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Jhostin, 15 ans, Vénézuélien, seul contre tous

adolescent migrant Vénezuelaadolescent migrant Vénezuela
Voilà deux mois que Jhostin a passé illégalement la frontière. Crédits : Nicolas Baggioni
Écrit par Nicolas BAGGIONI
Publié le 7 avril 2019, mis à jour le 7 avril 2019

Jhostin David n’est qu’un adolescent. Ce jeune homme de 15 ans a décidé de fuir le Venezuela. Il refuse d’endurer plus longtemps la crise économique et sociale qui gangrène son pays. Il y a deux mois, il quitte sa famille, ses amis, et traverse la frontière illégalement, pour se réfugier en Colombie. Aujourd’hui, ils sont près d’un million à avoir suivi le même parcours.

Il est midi, Jhostin salive devant une pub de KFC. Dans ses vêtements sales et malodorants, il fait le tour de ce petit snack de Cucuta pour réclamer un peu de nourriture. Voilà deux mois qu’il (sur)vit ainsi, seul contre tous, dans cette “jungle” qu’est devenue la frontière vénézuélienne..

Pour comprendre la crise au Venezuela, il faut revenir en 2013, date du décès du président socialiste Hugo Chávez. Nicolás Maduro lui succède et se voit confronté à la chute du prix du pétrole. La mauvaise gestion des entreprises récemment nationalisées, le manque de diversification de l'économie, les sanctions internationales et les guerres monétaires n’ont fait par la suite qu’aggraver la situation.

Les nombreuses aides sociales mises en place sous Chavez, financées par la vente de l’or noir, disparaissent petit à petit. Les denrées alimentaires et l’accès aux soins deviennent rapidement extrêmement rares et coûteux, conséquence  d’un taux d’inflation-record : +1 000 000 % selon le Fond Monétaire International.

 

“Je préfère dormir dans les rues en Colombie que dans ma propre maison au Venezuela”

Résultat, cette année là, près de 37 000 personnes ont passé la frontière quotidiennement. Certains partent y vivre, d’autres y travailler, et d’autres encore pour vendre leurs biens, ou acheter nourriture et médicaments. Leurs objectifs : pouvoir se nourrir sans se ruiner, se soigner sans s’endetter, et retrouver un climat de sécurité. “Je préfère dormir dans les rues en Colombie que dans ma propre maison au Venezuela,” nous confie-t-il, en grignotant le reste d’une part de pizza. Car au Venezuela, le coût des aliments est devenu insoutenable : “Si le kilo de farine coûte 400 000 bolivars [~4.30€ en juin 2018], le salaire minimum, lui, est de 2 millions de bolivares.”

Mais pourquoi partir seul ? Pas de réponse. Un regard vide, pensif. Jhostin a pourtant une grande famille de l’autre côté du Pont Simón Bolivar, lieu devenu symbole de l’immigration vénézuélienne. Ses parents ont divorcé, puis se sont remariés. Dans ces conditions, il est plus difficile de subvenir aux besoins familiaux. “Mon père doit travailler sept jours pour que l’on puisse manger pendant trois jours,” explique-t-il, en donnant quelques croûtes de pizza à un autre exilé.

"J’ai bien une grand-mère ici, à Cucuta, mais je ne peux pas loger chez elle. Elle n’a pas assez d’argent pour me nourrir. Alors dès que j’ai assez pour m’acheter des pâtes ou du riz, je vais cuisiner chez elle.” Une autre solution pour passer à table : la Divina Providencia, un centre d’accueil excentré de Cucuta, où chaque soir et matin, il y est possible de manger gratuitement. “Encore faut-il avoir de l’argent pour se payer le bus qui va là-bas”, lance-t-il, en remplaçant sa sucette par une cigarette.

 

Il poursuit son histoire, scotché devant un match de foot. Le restaurant est rempli de supporters. Jhostin croise les doigts, et fixe le téléviseur avec passion, soutenant une équipe locale. “Ici, je me sens Colombien, je ne me considère pas Vénézuélien. Je n’aime pas mon pays.”

Le match est terminé, son assiette est vide. Direction l’église San José pour nous montrer où il passera la nuit: “Comme beaucoup d’autres, je dors sous le porche.” Il boite en marchant. “J’ai dû me faire une entorse,” affirme-t-il dans le doute car,  ”ici, les soins sont payants.” Sa blessure devra guérir avec le temps. Ce soir, il reviendra pour dormir, protégé de la pluie. Seules les flaques d’eau atteindront son bout de carton. “Il existe des endroits mis à disposition par l’église, comme le Centre de l’immigration, mais je suis mineur, je n’ai pas le droit d’y aller.”

Le soleil n’est pas encore couché. Dans la rue, Jhostin continue de quémander. Quelques pièces par ci, un billet par là... En général, il récolte près de 10 000 pesos par jour [3€]. Combinés avec l’argent gagné par son seul et meilleur ami, “Chilipa”, aussi venu du Venezuela : "A deux, on arrive à s'en sortir."

Son rêve : partir à l’autre bout du monde. Face à l’église, en ce dimanche pluvieux, il imite l’avion qui prendrait la direction de la Tour Eiffel. Avant de viser Paris, il compte se rendre un jour à la capitale : Bogota. “J’irai dans une ferme, et je trouverai du travail !”. Pour Jhostin, l’aventure est loin d’être terminée..

Nicolas Baggioni
Publié le 7 avril 2019, mis à jour le 7 avril 2019

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