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Rencontre avec Jordy Wahyudiningrat, jeune photographe balinais

A Uluwatu au sud de Bali, Jordy Wahyudiningrat partage sa passion pour la photographie avec les locaux et touristes de la région. Vente de caméras vintage, de matériel photo, et développement de pellicules, le jeune homme suit les traces de son père. Dans les rues de Bali, il se balade, caméra à la main, et immortalise des moments de vie. Originaire de Sungai Penuh¸ le jeune photographe revient sur son histoire, sur ses inspirations.

Jordy WahyudiningratJordy Wahyudiningrat
Jordy Wahyudiningrat, jeune photographe de 24 ans et propriétaire de Tjoetji Film Lab à Uluwatu.
Écrit par Guillaume Marchal
Publié le 28 avril 2024, mis à jour le 8 mai 2024

 

Le soleil de Kuta frappe sur le bitume du skate parc en bord de plage. Les visages gouttent, les palmiers dansent et les rayons de la fin d’après-midi festoient sur l’Océan Indien. Le bruit des scooters affolés se mélange à celui des vagues à Bali. Jordy Wahyudiningrat, jeune indonésien originaire de Sungai Penuh, au cœur de la province de Jambi, observe avec attention ce monde qui s’agite. Son attention s’arrête soudainement sur le visage d’une vieille femme avachie sur son vélo, surchargée d’affaires en tout genre. Il presse le bouton, et immortalise à jamais ce petit bout de temps. « Ce que j’aime avec la photographie, c’est qu’il n’y a pas de limites. Pour moi c’est un outil magique qui permet de figer le temps », confie le jeune photographe de 24 ans. Les planches à roulette décollent et s’écrasent sur le sol beige de la ville. « Kuta reste encore préservé du tourisme. Ce skate parc est l’un des seuls gratuits de l’île, il a été construit par une association locale de skateurs. Pour occuper la plupart des autres sites, il faut compter en moyenne 6 dollars, ce qui représente une somme pour les Indonésiens », explique Jordy, caméra à la main. Le photographe possède un laboratoire photo, Tjoetji Film Lab, à Uluwatu.

 

Le skate parc de Kuta.
Le skate parc de Kuta.

 

Un étal de vieilles caméras vintage sont fièrement exposées au sein de son enseigne. « Je vends des vieilles caméras parce que j’aime leur design. J’ai commencé par les collectionner quand j’étais plus jeune, je les trouvais en brocante, puis j’ai décidé de les revendre en ligne, et maintenant en boutique », explique le photographe. Jordy développe aussi des pellicules et vend du matériel de filmographie pour les clients de la région. Avec ses 5 millions de touristes en 2023, Bali reste l’une des destinations incontournables de l’Indonésie. « Mes clients viennent des 4 coins du monde. C’est toujours un échange culturel intéressant et un apport de savoir », constate-t-il. Son commerce est ouvert aux locaux et touristes depuis août 2023. Le photographe entend « répondre à la demande croissante de services de développement de films » à Bali. 

 

Collection d’appareils vintages au Tjoetji Film Lab.
Collection d’appareils vintages au Tjoetji Film Lab.

 

Une histoire de famille 

Jordy a toujours baigné dans l’ambiance des studios photos. L’odeur des produits utilisés pour développer les pellicules des vieux kodaks sont sa madeleine de Proust. Au début des années 70, son grand-père ouvrait le premier studio de la localité de Sungai Penuh. La région volcanique reste isolée des grandes villes et le studio se fait rapidement un nom. Son père reprendra par la suite le flambeau familial pour monter le studio « mitra », dans les années 90. « J’ai 7 frères et sœurs, et personne n’avait pour projet de reprendre la boutique. Une de mes sœurs est partie travailler au Royaume-Uni, un de mes frères à Jakarta... Chacun a suivi un parcours différent », informe Jordy. Le père de famille ne trouvant pas de successeur, la boutique ferme ses portes en 2014, et son propriétaire s’éteindra une année après. Jordy et sa famille quittent leur localité d’enfance pour rejoindre Yogyakarta, où il étudiera la musique classique. Rattrapé par la passion de son défunt père, Jordy passera la majeure partie de ses week-ends à capturer des moments de vie. Il prend ses premiers clichés avec une vieille caméra rafistolée, léguée par son paternel.

 

« Utilise ton ressentit et tu peux capturer ce que tu veux »
« Utilise ton ressentit et tu peux capturer ce que tu veux »

 

De la musique classique à la photo

« J’étais toujours très intéressé par la photographie. C’était tous les jours de la musique, la routine me lassait. La photographie est devenue mon exutoire à cette période. Quand je faisais des photos je n’avais pas de pression, c’est cette liberté qu’il me manquait », explique le jeune artiste. A l’époque, Jordy n’utilise presque essentiellement que dans la rue ses pellicules, « ce qu’il s’y passe y est toujours inattendu ». Une cover pour un ami musicien, une photo promotionnelle pour un autre, le photographe se perfectionne et tourne même des court-métrages. En 2019, un ancien étudiant de sa filière musicale lui propose de rejoindre Bali pour exercer au sein d’une maison de production coréenne. Un croisement de vie qu’il ne regrettera pas. Pendant deux ans, il réalise le portrait d’artistes, d’exposants, et côtoie le monde culturel balinais. Entre temps, il s’intéresse de près au domaine du développement de la photographie cinématographique. En 2022 il décide finalement d’ouvrir sa propre enseigne, « Mamoru Camera Store » à Canggu. Un an plus tard il inaugure finalement « Tjoetji Film Lab » à Uluwatu. « Dans la vie, je me fixe rarement des barrières. C’est comme avec mes photos. Même si j’ai une préférence pour la photographie de rue, je ne m’enferme pas dans un style en particulier », confie Jordy Wahyudiningrat.

 

« Keluar tumbuh liar »

 

Photo d’Erik Prasetya issue de son compte Instagram @banalaesthetic 
Photo d’Erik Prasetya issue de son compte Instagram @banalaesthetic 

 

Le brouhaha constant du centre-ville de Jakarta est un terrain de jeu pour Erik Prasetya, photographe indonésien renommé. « Il excelle dans l'esthétique banale, c’est l’un des photographes qui m’a le plus inspiré. Jakarta est une ville qui grouille de vie, tout va si vite. Le trafic est dense, les gens courent après les trains pour arriver à l’heure au travail. Erik arrive à capturer le beau de la routine, à capturer l’esprit des gens au bon moment », soutient Jordy avec passion. Un autre artiste indonésien fait partie des influences du jeune homme, Anton Ismael. « Il peint, cuisine, prend des photos, c’est une légende à mes yeux. Aussi, il est engagé, et donne des cours du matin gratuitement de photographie, ou des ‘kelas pagi’ comme on dit ici. Il répète un slogan que j’affectionne particulièrement, ‘Keluar Tumbuh Liar’ ce qui voudrait dire en français, ‘ne vous imposez pas de limites’, ou littéralement ‘sortez et devenez sauvage’. En Indonésie, les caméras ne sont vraiment pas abordables. Le plus important, c’est de trouver sa voie en tant qu’artiste, peu importe le matériel que tu utilises. Si tu as un téléphone, tu peux prendre des photos, le plus important c’est de se lancer, de le faire », développe-t-il. Jordy organise des évènements avec les communautés locales, et offre parfois l’un de ses appareils. « J’ai senti que j’avais besoin d’être connecté avec la communauté, je ressens un bonheur inouï lors de ces évènements. C’est fou de se dire que l'acquisition d'une caméra peut avoir une grande influence positive sur la vie de quelqu’un », conclut l’artiste.

Instagram du photographe