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Les conflits entre humains et animaux sauvages dans l'Inde rurale

Aujourd’hui, nous abordons les conflits entre humains et animaux sauvages dans les campagnes indiennes, où vit 70% de la population. Victime de son succès en matière de protection animale, l'Inde voit les effectifs des espèces protégées augmenter, engendrant des problèmes de cohabitation avec les humains. Des millions d'Indiens sont concernés par ces conflits. Chaque État connaît sa part de conflits dans le partage du territoire entre les humains et les animaux. Quels sont ceux qui ont retenu le plus l’attention ?

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Image : Magda Ehlers (Pexels, CC)
Écrit par Liliam Boti Llanes
Publié le 29 avril 2024, mis à jour le 5 mai 2024

Les chiens errants, les singes, vaches et buffles sont une source constante de conflits entre humains et animaux dans de nombreuses villes indiennes. Mais aujourd’hui, nous aborderons les conflits entre humains et animaux sauvages dans les campagnes.

Le paradoxe induit par la protection des espèces protégées en Inde

Dans presque tous les États, les populations d'animaux protégés sont en hausse. Mais les zones qui leur sont consacrées pour y vivre restent essentiellement les mêmes, avec la même superficie. Dans certaines localités, on atteint la saturation du nombre d’animaux. Conjuguée à l'urbanisation croissante, cette situation n'a fait qu'exacerber les difficultés à coexister pacifiquement dans les espaces désormais partagés par les humains et la faune sauvage.
 

La protection des éléphants en Inde : un engagement croissant et de nouveaux défis

 

Léopards à Bijnor - Un conflit humain-faune préoccupant

Bijnor est un district relativement pauvre et isolé de l’Uttar Pradesh, tout en n’étant pas trop éloigné de Delhi. Vaste région agricole dédiée à la culture de canne à sucre destinée à l'industrie sucrière et à quelques unités agro-industrielles, le Bijnor connait une situation alarmante et les conflits se multiplient entre les populations villageoises et les léopards, dont il abrite environ 300 individus selon les estimations des autorités.

C’est dans un des villages de ce district qu’en novembre 2023, un garçon de 13 ans qui dormait dans la cour de sa maison a été la 17ᵉ victime, en huit mois, d'attaques de léopards dans la région. Son corps a été retrouvé à 400 mètres de chez lui, dans un champ de canne à sucre.

 

Léopard devant une bâtisse
Photo : Pexels


Les villageois ont manifesté leur colère et leur peur. Sachant que les léopards, comme les tigres, attaquent toujours leurs proies en leur sautant au cou, ils se protègent en allant labourer leurs champs une épaisse couche de tissu enroulée autour du cou. Les enfants vont et reviennent de l’école en groupes, munis de klaxons en plastique pour faire du bruit et faire fuir les animaux dangereux.

Mais ces mesures restent insuffisantes. La situation est telle que dans les villages, en 2024, personne ne sort la nuit tombée, sauf en cas d'absolue nécessité.

Les autorités peinent à trouver une solution durable, les zoos environnants n'ayant pas la capacité d'accueillir davantage de léopards.

 

Les Tigres

Dans les Ghâts occidentaux du Tamil Nadu, la population de tigres connait une forte croissance. Estimée à 382 individus en 2010, elle a atteint environ 828 tigres 10 ans plus tard.
 

La population des tigres indiens en hausse


Lors d'une récente interview, le député de la Réserve de tigres de Madumalai (dans les Nilgiris) a rappelé que chaque tigre a besoin d’un territoire d'environ 15 km². Mais dans certaines réserves, l'augmentation rapide des effectifs a considérablement réduit l'espace disponible par animal, atteignant parfois seulement 5 km². De plus, un tigre doit pouvoir chasser sur son territoire et se nourrir chaque semaine d'une proie de la taille d'un cerf.

Ainsi, pour maintenir une population de tigres en bonne santé, deux conditions minimales sont essentielles : un espace suffisant et des ressources alimentaires adéquates. Pour les individus vivant en périphérie des parcs nationaux, généralement les plus faibles, le territoire restreint et le manque de proies sauvages les poussent à s'attaquer au bétail des villages avoisinants.

 

Le cas des tigres du Maharashtra 

Depuis 2018, le Maharashtra enregistre environ 50 décès de tigres chaque année. Si la plupart sont dus à des causes naturelles, et si la croissance annuelle des populations n'est pas entravée, un tiers de ces morts résulte de conflits avec les humains.

Afin de réduire le nombre de conflits dus à la cohabitation entre les humains et les tigres, le Maharashtra a lancé des programmes de sensibilisation pour informer la population locale de la présence de tigres. Mais l'habitat des tigres est désormais fragmenté par des établissements humains : zones d’exploitation industrielle, extractions minières et autres activités économiques. Avec l’augmentation constante du nombre de tigres dans l’État, certains animaux, contraints à sortir des zones protégées pour explorer de nouveaux territoires, se retrouvent en situation de conflit avec les humains.
 

Mhadei : une nouvelle réserve de tigres en Inde

 

credit photo : Robert Stokoe @pexels.com
Photo : Robert Stokoe (pexels CC)


Les principales causes de décès non-naturels des félins sont le braconnage et l'électrocution. L'électrocution est une méthode privilégiée des braconniers, mais résulte également du fait que les agriculteurs électrifient leurs clôtures pour éloigner les herbivores qui ravagent leurs récoltes, provoquant des électrocutions accidentelles de tigres.

