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OLIVIER WEBER – Reporter de guerre et écrivain nous parle du métier de journaliste

Écrit par Lepetitjournal Brisbane
Publié le 29 novembre 2016, mis à jour le 30 novembre 2016

Alors qu'il était de passage à Brisbane pour un séminaire donné à UQ en association avec l'Alliance Française de Brisbane, Olivier Weber a accepté de répondre aux questions du petitjournal.com de Brisbane.

Les théâtres de guerres du monde ont fait partie du quotidien d'Olivier Weber pendant plus de deux décennies, période durant laquelle il a couvert une vingtaine de conflits et vécu aux côtés d'une quinzaine de guérillas.

Khmers rouges, Talibans et leurs actions ont été dans le collimateur de ce journaliste engagé. De grandes figures de la lutte contre l'oppression telles que l'opposante birmane Aung San Suu Kyi, le Dalaï Lama et le « Lion du Pandjchir », plus connu sous le nom du « Commandant Massoud » ont été interviewées par cet aventurier.

Véritable sommité dans le domaine du journalisme, Olivier Weber reçoit en 1992 le prix Albert Londres, sorte de Pulitzer à la française qui récompense le meilleur grand reporter de l'année.

En tant que correspondant à l'étranger pour The Sunday Times, The Guardian, Libération, et Le Point, ce journaliste d'exception a traversé le globe de long en large de l'Asie Centrale à l'Afrique en passant par le Moyen-Orient.

L'Irak et l'Afghanistan n'ont pas échappé à sa plume, que celle-ci s'exprime par le biais des différents journaux pour lesquels il a travaillé, par des documentaires qu'il a réalisés pour la télévision française ou encore, par ses romans qui rendent comptes d'une réalité par le prisme de la fiction. Parmi ses ?uvres : La Mort blanche, La Confession de Massoud, Le Grand Festin de l'Orient- pour n'en citer que quelques-uns.

Alors autant dire que l'annonce de sa venue la semaine dernière à l'occasion d'un séminaire donné à University of Queensland en association avec l'Alliance Française de Brisbane a été vécue comme une chance, et lepetitjournal.com au eu l'occasion de lui poser quelques questions.

Face aux critiques de plus en plus virulentes qui s'élèvent contre l'objectivité journalistique et un système médiatico-politique supposé, notamment lors de l'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis envers et contre tous (et dans une moindre mesure en France avec la primaire « ouverte de la droite et du centre » et la victoire inattendue de l'ancien Premier Ministre François Fillion), il est apparu intéressant d'interroger Olivier Weber sur ce métier qu'il connait si bien.

Lepetitjournal.com/brisbane : Pouvez-vous nous donner votre définition du journalisme ? La définition d'écrivain serait-elle différente ?

Olivier Weber :  Pour moi le journalisme est une manière de rapporter les faits du monde et sa course, de les analyser, et d'établir un pont entre ces évènements et le public. Le journalisme fait également partie d'un formidable projet : être un contre-pouvoir, surtout en démocratie. Ainsi, la presse est une composante même de ce régime. Défendre sa liberté, c'est aussi garantir la pérennité de tous les autres droits de l'homme et de la démocratie.

Lorsque l'on est écrivain cette fois, on s'inspire souvent du réel pour inventer, même dans les fictions les plus pures. Mais cette invention est elle-même bien souvent une réinterprétation du réel, une manière de l'analyser, de dénoncer ses perversions, ses guerres, et autorise parfois un réenchantement du monde. Celui-ci va vite, très vite, avec des données qui nous échappent et qui échappent de plus en plus aux Etats concurrencés sur le plan international par d'autres entités (terroristes bien sûr mais aussi les entreprises?).

La littérature permet ainsi de restituer ce magma, de lui donner une consistance, de le digérer. C'est tout la beauté du roman, celui qui nous fait réfléchir en nous renvoyant à nous-mêmes, celui qui nous redonne courage et foi en l'être humain : ce barbare intelligent qui ne cesse, comme le disait le philosophe Merleau-Ponty, de ?réinventer la cruauté' .

Pouvez-vous partager votre vision de l'objectivité journalistique avec nos lecteurs ?

Je pense que le critère le plus important est l'honnêteté. L'objectivité est souvent un leurre : le choix des titres, la hiérarchisation de l'information et des idées, et même l'enquête et sa restitution sont soumis à la subjectivité du journaliste. L'objectivité normative « absolue », serait même une dérive dangereuse. Dans tout ce que l'on écrit, c'est le « je » qui parle de manière inconsciente, il y a toujours une construction, une mise en perspective qui relève du sujet. Et c'est là que doit intervenir l'honnêteté. 

 Que répondez-vous aux critiques d'un système médiatico-politique et au monopole de l'information détenu par une poignée de milliardaires aussi bien aux Etats-Unis qu'en France avec les groupes Dassault, Lagardère, Arnault et plus récemment Bolloré et Canal + ?

 La presse doit sans cesse se remettre en question. Le journalisme doit continuer à mettre en place des garde-fous, se protéger des ingérences politiques et économiques. Ces garde-fous existent : la déontologie, et les chartes de journalistes. Et l'éthique existe ! J'y crois beaucoup. Encore une fois, sans la presse, certains régimes politiques évolueraient vers des dérives inquiétantes. Et je constate aussi que dans de nombreux pays, les journalistes exercent leur métier avec courage : en Afghanistan, au Pakistan, en Colombie, en Inde. La profession est souvent décriée, mais on n'imagine pas les risques pris par nombre de journalistes dans le monde, qui rêvent de pouvoir rendre compte de situations, de conflits, de prévarications, à faire la lumière sur des agissements et des méfaits : à dire la vérité. 

