Connaissez-vous le pont Simón Bolivar ? Symbole de l’immigration vénézuélienne, à seulement quelques kilomètres de Cucuta. Chaque jour, près de 37.000 Vénézuéliens traversent la frontière en direction de la Colombie. La plupart tentent de fuir la crise sociale, économique et politique qui ravage leur pays. Dans des conditions de voyage difficiles, ces exilés partent pour “avenir meilleur.”
“Nicolás Maduro a détruit notre pays,” s’exclame Sonia, 65 ans, traînant son sac sur le sol. Elle, comme déjà près d’un million de Vénézuéliens, a déjà passé la frontière [Sources : Migracion Colombia]. “Chez nous, on ne peut plus manger, il n’y a plus de nourriture,” poursuit-elle, les pieds couverts de boue. Cette femme voyage avec sa meilleure amie. Ces deux retraitées vont rejoindre leurs familles en Colombie, et “trouver un avenir meilleur.” Maria, elle, a passé le pont il y a trois semaines. Elle doit désormais se prostituer pour survivre : “Je n’ai pas le choix, j’ai deux enfants à nourrir.”
C’est en 2013, lors de l’élection de Nicolás Maduro, que la situation commence à se dégrader. Le nouveau président du Vénézuéla succède au défunt Hugo Chávez, qui durant des années, a su profiter de l’argent du pétrole pour mettre en place de nombreuses aides sociales. A cette époque, le pays commence à se développer, la criminalité et la pauvreté diminuent. Mais lors de la chute du prix de l’or noir, Maduro met fin à plusieurs de ces réformes populaires. Rapidement, la pauvreté refait surface, les aliments et les médicaments deviennent rares et coûteux, et le pays connaît le plus fort taux d’inflation au monde : +1 000 000 % selon le Fond Monétaire International. La mauvaise gestion des entreprises récemment nationalisées, le manque de diversification de l'économie, les sanctions internationales, et les guerres monétaires aggravent encore plus la situation.
Alors, nombreux sont les Vénézuéliens qui décident de fuir. “La majorité des gens partent vivre en Colombie, au Pérou, en Equateur ou au Chili”, confie Jonathan, sur le pont Simón Bolivar, “mais certains d’entre eux traversent la frontière juste pour acheter de la nourriture et des médicaments.” Ceux-là, on les appelle les “migrants pendulaires”.
“Dans notre pays, nous n’avons plus rien à manger”
D’autres encore, sont là juste pour le business. Sous la tente des forces de police vénézuéliennes, un homme est arrêté. Comme des dizaines d’autres, il tente de faire passer de la nourriture pour la revendre à Cucuta. Cet “handicapé” avait sa méthode : cacher 7kg de viande sous son fauteuil roulant. Pris sur le fait, il repart bredouille, à pied, rejoindre ses collègues contrebandiers. “ll faut empêcher cette pratique, car dans notre pays, nous n’avons plus rien à manger. Imaginez alors si nos concitoyens commencent à vendre le peu qu’il nous reste,” explique un lieutenant, en train de fouiller de nouvelles valises, elle aussi remplies de denrées alimentaires.
Face à cette scène, Maria s’indigne. Elle observe les milliers de migrants marcher dans la boue, tous trempés par l’averse. “C’est terrible de voir ça. Avant la “révolution”, cette région était très sympathique à visiter. Aujourd’hui, la migration amène drogue, vols et insécurité à Cucuta.” Selon cette professeure, “de nombreux enfants passent chaque jour la frontière pour se rendre à l’école colombienne.”
“La situation est très difficile dans leur pays,” lance Deivis, passeur de migrants. Son job : accompagner les Vénézuéliens jusqu’en Colombie, leur trouver un logement, à manger, et leur faire éviter les quartiers dangereux. “Entre l’insécurité, la chute du Bolivar, le prix de la nourriture, et des enfants qui meurent dès le plus jeune âge.. c’est insurmontable ! Là-bas, 1kg de viande coûte un mois de salaire soit 2 millions de Bolivares.”
Quelques mètres plus loin, côté Colombie, la Croix-Rouge s’active pour répondre à la demande des malades. Cette ONG est présente depuis trois ans, et fournit chaque jour, eau, nourriture, et soins médicaux. “On ne soigne que des petites maladies, comme la fièvre ou les douleurs d’estomac..”, assure le chef-médecin, Juan Carlos. Ici, pas d’endroit pour dormir. Juste de quoi trouver une aide temporaire, avant de reprendre la route.
“On apporte la foi en Dieu à toutes ces âmes désorientées”
Même les témoins de Jéhovah sont sur place. “On apporte la foi en Dieu à toutes ces âmes désorientées,” explique José, Nouveau Testament en main. En plus de prêcher la bonne parole, ces hommes apportent un logement provisoire aux plus démunis. La pluie tombe de plus belle, l’orage gronde et la rivière est en furie. Par ce temps, les migrants ne sauront pas dire non à toit au-dessus de leur tête.