Dans la première partie de son article, l'auteur, spécialiste de la BD, retrace les différentes périodes de la BD en Hongrie, de la "pourriture impérialiste" jusqu'à sa renaissance
Selon l'anecdote, c'est à la suite des propos énoncés en 1949 par le camarade Constantine Finogenov ? délégué par les dirigeants culturels de l'URSS pour mettre au pas l'art contemporain hongrois ? et ayant qualifié la bande dessinée de "pourriture impérialiste", que Mátyás Rákosi, premier secrétaire du parti communiste hongrois, fit bannir la bande dessinée de tous les organes de presse du pays.
Il ne sera permis à la BD de refaire surface que dans la deuxième partie des années 1950, et encore n'était-ce que sous la forme particulière d'adaptation d'oeuvres littéraires bien connues, dessinées toutefois par des artistes hongrois de grand talent. Par contre, les séries américaines d'avant-guerre importées des King Features ne reparaîtront plus jamais.
C'est à ce moment-là que la BD franco-belge fit une apparition timide sur la scène hongroise. A noter en premier : les illustrés du groupe de presse communiste. Avec L'Humanité, l'organe central du parti frère, purent être distribués en Hongrie (comme dans d'autres pays du bloc soviétique) Riquiqui, Roudoudou, Pipolin et surtout Vaillant, le journal le plus captivant. C'est ce dernier qui introduisit en Hongrie une bande dessinée plus moderne, où les personnages commençaient déjà à s'exprimer en bulles.
Buksi
Pour ceux qui ne parlaient pas français, il fallait cependant attendre encore un peu. Dès 1959 paraissait Buksi, un hebdomadaire contenant des bandes dessinées choisies dans Spirou, Tintin et Vaillant et traduites en hongrois. Malheureusement, il s'agissait en fait de la version hongroise du journal yougoslave (serbe) Kekec qui n'était disponible que dans la région frontalière.
Buksi
Pourtant, Buksi contenait des perles de l'époque : Lucky Luke, Chlorophylle, Clifton, Modeste et Pompon y cotoyaient Jerry Spring, Dan Cooper et Le Chevalier Blanc. Le tirage grimpa rapidement pour atteindre les dix mille exemplaires. Hélas, cette première expérience ne dura guère : en 1962, le parti communiste yougoslave décida que Kekec laissait trop de champ à l'influence occidentale et ordonna un changement de format et de contenu pour le journal serbe, tandis que la version hongroise devait cesser de paraître.
Forum Astérix
Quelques années plus tard, Forum, l'éditeur de Buksi , tenta une autre approche en publiant en alternance des albums d'Astérix et de Lucky Luke (sous le nom de "Talpraesett Tom"). Cette série eut un beau succès et put durer jusqu'en 1987. Et ce qui est plus important encore : à part ses tout premiers titres, elle bénificia d'une distribution nationale en kiosque en Hongrie.
Forum Talpraesett Tom
A partir de 1968, enfin, les séries franco-belges firent leur entrée dans les journaux hongrois qui, jusqu'à ce moment-là, ne publiaient que des adaptations littéraires hongroises. Pajtás, l'organe officiel des jeunes pionniers, fut le premier à se hasarder avec Pif le chien, puis Placid et Muzo, Pifou et Ludo, tous issus de Vaillant, tandis que l'hebdomadaire de mots croisés Füles (seul journal hongrois à publier sans interruption des bandes dessinées depuis son premier numéro paru en 1957 jusqu'à nos jours) présentait une version écourtée et adaptée à son format des aventures de Bob Mallard et des Pionniers de l'Espérance.
Bob Mallard, Füles
Par rapport à la période précédente, les années 1970 virent arriver un véritable déluge de BD, en grande majorité tirées, il est vrai, de Pif Gadget, le successeur de Vaillant. Nous ne connaissons pas le détail des accords conclus entre éditeurs hongrois et français, mais c'est certainement dans le cadre d'un échange plus ou moins officiel que pouvaient paraître dans Pajtás les aventures de Loup-Noir, Rahan et Dr. Justice. Qui plus est, un mensuel nommé Kockás fut lancé en 1981, consacré en quasi exclusivité à des reprises de Pif.
Kockás 1
Entre-temps, le magazine IPM lança un mensuel destiné aux enfants nommé Alfa et choisit d'y inclure une nouvelle traduction d'Astérix et de Lucky Luke (renommé cette fois-ci en « Villám Vili », toujours pour conserver l'allitération). Cette version était due au poète et humoriste de génie György Tímár.
Alfa Astérix
A noter encore une courte histoire de Moebius dans l'un des premiers numéros dans la prestigieuse revue de science fiction Galaktika, que l'on peut considérer la première BD quelque peu alternative qui ait vu le jour en Hongrie.
Avec la chute du régime communiste et le changement radical de la politique de prix des journaux, le marché de la presse hongroise connut un bouleversement dramatique. Une grande partie des périodiques qui avaient publié des BD franco-belges disparurent (le dernier numéro de Pajtás parut en 1988, celui d'Alfa en 1990, Kockás et Hahota s'arrêtèrent en 1992), et petit à petit, les éditeurs hongrois durent reconnaître qu'ils leur faudrait désormais porter un plus grand respect aux droits des auteurs étrangers.
L'arrêt quasi simultané de toutes ces publications créa un vide douloureux que ne pouvaient remplir les nouveaux magazines trop peu nombreux ? et éphémères ? qui essayaient alors de rattraper le courant contemporain de la BD internationale. Pourtant, Hepiend publia un épisode de Jonathan Cartland dessiné par Michel Blanc-Dumont et Magnum Song de Jean-Claude Claeys, tandis que Krampusz ? en plus d'auteurs italiens tels que Milo Manara et Hugo Pratt ? se tourna vers les bandes de Druillet et de Moebius.
Falomlás
Toutefois, durant toute cette période, les BD ne paraissaient en Hongrie que dans la presse, que ce soit sous forme de rubrique régulière ou de magazine. Unique lueur d'espoir en 1990 : la nouvelle filiale hongroise du groupe suédois Semic se rallia à la coédition internationale de l'ouvrage collectif édité par Pierre Christin intitulé Après le mur, qui contenait les oeuvres de Mézières, Tardi, Bilal, Giraud, Juillard, Goetzinger, Boucq, Cabanes et Floc'h. Il s'agissait probablement de la première bande dessinée disponible en librairie en Hongrie. Faux départ s'il en est ? il faudra attendre plusieurs années avant de voir la création d'un rayon BD.
La deuxième partie de cet article concernera le passé récent et la situation actuelle des BD franco-belges en Hongrie.
Antal Bayer (www.lepetitjournal.com/Budapest) mardi 21 septembre 2010