis l'âge de sept ans sort Ma première compil', une compilation de ses meilleurs titres, de La baNde à JaCKY à TouTes des PuTes en passant par Pisser debout. Cette comique musicienne distille son humour décapant et son franc-parler au petitjournal.com le temps d'une interview avant un showcase organisé à la Fnac des Halles, à Paris.
Lepetitjournal.com - Sortir une compilation à 29 ans, n'est-ce pas un peu tôt ?
GiedRé - J'ai peur de ne pas vivre vieille, j'ai conscience que je peux me prendre un bus tous les matins dans la gueule, je ne vais donc pas attendre mes 80 ans pour faire une compilation. Il y a également une raison pratique : j'avais fait cinq albums avant cette compil', et les trois premiers n'étaient en vente que sur Internet. Ils ont très vite trouvé preneurs, plein de chansons sont donc restées discrètes. Et comme je suis fan de Joe Dassin, j'avais envie de faire comme lui, une compil'.
Vous rencontrez aujourd'hui des fans à la FNAC des Halles, pour un showcase. Ce genre de petit événement, par rapport à un concert qui rassemble beaucoup plus de personnes, est-il stressant ?
C'est finalement beaucoup plus stressant de jouer devant quelques dizaines de gens que 1500 personnes dans une salle sur scène, avec les lumières et tous les codes du spectacle. Là, il n'y a rien, je suis sous les néons, à un mètre du public.
Si j'ai des crottes de nez, tout le monde va les voir. Et puis je joue aussi devant des gens qui vont chercher des multiprises, des livres, des télévisions, c'est plus compliqué. En revanche, si ce que je fais est nul, ils ne sont que 150 à le savoir, ce qui me laisse le temps de rattraper le coup avant que la parole ne se répande. Si c'est devant 20.000 comme à Saint-Jean d'Acre aux Francofolies de La Rochelle?
C'est délicat de vous cerner, arrivez-vous à être sérieuse de temps en temps ?!
(rires) Dans la vraie vie, je suis professeur d'université, j'ai 65 ans et j'enseigne la sociologie. Mon art me permet donc de donner un peu de légèreté à tout cela.
Bien bien bien... Cette interview va être simple à gérer?
(rires), Bah il faut rigoler, non ? Sinon on se suicide ! En fait, je pense que l'on peut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux. Je vous jure qu'il y aura plein de vrai dans ce que je vais vous dire !
Très bien. Pourquoi refusez-vous qu'une maison de disque vous produise alors que c'est un but pour la plupart des artistes pour lancer une carrière ?
Cela n'a jamais été mon objectif car je n'ai jamais voulu faire des chansons en tant qu'artiste, comme un travail. J'aimais juste écrire des chansons, je les chantais à des copains et voilà. Mais à un moment donné, je n'avais pas de sou et trop de temps, je suis donc allée chanter dans les bistrots, mais sans prétention. Puis des gens m'ont dit que je devais le faire plus sérieusement. Je l'ai fait. Mais cela ne me ressemble pas d'aller dans une maison de disques, cela revenait à avoir des patrons qui vous disent quoi faire sur les chansons les paroles, les pochettes de disque, le timing de sortie? C'est trop "école de commerce" pour moi. Je suis control freak, j'aime faire les choses comme je l'entends.
"Je sais que des gens viennent à mes concerts juste
parce que je dis ?bite? dans mes chansons"
Oui. Enfin si on veut. J'ai eu la chance de rencontrer mon manager (Alain Lahana, ndlr) qui est également producteur de spectacles. Cela le faisait rire de faire les choses différemment. On a enregistré un premier disque dans un grenier avec un micro plus ou moins bien branché et des bruits de camion derrière la fenêtre. Avec les sous générés par le premier disque, on a fait le deuxième, etc. On fait que avec ce qu'on a. Quand les gens n'achèteront plus de disques, j'arrêterai. J'ai l'impression d'être honnête.
Vos textes sont crus, vulgaires même diront certains. Vous balancez un peu aussi? Mais vous chantez pour quoi exactement ? Égayer, réveiller, dénoncer ? Y-a-t-il finalement un vrai message dans vos chansons ?
Je fais partie des gens qui ne lisent jamais les explications des ?uvres dans les musées. Je n'ai donc pas envie de donner le mode d'emploi de mes chansons. Les gens doivent l'accueillir comme cela leur parle. Je sais que des gens viennent à mes concerts juste parce que je dis "bite", ce n'est pas grave. C'est noble de vouloir s'amuser. D'autres viennent pour d'autres choses. Je ne veux pas faire des choses didactiques, je fais confiance aux gens.
Pensez-vous qu'ils comprennent ce que vous dîtes ?
J'enlève les gens de la confrérie du premier degré, qui disent ce que mes clips sont nuls car faits sur fond vert. Ça, ce n'est pas grave. Mais sinon, les retours que j'ai sont chouettes car ça prend une ampleur humaine. Pour le titre La baNde à JaCKY, on m'avait dit "fais gaffe quand même, les handicapés vont pas être content quand ils vont entendre cette chanson". Mais j'ai reçu pas mal de lettres d'handicapés pour me dire que c'était bien car "tout le monde se fout effectivement que nous ne puissions pas niquer ! Étant donné que tu te moques de tout, tu te moques de nous donc on fait partie du tout, c'est cool". Cela m'a amené à faire des trucs géniaux comme être marraine d'un festival "Sexualité et handicap".
