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Bouillon de culture au Ubud Writers Readers Festival 2023

Le clap de fin de la 20ᵉ édition du Ubud Writers Readers Festival est tombé tard dans la nuit du 22 octobre 2023, clôturant quatre journées fourmillantes d’événements, colloques, happenings, débats et spectacles. Nous y étions ; voici un florilège des temps forts.

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Ubud Writers Readers Festival 2023
Écrit par Cécile Collineau
Publié le 16 novembre 2023, mis à jour le 12 septembre 2024

Les auteurs en premier plan 

Tout d’abord l’actualité littéraire : un grand plaisir d'écouter la grande dame des lettres indonésiennes Leila Chudori, venue présenter son nouveau roman Namaku Alam (pas encore traduit) en conversation avec l’auteur sri-lankais Shehan Karunatilaka qui a remporté le prestigieux Booker Prize en 2022 avec Les sept lunes de Maali Almeida (traduction française prévue en janvier 2024 - editions Calmann-Levy). Comment écrire sur les tragédies historiques récentes, les massacres indonésiens de 1965-66 et 1998 pour l’une et la guerre civile au Sri Lanka pour l’autre ? Tous les deux s'accordent à dire que “la littérature a pour rôle de rendre la parole aux victimes”.

Yan Lianke (dont 13 romans sont traduits en français - éditions Picquier), auteur phare de la littérature contemporaine chinoise, avait fait le déplacement depuis Pékin pour présenter son dernier livre Heart Sutra, qui est censuré dans son propre pays.

Deux écrivains plus jeunes, l’Indonésien Nuril Basri (son roman Le rat d’égout est traduit en français - Editions Perspective Cavaliere - il a remporté le prix du Roman Gay 2023) et la malaisienne Illya Sumanto, loins des phares braqués sur leurs aînés, se penchaient quant à eux sur la difficulté à se faire connaître non seulement sur les marchés étrangers mais y compris dans leur propre pays comme c’est le cas pour Nuril. La littérature queer était compliquée à être publiée en Indonésie, il écrit désormais en anglais. Une présence active et continue sur les réseaux sociaux et engager un agent littéraire pour atteindre le lectorat anglo-saxon sont deux éléments cruciaux pour percer. Tous deux ont évoqué sans fard leurs difficultés financières d’auteurs encore peu reconnus.

Le roman historique est un de mes genres littéraires préférés : la table ronde sur ce sujet ne m’a pas déçue. Un grand plaisir d'écouter cinq auteurs comparer leur savoir-faire, leurs approches, l'élaboration d’un personnage fictif dans un contexte réel. Et surtout les entendre parler de leurs recherches : leurs plongées dans les archives poussiéreuses des procès de sorcellerie en Angleterre du 17eme siècle, celles de de la Stasi en RDA, la correspondance entre l'épouse très dévouée de George Orwell et sa meilleure amie ou les paroles entendues sur les marches d’une mosquée à 2h du matin (“sans magnétophone car dès qu’on le sort les gens ne parlent plus”). 

Les deux sessions suivantes m’ont tout autant passionnée car elles touchent directement l'Indonésie :  

- Quels challenges rencontrent les traducteurs de l’indonésien vers l’anglais ? Le témoignage de John McGlynn en tant que fondateur de Lontar, l’éditeur qui a traduit le plus grand nombre d’œuvres littéraires indonésiennes, était fondamental ; celui d’Eka Kurniawan un de mes auteurs indonésiens préférés, (L’homme-tigre et Les belles de Halimunda - Editions Sabine Wespieser et livre de poche Folio) tout autant. Un exemple de difficulté : le mot warung doit-il être traduit ou laissé tel quel dans le texte ? A quel point faut-il internationaliser un texte pour plaire à un public étranger ?

- Où en sont les langues régionales en Indonésie aujourd’hui face à l'omniprésence du Bahasa Indonesia ? Pas très bien à en écouter les panélistes de cette session… Une spécialiste de la langue Sunda, un auteur Batak, un traducteur du javanais et un écrivain balinais évoquent les efforts surhumains pour maintenir leur patrimoine linguistique. 

Les lecteurs avaient aussi leur mot à dire : j’ai ainsi participé à la rencontre du club de lecture Indolit basé à Sydney et mené par la formidable Toni Pollard qui a assisté à chacune des 20 éditions du festival d’Ubud. En groupe, nous avons analysé en détail une nouvelle traduite du javanais par George Quinn et deux nouvelles de l’autrice Nukila Amal.    

 

UWRF : un festival des droits de l’homme déguisé en festival de littérature ? 

La question mérite en effet d'être posée. Le nombre de conférences dédiées à la politique, l'activisme et l'actualité, qu’elles concernent l'Indonésie ou le reste du monde, représente plus de la moitié du programme. Retenons celles-ci : 

Très attendue par les Australiens majoritaires dans l’assistance, Marcia Langton, une des principales voix en faveur du référendum sur la reconnaissance des Aborigènes dans la constitution australienne, n’a pas abordé ce sujet spécifique respectant ainsi la semaine de silence imposée par les Anciens suite au résultat négatif à 60%. Elle et le balinais Sugi Lanus, conservateur du musée Pustaka Lontar de Karangasem, ont comparé leurs histoires respectives, au fond très similaires : comment les autorités coloniales, britanniques pour l’une, hollandaise pour l’autre, ont fait fi des lois autochtones et comment les gouvernements actuels australiens et indonésiens continuent d’ignorer les textes ancestraux, en particulier sur l’expropriation de la terre. 