Votre prochain livre sera une biographie de l'écrivain-journaliste Jack London (ndr : l'auteur notamment de l'?Appel de la forêt' et ?Croc-Blanc') qui a vécu pendant sa jeunesse à San Francisco, ville où vous avez étudié l'économie, qu'est-ce qui vous passionne chez de telles figures ?

London est un personnage qui m'a toujours fasciné, par sa volonté, son combat contre la pauvreté de ses origines, son imagination, sa vie d'aventurier. Avant d'être reporter de guerre, j'ai dû travailler très jeune durant mon adolescence : berger en haute montagne à trois heures de marche du premier village, puis ouvrier dans le bâtiment dans l'arrière-pays niçois, plongeur sous-marin, sauveteur en mer, maître-nageur, et j'ai passé mon bac en gagnant ma vie. Mon rêve c'était d'écrire et de voyager, et de tenter de coucher sur du papier ce que l'on pouvait voir du monde. Le roman est un genre incroyable en cela qu'il permet d'aller plus loin. C'est une alchimie. Le roman permet de dépasser la simple description des faits, notamment lorsque l'on a été reporter de guerre comme Hemingway, Dos Passos, Kessel, et London. Ce sont des auteurs qui m'ont éclairé depuis mon enfance et dans mes voyages aux quatre coins du monde j'emmène souvent plus de livre que de vêtements (rires !)

 

Olivier Weber

Au travers de vos voyages, il vous est arrivé de rencontrer certaines des plus grandes figures de la lutte contre l'oppression, je pense notamment au Commandant Massoud auquel vous avez dédié plusieurs romans dont « La Confession de Massoud » parue en 2013 chez Flamarion, pouvez-vous nous en dire davantage ?

C'est vrai qu'au cours de mes voyages j'ai pu croiser le chemin et interroger des personnalités éminentes comme Aung San Suu Kyi, opposante à la dictature militaire birmane que j'ai rencontré à Rangoon pendant une expédition avec les guérillas locales, ou encore le Dalaïlama qui a été une rencontre absolument exceptionnelle pour moi.

Parmi ces personnes figure sans aucun doute Ahmad Chah Massoud que l'on surnommait le Lion du Pandjchir, ce chef de guerre afghan qui avait résisté et repoussé les soviétiques dès 1979 puis les talibans dix ans plus tard.

Je crois qu'il existe deux types de personnes : les gens de tous les jours et ceux qui dégagent un charisme hors du commun, le Commandant Massoud faisait définitivement partie de la deuxième catégorie. J'ai été très impressionné par lui et j'ai vu son évolution pendant plus de dix ans au cours de nos différentes rencontres.

Il a été un chef de guerre mais également un fervent défenseur de l'Islam des Lumières. Sa force ? Avoir fait partie des frères musulmans à l'âge de 23 ans. Il savait ce qu'était le fondamentalisme, il savait ses dangers et plutôt que de sombrer dans cette pensée, il s'en est éloigné. Il avait fait du Pandjchir un laboratoire des idées, en ouvrant par exemple des écoles pour femme à un moment où les talibans les bannissaient des bancs de l'éducation.

Le 9 septembre 2001, deux jours avant les attentats du Word Trade Centre, il était assassiné par Al-Qaïda. Six mois avant, il était en visite officielle en France et je n'avais pas pu le voir à cause d'un banal accident de vélo qui m'avait laissé blessé (ironique lorsqu'on traverse le monde en échappant à la mort). C'était la 42ème tentative d'assassinat contre le Commandant Massoud, s'il avait échappé à ses poursuivants, s'il avait survécu deux jours de plus avant l'intervention américaine en Afghanistan, alors l'avenir de toute la région aurait été changé, voir même celui du monde puisqu'il y aurait eu un interlocuteur pour reconstruire le pays. 

Pour finir cher Olivier, quels sont vos projets ?

Je viens de finir d'écrire une biographie sur Jack London et j'organise une expédition en Sibérie accompagnée par des aveugles. 

Cela se passe de commentaires?

 

Séminaire UQ

A n'en pas douter, Olivier Weber eu une vie trépidante à côtoyer et tutoyer les plus grands héros des dernières décennies. Celui qui se définit comme un « enfant de la République » a du mal à réaliser tout le chemin qu'il a traversé. Il conclut simplement : « je suis en vie », contrairement à certains de ses frères de plumes.

Elève brillant durant toute sa scolarité et récipiendaire d'une multitude de bourses, il ironise encore sur les raisons qui lui ont permis de continuer ses études, lui donnant la chance de réaliser ses rêves : « ils ont surement pris les copies de mon voisin pour les miennes » s'amuse-t-il.

Celui qui s'émerveille encore des parcours d'Ernest Hemingway ou de Jack London ne se rend pas compte que son histoire n'a rien à leur envier ; que les récits de ses aventures en Erythrée lorsqu'il avait 23 ans, ou de ses franchissements de frontières caché dans des camions font briller d'admiration les yeux de ses interlocuteurs, que ceux-ci appartiennent à un parterre subjugué de l'Université du Queensland, ou plus humblement à un jeune journaliste qui se rêverait bien en globe-trotteur subjectif mais honnête, armé de sa plume dansante.

Propos recueillis par Mathieu Pennella (lepetitjournal.com/brisbane), le jeudi 24 novembre 2016 et photographies de l'Alliance Française de Brisbane.

Publié le 29 novembre 2016, mis à jour le 30 novembre 2016

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