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Marie-Emmanuelle, championne d’équitation entre France et Thaïlande

Marie Emmanuelle Tulaya BanomyongMarie Emmanuelle Tulaya Banomyong
©Régis LEVY - Marie-Emmanuelle Pène en compagnie de sa mère et agent sportif, Tulaya Banomyong-Pène, petite fille de Pridi Banomyong
Écrit par Régis LEVY
Publié le 7 juin 2019, mis à jour le 7 juin 2019

Marie-Emmanuelle Pène, jeune franco-thaïlandaise étoile montante du saut d’obstacles et arrière petite fille de Pridi Banomyong, effectue actuellement un stage à Pattaya avec la fédération thaïlandaise d’équitation qui lui confie d’importantes responsabilités, alors qu’elle devra bientôt choisir entre ses deux patries.

Dotée de la double nationalité française et thaïlandaise, la jeune championne de saut d’obstacles à cheval Marie-Emmanuelle Pène effectue actuellement un stage en Thaïlande, où elle se voit confier la responsabilité d’entraîner huit chevaux de la fédération thaïlandaise d’équitation (T.E.F.). Elle a choisi lepetitjournal.com pour évoquer sa passion et sa dualité culturelle qui vont l’amener à faire un choix déterminant pour la suite de sa vie et de sa carrière.

C’est dans le cadre élégant et reposant du Thai Polo Club de Pattaya, qui héberge les écuries de la fédération thaïlandaise d’équitation (TEF), que la sportive nous reçoit en compagnie de sa mère et agent sportif, Tulaya Banomyong-Pène, petite fille de Pridi Banomyong qui fut nommé premier ministre en 1946. Homme clé de l’histoire récente du royaume, il est considéré comme le père de la démocratie thaïlandaise pour avoir rédigé en 1932 la constitution mettant fin à la monarchie absolue. Écarté du pouvoir par un coup d’État, il s’est réfugié en France où il avait fait ses études et acquis des idées socialistes.

 

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Marie-Emmanuelle Pène à l'entrainement au Thai Polo Club de Pattaya (Photo courtoisie)

 

Une enfance à cheval sur deux continents

Marie Emmanuelle, qui fêtait ses 20 ans hier, étonne par ce fort contraste qui se dégage d’elle. Derrière un visage presque adolescent se révèlent rapidement maturité et force tranquille, qualités que l’on rencontre fréquemment chez les personnes ayant beaucoup voyagé durant leur enfance. 

La fonction de son père chez EDF l’ayant amené à changer régulièrement de lieu de vie, la famille s’est installée en Corse après que Marie Emmanuelle ait passé les trois premières années de sa vie en Argentine. C’est là qu’elle a immédiatement appris à monter à cheval, sous l’impulsion de sa mère, elle-même ancienne cavalière.

Une première compétition dès l’âge de cinq ans a confirmé que le virus de l’équitation était bel et bien inoculé.

« C’est dans l’ADN et c’est devenu pour moi quelque chose de vital, de nécessaire, comme de se brosser les dents le matin, nous confie-t-elle. Monter à cheval est un besoin, c’est ma vie. Si je pars en vacances, être éloignée des chevaux me déprime et le seul fait d’en voir dans un pré me réconforte ».

Après huit années passées sur l’île de beauté, le clan Pène-Banomyong a déménagé pour la Guyane française. C’est là que Marie-Emmanuelle a commencé à pratiquer l’équitation plus sérieusement, avec des entrainements réguliers. Au point de remporter deux titres de championne de Guyane en 2013 catégorie club et 2014 en catégorie amateur, « avec un cheval avec lequel je formais un bon couple », se souvient-elle. 

Ces titres lui ont valu d’être sélectionnée deux fois pour participer aux championnats de France d’outremer à Lamotte Beuvron où, avec son équipe, elle a décroché une médaille de bronze en 2013 et le titre de vice-championne en 2014. 

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Marie-Emmanuelle Pène lors du Championnat de France des As 2017 à Auvers en Normandie (Photo courtoisie)

 

Détection précoce par les fédérations de ses deux patries

Dès son premier championnat de France, un certain Colonel Fuangvich Sam Aniruth-Deva, qui n’est autre que le directeur technique national et vice-président de la Fédération Thaïlandaise d’Equitation se trouvait dans les tribunes pour la suivre…

Ces résultats ont amené Jacques Robert, alors vice-président de la Fédération Française d’Equitation (FFE), à contacter la mère de Marie-Emmanuelle. Ayant détecté le talent précoce et le sérieux de la jeune championne, il lui a proposé de venir en métropole pour franchir de nouveaux paliers. Mère et fille sont donc parties en 2016 pour rejoindre les réputées écuries Laporte à Riom et travailler avec deux excellents coachs.

