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Deuxième tour de l'élection présidentielle. Des risques de fraudes ?

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Écrit par Coline Damieux-Verdeau
Publié le 17 juin 2018, mis à jour le 29 juin 2018

Coline, correspondante du Petit journal à Medellin a passé une journée au sein d’une équipe internationale d’observateurs électoraux lors du premier tour de l'élection présidentielle, elle raconte son expérience et nous éclaire sur la question des fraudes électorales en Colombie.

 

Il est 7h30 et des dizaines de personnes sont déjà en train d’attendre que s’ouvrent les portes du bureau de vote. Nous sommes à Medellin pour le premier tour des élections présidentielles et j’enfile ma tenue d’observateur international, chemise au nom de la Misión de Observación Electoral (MOE) qui nous encadre, badge et formulaire où seront reportées les éventuelles irrégularités. Notre rôle ? Vérifier, tout au long de la journée et dans différents bureaux de vote, que le processus de vote  soit bien respecté. La journée commence sur un terrain de foot transformé pour l’occasion en bureau de vote. Avant l’ouverture, l’équipe d’observateurs internationaux que nous formons vérifie auprès de chaque bureau de vote que tous les documents nécessaires sont  réunis et que les urnes n’ont pas été truquées (remplies de bulletins avant le début du vote). L’hymne colombien retentit à huit heures précises et, les centaines de personnes présentes se mettent à chanter. A l’ouverture du bureau de vote, l’émotion est palpable. 

 

Pourquoi mettre en place un tel dispositif d’observation lors de ces élections ? Tous ceux qui vivent en Colombie ont entendu parler de la pratique de « compra de votos » et de fraudes électorales. C’est que la Colombie a une histoire compliquée en la matière. Depuis le dix-neuvième siècle, la fraude électorale a toujours été présente dans le paysage politique colombien et peu d’élections nationales se sont déroulées sans suspicion d’irrégularités au cours du vingtième siècle. Société très polarisée, régions isolées et insuffisance de présence de représentants de l’État lors des élections, les explications sont nombreuses. 

 

Un arsenal juridique qui peine à éviter totalement les fraudes

Afin de remédier à cette situation, le code pénal colombien a été doté de plus d’une vingtaine de délits caractérisés en matière électorale. Il faut dire qu’il y a mille et une façons de commettre des fraudes électorales. Les plus fréquentes ? En première place l’achat de votes. Une pratique tellement courante et bien rodée qu’on lui a même donné un nom : le “carrousel”. C’est une technique mise en place par les fraudeurs pour s’assurer que les personnes dont ils ont acheté le vote votent effectivement pour le candidat désigné. Le matin de l’élection l’acheteur se procure dans un bureau de vote les bulletins vierges, coche le nom de son candidat puis distribue les bulletins aux votants complices. Comme preuve qu’ils ont bien glissé dans l’urne le bulletin que l’acheteur leur a remis, ils lui rapportent le bulletin vierge obtenu au bureau de vote. 

 

Mais ce n’est pas la seule façon de s’assurer que les votes achetés vont bien au candidat désigné. Les acheteurs se servent également d’une possibilité offerte par la loi colombienne aux votants de se faire accompagner par un tiers s’ils ne sont pas en mesure de voter seuls. Il est alors facile pour l’acheteur d’envoyer des complices (en général des enfants qui diront que les personnes qu’ils accompagnent sont leurs parents ou grands-parents) s’assurer de ce qui est fait  dans l’isoloir. Cette technique a été déclinée à grand échelle dans le cas de maisons de retraite et d’asiles psychiatriques : un complice interne à l’établissement de santé achemine les votants au bureau de vote et, en les accompagnants dans l’isoloir, vote tout simplement à leur place. Cela sous-entend bien sûr une complicité de la part de ceux qui surveillent le vote, les « jurados », qui ferment les yeux. Quant aux fraudes classiques d’altération du résultat des votes par les jurados eux-mêmes, au moment du dépouillement….  nous avons tous vu les images de formulaires falsifiés lors du premier tour… 

 