Cela ne m'intéresse pas trop. Je ne suis pas fan des trucs marqués dans le temps. C'est dangereux. Là, le problème n'est pas Hollande ou Sarkozy, il faut regarder dans toute cette situation dans sa globalité. En parler dans une chanson, c'est risqué. Je préfère faire autre chose. Une chanson doit faire sens quelle que soit l'époque où on l'écoute. Je cite parfois des gens précis, comme Florent Pagny, donc ça contredit des propos. Même si je m'en fous de lui !
Votre chanter-parler sans détour fait penser à Linda Lemay, Georges Brassens, ou Pierre Perret. C'est énervant d'être sans cesse comparée à d'autres ?
Ces comparaisons ne m'énervent pas car elles sont flatteuses ! Mais j'ai toujours eu du mal à donner mes influences. J'ai peur de rien écrire si je m'identifie à qui que ce soit de connu. J'étais influencé oui, par plein de choses et pas que musicalement, je parle là de lectures, poètes, théâtre. La vie quoi.
Vous n'avez pas envie de chanter vraiment parfois, avec de la voix, et pas que des paroles ?
J'ai mis du temps à dire que j'étais chanteuse, je disais que je faisais des chansons. Mais au fil des tournées, à force de chanter les mêmes chansons, il faut se donner des trucs pour ne pas en avoir marre de faire les mêmes choses, donc je tente d'autres chansons, des "vraies". Mais je continue à dire que je fais plus de la chanson que je ne suis chanteuse.
"En France, j'ai un peu ce complexe de l'immigrée permanente.
On ne me le fait pas sentir, mais c'est parce que je suis blanche."
Elle est partie de Lituanie pour des raisons personnelles et je suis bien contente que ce soit ici ! En tant que personne, j'ai un peu ce complexe de l'immigrée permanente où on dit merci de tout et on ne se plaint pas car c'est super d'avoir la sécurité sociale et l'intermittence du spectacle. On ne me le fait pas sentir, mais c'est parce que je suis blanche? Quand nous sommes arrivés ici, c'était la fin de l'URSS. Aller en France c'était comme aller sur Mars aujourd'hui. Après, c'est compliqué de dire que je pense de la France en peu de mots. C'est évidemment une chance énorme pour nous qui sommes là d'être dans un pays dans lequel on a la de droit de pousser sa liberté, d'essayer au moins. On nous interdit plein de trucs, mais en tant qu'artiste on a le droit de casser ces barrières.
Quand vous êtes en tournée, vous vous sentez?
Je ne me sens pas française, mais plutôt comme une Lituanienne qui habite en France, une Lituanienne de culture française. Quand j'arrive en Lituanie, je suis l'enfant du pays qui a réussi. (rires), Celle qui pourra ramener les cousins pour leur refaire les dents ! (rires)
Êtes-vous célèbre en Lituanie ?
Pas vraiment ! Autant les Lituaniens n'ont aucun mal à se mettre tout nu pour faire des saunas avec 50 personnes qu'ils ne connaissent pas et sauter à poil dans la neige, autant lorsqu'il s'agit de parler de trucs intimes, il n'y a plus personne ! Donc vous imaginez bien qu'il est compliqué de chanter mes chansons là-bas ! (rires)
Que signifie votre prénom Giedré ?
C'est Lituanien. C'est quand il a fait très très moche et qu'il commence à y avoir un peu de soleil, comme une éclaircie. C'était ça ou Audra, qui veut dire la tempête. J'ai dû garder un peu de l'autre (rires).
Votre maman est-elle contente de ce que vous faites ?
Elle s'y fait. (rires). Elle vient me voir de temps en temps. Au début, je ne lui disais pas quand je faisais des concerts, du coup elle venait avec des copines et se déguisait. Au bout d'un moment, je lui ai dit que les fausses moustaches étaient ridicules.
C'est donc de votre mère que vient votre goût pour les tenues fantaisies que vous portez !
J'aime bien tout ce qui est coloré oui ! Et je suis pareille dans la vie ! Je déteste les magasins, mais j'adore les friperies, les Emmaüs, les trucs qui sentent la naphtaline, qui viennent de l'Allemagne de l'Est.
Pour terminer, pourquoi écrivez-vous vos titres de chansons et vos messages Facebook en mélangeant lettres majuscules et minuscules ?
Au départ, je trouvais injuste que seule la première lettre d'une phrase soit en majuscule, majestueuse. Et puis je me suis rendue compte que lorsque l'on en mettait partout, cela donnait une sensation de danse des lettres. Tout est calculé, chaque lettre. Cela prend du temps, parfois trois à quatre jours pour un message. Mais je suis persévérante, et c'est important pour moi.
Jérémy Patrelle (www.lepetitjournal.com) vendredi 2 janvier 2015