Et, comme prévu, elle a accompli des progrès rapides et constants avec son cheval Urby du Saint Laurent, avec qui elle avait décroché le titre de vice-championne de France club en 2014. « C’est un cheval que j’avais découvert la veille de la compétition, s’enthousiasme-t-elle. Sur le papier, rien ne le désignait comme un crack, bien qu’il possède un excellent pédigrée, mais mon entente avec lui fut immédiate. Cette alchimie entre le cavalier et le cheval est ce qu’il y a de plus important à mes yeux.

C’est essentiel, mais assez difficile à expliquer. C’est vraiment une histoire de couple, ça prend ou pas. 

Voyant les bons résultats obtenus par le binôme et l’enchainement des parcours sans faute, sa mère lui a fait une énorme surprise en faisant son acquisition pour qu’il devienne son cheval attitré, son partenaire. « C’est un cheval qui a un tempérament de champion, explique Tulaya, il déjoue tous les pronostics ». 

 

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Marie-Emmanuelle Pène en 2013 félicitée pour sa médaille de bronze à Lamotte Beuvron par Jacques Robert, alors vice-président de la Fédération Française d’Equitation (Photo courtoisie)

 

Urby du Saint Laurent : la rencontre décisive

À force de travail, les progrès du couple furent rapides. Dès la première année, le duo est passé de barres situées à 1,15 mètre à une hauteur de 1,30 m, alors que les capacités d’Urby, avant son acquisition, étaient évaluées à seulement 1,20 m. Cette évolution rapide a permis à Marie-Emmanuelle d’être en avance sur le tableau de marche dès la catégorie cadet. 

La cavalière pense d’ailleurs qu’il dispose encore d’une belle marche de progression. « C’est désormais moi qui suis la limite et nous allons progresser ensemble, graduellement, tient-elle à préciser avec la lucidité et l’humilité qui la caractérisent. C’est un cheval atypique et je n’ai pas envie de le casser en sautant les étapes, en voulant aller trop vite ». 

Pour confirmer cette marche en avant, Marie-Emmanuelle a réussi en 2017 un excellent score au critérium des As, le championnat de France des cavaliers âgés de 26 ans et moins. Urby sortait de convalescence et elle s’y rendait sans pression, davantage pour effectuer une reprise que pour viser un gros résultat. Et le couple a encore réalisé un parcours sans faute, résultat que seuls le champion d’Europe et la jeune cavalière sont parvenus à obtenir et qui l’a qualifiée automatiquement pour la finale.

Avec une barre durant cette ultime épreuve, Marie-Emmanuelle s’est hissée sur le podium de la dernière journée pour terminer neuvième sur l’ensemble de la compétition.

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Marie-Emmanuelle Pène présente son dernier trophée remporté en mai à l’Ecole internationale d’équitation Horseshoe Point de Pattaya (Photo Régis Lévy)

 

Sport et études supérieures ou l’exigence du haut niveau 

Dans la foulée, Marie-Emmanuelle a obtenu son baccalauréat à tout juste 18 ans et entamé un cursus sport-études de niveau excellence à l’ESC Clermont-Ferrand, avec le statut SHBN (sportif de haut et bon niveau) que ses résultats aux As lui ont permis d’obtenir automatiquement. Très mature pour son âge, elle a toujours voulu assurer ses arrières en menant de front ses études et l’équitation, quitte à faire beaucoup de sacrifices et se priver de nombreux loisirs ou distractions qu’affectionnent généralement les jeunes de son âge. « Dans ce sport il peut toujours se produire un accident et mieux vaut disposer d’une porte de sortie si cela se produit. J’ai déjà chuté lourdement avec Urby, avec comme conséquence pour mon partenaire la micro fracture d’une cervicale qui lui a valu six mois d’arrêt.  Cette discipline n’est pas sans risque pour le binôme », raconte-t-elle posément.

Le statut de sportif de haut niveau lui permet désormais de bénéficier de bourses qui financent les onéreux déplacements qu’elle doit effectuer pour les championnats, mais il comporte aussi des obligations, comme de s’entrainer au minimum trois ou quatre fois par semaine. Pour rendre cela possible, elle peut bénéficier d’aménagements d’horaires pour ses études. Il faut en outre suivre un cahier des charges précis et rendre des comptes régulièrement, avec la tenue de ce qui pourrait s’apparenter à un carnet de notes. 

Cumuler deux activités aussi exigeantes et chronophages qu’un bachelor d’école supérieure de commerce et l’équitation de compétition n’est pas sans difficultés. La première année, Marie-Emmanuelle fut particulièrement compliquée, le temps de trouver le moyen de gérer les deux activités sereinement. L’énergie considérable demandée par cette double vie n’est pas sans engendrer une fatigue importante, qui nécessite un temps de récupération conséquent. Elle doit en outre faire des sacrifices sur les loisirs, comme les soirées entre amis, parvenant d’elle-même à s’autodiscipliner.