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Ce sont les fraudes les plus répandues le jour de l’élection, mais il y en a des dizaines d’autres qui peuvent se dérouler en amont. Et les acteurs sont multiples : un fonctionnaire qui refuse l’inscription de “cédulas” dans un bureau de vote, le patron d’une entreprise qui incite plus ou moins subtilement ses employés à voter pour tel ou tel candidat, jusqu’aux menaces de groupes armés sur les populations pour leur faire voter pour un candidat, les dissuader d’aller au bureau de vote, voire même les en empêcher physiquement. Heureusement, s’il est un type de fraude dont on puisse assurer qu’elle a réellement baissé lors de ces élections, c’est bien celle-ci : la pression des groupes armés pour empêcher la tenue d’élections. Grâce àl’accord de paix, les FARC sont devenu un parti politique et ont cessé ces pratiques. L’ELN, principale guerilla active dans le pays a également annoncé des cessez le feu lors des différentes élections de cette année. 

 

Une volonté de transparence qui se fait entendre

Voilà ce qui constitue la réelle nouveauté de ces élections : la peur de la violence politique se dissipe progressivement en Colombie et cela se sent. L’étau se desserre, et la jeunesse en particulier compte bien rompre avec la culture de la fraude électorale. Des voix se sont faites entendre dans tout le pays, notamment dans les grandes villes, avec l’organisation de manifestations pour demander - voire exiger- que ces élections présidentielles ne soient pas entachées de fraude. 

Dans ces manifestation, on croise en grande majorité des jeunes, voire très jeunes, pour qui il s’agit à la fois du premier vote et de la première manifestation. Parmis eux, ceux qui on fait le choix de voter pour Colombia Humana (Petro) et Compromiso Ciudadano (Fajardo), deux candidats porteur d'idées “neuves” sont nombreux. C’est aussi le cas pour le Partido Liberal Colombiano (De La Calle), Centro Democratico (Duque), etc. Comment expliquer ce regain d’intérêt politique de la part des jeunes et cette mobilisation inédite pour la transparence électorale ? « On ne veut plus avoir peur » me répond Santiago, 24 ans, originaire de Medellin, « ma région souffre depuis longtemps de la pression des groupes paramilitaires, et encore aujourd’hui des groupes comme les Aguilas Negras diffusent des menaces sur les réseaux sociaux à l’encontre de ceux qui voteraient pour certains candidats. Mais aujourd’hui on ne veut plus avoir peur d’eux, on veut se sentir libres de voter pour le candidat de notre choix, et pouvoir le dire haut et fort ». 

Ces jeunes ont eu accès aux informations politiques bien plus par le biais des réseaux sociaux que des médias traditionnels. Une façon de court-circuiter les grands médias du pays qui diffusent une information parfois partiale. 

Ces jeunes s’indignent aussi du manque de transparence de la classe politique en général; beaucoup m’ont cité le cas du Procureur Général de la Nation Néstor Humberto Martínez. Celui-ci avait, tout en déclarant des cas de fraude électorale avérées au sein du Congrès du département Atlantico, refusé de révéler quel parti politique en était responsable, avant que ne se termine le second tour des présidentielles.  

 

A la veille du second tour, l’espérance d’un scrutin sans irrégularités

Mais revenons à notre journée électorale, qui si elle se déroule sans problème relatif à la sécurité, n’en est pas pour autant exempte de toute irrégularité. En effet, à Medellin, on a pu constater des locaux proches des bureaux de vote, où des partisans clairement affichés de l’un des candidats enregistrent les cédulas des votants avant leur passage au bureau de vote, afin de les « aider à s’orienter ». Espérons que nous n’aurons pas à signaler ce genre d'événements lors du second tour. 

La culture de la « compra de votos » ne disparaîtra pas en un jour. Mais ces élections sont porteuses d'espoir  pour une partie de la population et, surtout chez les jeunes, la volonté de ne pas se laisser « voler » leur vote s’accroit.. Une lutte pour la transparence dont on espère qu’elle se poursuivra dans un pays dont le paysage politique se transforme et où l’offre politique se diversifie. 

Coline Damieux-Verdeau
Publié le 17 juin 2018, mis à jour le 29 juin 2018

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