Hasard du calendrier alors qu’elle était programmée depuis plusieurs mois, l’intervention sur le conflit Israel-Palestine par Michael Vatikiotis, écrivain américain et diplomate privé, spécialiste de l’Islam et de l’Asie du Sud-Est (publié chez Gallimard), survenue juste deux semaines après l’attaque du Hamas en Israel, a fait salle comble .

Aujourd’hui plus que jamais les journalistes sont les héros de notre temps. Ecouter le fondateur du Jakarta Post, Jusuf Wanandi, et son rédacteur en chef actuel, Taufiq Rahman, fut une bonne piqûre de rappel au sujet de la liberté de la presse en Indonésie. S’affranchir des partis politiques et des conglomérats économiques assure l'indépendance de ce journal mais engendre une vulnérabilité y compris financière. Malgré tout, le Jakarta Post célèbre cette année son 40eme anniversaire. 

 

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Jusuf Wanandi et Taufiq Rahman et Sebastian Partogi du Jakarta Post.

Le dessin de presse n’est pas qu’une tradition française. L'américain Edel Rodriguez (illustrateur célèbre pour sa couverture satirique de Donald Trump pour Time Magazine) et l’intellectuel indonésien Goenawan Mohamad, ancien rédacteur en chef du magazine Tempo, ont comparé leurs expériences respectives : la censure par exemple (Tempo a été banni deux fois sous Suharto). Mais aussi le contrôle de la langue : sous Suharto, le Bahasa Indonesia est devenue “une langue standardisée, sans nuance, bureaucratique”. Ce fut aussi le cas préalablement sous Sukarno : l’art littéraire (poésie, roman) ne devait pas dépasser le cadre du réalisme social. Edel Rodriguez, d’origine cubaine, a lui fait un parallèle entre la rhétorique de Fidel Castro et celle de Donald Trump. 

Vivant dans un pays comprenant la plus grande population musulmane au monde, il m’a paru important d'entendre Muhammad Quraish Shihab, expert du Coran en Indonésie, de réputation modérée, jouissant d’une immense popularité. Ses fatwa sont très attendues par les Indonésiens : par exemple celle autorisant les Musulmans de souhaiter un joyeux noël aux personnes d’une autre religion, ou celle sur la liberté individuelle pour les femmes de porter ou non le hijab. Il donne l’apparence d’un grand père débonnaire aux allégories faciles à comprendre et au phrasé séduisant  (“Agama saya, Agama cinta” : la base de ma religion c’est l’amour ; ou bien en réponse à une question liée au terrorisme : “Ne blâmez pas la foi ; blâmez la personne”). On peut être en désaccord avec quelques-unes de ses prises de position, mais c’est tout l'intérêt de ce festival : la confrontation d'idées et l'écoute de l’autre même si on est d’opinion divergente.. 

 

Pas que des livres : des plaisirs épicuriens et des spectacles

On aurait tort de penser que ce festival est uniquement destiné aux rats de bibliothèque. Il s’adresse aussi aux papilles :

J’ai eu la chance de participer à un somptueux déjeuner offert par le singapourien Khir Johari, auteur de The Food of Singapore Malays, ouvrage magistral et richement illustré (avec ses 620 pages il pèse 3.5kg !). Son livre a reçu en 2023 le prix Best of the Best au Gourmand World Cookbook Awards, le plus grand prix littéraire culinaire au monde. Pour lui, la cuisine de Nusantara est la confluence de cultures : austronésienne, chinoise, indienne, arabe, persane, européenne. 

J’ai assisté au monologue poignant et captivant Dapur (La cuisine) par la comédienne, poétesse et activiste Luna Vidya, née en Papouasie de descendance Ambonaise, en hommage à Lily Yulianti Farid, autrice et fondatrice du festival du livre de Makassar décédée prématurement cette année : un texte féministe et intimiste. Cette performance a suscité une grande émotion dans l’audience.

 

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Dapur (La cuisine) par la comédienne Luna Vidya

Mais on ne peut pas être partout malheureusement. Je n’ai pas eu le temps d’aller au déjeuner en compagnie de l’anthropologue canadien Wade Davis dans le cadre enchanteur du Banyan Tree Resort. Je n’ai pas non plus observé au petit matin les oiseaux en compagnie du biologiste Darryl Jones sur la crête de Tjampuhan. Je n’ai pas pu participer aux nombreux ateliers, lancements de livres, projections de films... Il faudrait dix vies pour assister à tout. 

A l'année prochaine. J'espère sincèrement vous y retrouver.

 

Ubud Writers Readers Festival : Kit de survie

  • Choisissez un logement proche du festival, à moins de 5 minutes à pied du restaurant Mozaic : Ubud n’échappe pas à la malédiction des embouteillages touristiques de Bali.
  • Pour les déplacements, privilégiez les motos-taxi : soit Gojek, soit ceux gracieusement mis à disposition des participants au festival entre le musée Puri Lukisan et le lieu du festival.
  • Prévoyez chaussures confortables et vêtements légers : les lieux de conférences sont couverts mais à l'air libre ; il faut marcher vite pour aller d’un site à l'autre, parfois éloignés d’une centaine de mètres.
  • Dans votre sac : un éventail, une bouteille (des points d’eau sont disponibles), un carnet pour prendre des notes.
  • Pas de réservation pour les conférences : le nombre de chaises est limité donc dépêchez-vous de vous installer si vous voulez une place assise.
  • Consultez le programme : au moins 3 conférences ont lieu simultanément ; les choix sont parfois cornéliens.

 

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