Elle pense aujourd’hui avoir trouvé le bon équilibre entre ses activités, même si elle admet qu’il est difficile d’être excellent dans les deux matières. Le stage très enrichissant qu’elle effectue actuellement en Thaïlande et le programme qui l’attend près de Saumur dès son retour en France — où elle participera de nouveau au Championnat de France amateur qui se déroulera au Mans début août — sont d’ailleurs en train de la convaincre de miser davantage sur son sport, même si elle compte bien obtenir son bachelor.

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Marie-Emmanuelle Pène lors d'un concours de saut d'obstacle en mai à l’Ecole internationale d’équitation Horseshoe Point de Pattaya (Photo courtoisie)

 

Un choix quasi cornélien à effectuer

Le DTN Thaïlandais suit l’évolution de Marie-Emmanuelle depuis ses treize ans, tout comme la fédération française. Dans cette compétition pour attirer la championne, la fédération thaïlandaise est particulièrement active. Dès 2016, elle avait invité Marie-Emmanuelle à participer à une compétition dans le cadre du Thai Polo Club pour lui faire découvrir l’environnement équestre thaïlandais.

La dualité culturelle de Marie-Emmanuelle va l’amener à effectuer un choix quasi cornélien entre deux options aux approches radicalement différentes. La Thaïlande tient visiblement à l’intégrer à son équipe nationale et lui déroule le tapis rouge. Le Colonel Fuangvich Sam ANIRUTH-DEVA, qui lui prête actuellement sa demeure au sein du Thai Polo Club, l’encourage à s’installer dans le royaume et à tout miser sur l’équitation, disant qu’elle n’aura pas besoin de ses diplômes ici. Et si elle tient malgré tout à poursuivre ses études, il serait envisageable de faire venir des professeurs directement au centre de la fédération. 

En France, elle doit assister à un rassemblement fédéral annuel, durant lequel l’encadrement exprime une opinion différente et insiste pour que les espoirs poursuivent leurs études coûte que coûte et disposent d’une possibilité de reconversion si la pratique du sport de haut niveau doit s’arrêter soudainement pour une raison ou une autre. 

La confiance que lui témoigne la TEF, l’envie forte de connaître plus en profondeur la Thaïlande, qui fait partie pour moitié de ses racines, et le fait d’y disposer de davantage de garanties qu’en France de la part de la fédération, risquent de peser dans la balance à l’heure de prendre une décision. Marie-Emmanuelle aimerait apprendre à parler thaï et découvrir plus d’aspects de la culture siamoise, même si elle admet ne guère connaître la France métropolitaine. Elle avoue volontiers être déjà conquise, comme beaucoup, par la cuisine, le mode de vie et le climat de la Thaïlande,  plus proche de celui de la Guyane que du Massif central. 

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Marie-Emmanuelle Pène en compagnie de sa mère et agent, Tulaya Banomyong-Pene (gauche), et du Colonel Fuangvich Sam ANIRUTH-DEVA (droite) (Photo courtoisie)

Et paradoxalement le fait d’être connu dans le milieu sert davantage pour percer en France auprès des éleveurs de chevaux qu’en Thaïlande où elle peut bénéficier immédiatement de l’aide de sponsors. « Si en France je ne dispose que d’un seul cheval, ici j’en ai huit ! » indique la jeune femme. Cela dit, elle assure apprécier d’être reconnue pour ses compétences et non pas pour son nom prestigieux qui pourrait lui apporter de nombreux privilèges. 

Enfin la perspective de participer dans le futur aux J.O., avec la possibilité d’ouvrir le palmarès de médailles de la Thaïlande en jumping est pour le moins tentante. Et pour preuve du dynamisme et des efforts déployés par la fédération thaïlandaise, l’équipe nationale de concours complet, coachée par le français Maxime Livio, actuel n° 3 mondial, vient de se qualifier pour les J.O. de Tokyo.

Lucide, la jeune championne sait qu’elle doit encore progresser pour être capable de sauter régulièrement des barres à 1,60 m, mais ces critères risquent de peser dans la décision qui l’amènera à poursuivre sa progression sous un drapeau bleu, blanc et rouge. Reste à savoir si ces couleurs seront alignées verticalement ou horizontalement. 

Peut-être alors suivra-t-elle cette maxime chère à sa famille : « si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens ». Verdict en décembre prochain lors des « Asian Championships » qu’elle disputera à Pattaya face aux meilleurs cavaliers sélectionnés par les nations participantes ?

Publié le 7 juin 2019, mis à jour le 7 juin 2019

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