Les noyades, ainsi que les accidents ferroviaires et routiers, figurent également parmi les causes majeures de décès non-naturels, conséquences directes du contact avec le monde des hommes.

 

Les conflits entre tigres et humains dans le Tamil Nadu

Dans le Tamil Nadu, les problèmes sont pour l'essentiel les mêmes que dans le reste du pays. Mais l'année dernière, les autorités ont dû faire face à une augmentation des "abatages de tigres par vengeance" en représailles aux attaques contre le bétail.

En août 2023, dans les Nilgiris, deux tigres ont ainsi été retrouvés morts près d'une carcasse de vache empoisonnée intentionnellement par un villageois.

Tuer un animal sauvage répertorié à l'annexe I de la loi sur la protection de la faune est un crime passible d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois ans pouvant aller jusqu'à sept ans. Mais rien n'a pu arrêter les villageois
écœurés.

Une chasse aux tigres mangeurs d'homme dans le Sud de l'Inde


Le Département des Forêts a exprimé par la suite sa grande préoccupation face à l'augmentation de cette tendance, qui a déjà causé la mort d'un autre félin dans l'État.

La Haute Cour de Madras avait déjà eu à se prononcer sur ces conflits et a observé que permettre au bétail de paître à l'intérieur de la forêt causerait des dommages aux animaux sauvages et constituerait une menace sérieuse pour la faune. Elle s’est alors prononcée sur une interdiction de ces pratiques. Les autorités ont reçu l'ordre de ne permettre à aucun bétail domestique de s'aventurer dans les zones forestières du Tamil Nadu, mais cet ordre a déclenché une vague de protestations dans l'État. Des éleveurs habitant à proximité des parcs nationaux, habitués à emmener leur bétail sur ces terrains, se sont fortement opposés à cette décision. Finalement, le pâturage du bétail est devenu légalement autorisé dans les forêts en dehors des réserves de tigres, des sanctuaires et des parcs nationaux.

Le conflit, donc, est loin d’être résolu.

 

Les conflits de territoire avec les éléphants

Les éléphants sont considérés par le ministère de l'Environnement, des Forêts et du Changement climatique indien comme les "Animaux Patrimoine national du pays". Pourtant, leur protection reste compliquée, car la plupart des couloirs empruntés par des éléphants sont désormais envahis par les terres agricoles et d’autres activités humaines.

En moyenne, 500 personnes et 100 éléphants meurent chaque année à cause des conflits générés par la proximité des humains et des animaux.

 

Eléphants. Licence CC
Licence CC

 

Sensibiliser les communautés sur la nécessité de coexister avec les animaux ne donne pas toujours les résultats escomptés. Le gouvernement constate même que "le niveau de tolérance de la nouvelle génération vivant en lisière des forêts est moins élevé que celui des générations précédentes".
 

Trois éléphants tués sur la voie ferrée qui relie le Tamil Nadu au Kérala


Lorsque les éléphants pillent les récoltes, ils sont capturés et transférés dans d'autres forêts pour éviter les réactions de colère des villageois. Si jamais le même animal èrre à nouveau dans les villages ou tue accidentellement un humain, il peut alors être transféré dans un "camp d'apprivoisement". Mais ce n’est pas toujours l’option privilégiée. Les autorités ne voient pas forcément le fait d’apprivoiser les animaux sauvages comme une solution aux conflits.

 

Éléphants et humains au Kerala et dans le Tamil Nadu

L’État du Kerala n’est pas étranger aux conflits opposant éléphants et humains. Près d'un tiers de son territoire est recouvert de forêts et certaines zones connaissent actuellement un nombre élevé d’affrontements.

Au cours des quatre dernières années, le Kérala a déploré 57 décès humains causés par des attaques d'éléphants. En février 2024, la mort de deux personnes à Wayanad a provoqué une grève de l'aube au crépuscule dans tout le district.

Loin d'être résolus, ces conflits semblent exacerbés par les changements apportés par la société moderne. L'élevage, les plantations à proximité des zones forestières, les terres agricoles abandonnées, les déversements d'ordures, entre autres facteurs, n'ont fait qu'aggraver la situation.

 

Eléphants sauvages, dans le Keralam. Photo : Aruna at Malayalam Wikipedia
Eléphants sauvages, dans le Keralam. Photo : Aruna at Malayalam - Wikipedia

 

Cohabitation humains/animaux en Inde : un peu d'espoir

L'année dernière, un comité nommé par la Cour suprême a déclaré illégaux tous les complexes hôteliers privés, immeubles et maisons d'habitation construits sur le corridor des Éléphants de Ségur.

Ce corridor est essentiel pour relier la réserve de biosphère des Nilgiris aux Ghats occidentaux du Tamil Nadu et protéger la plus grande population d'éléphants d'Asie au monde, forte de plus de 6 000 individus.

Cette décision de respecter le parcours ancestral des éléphants est un pas dans la bonne direction. Elle démontre qu’il est possible de faire prévaloir leurs intérêts sur ceux des promoteurs immobiliers et donne de l’espoir pour l’avenir.  

 

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