Alors que le 10 octobre prochain débutera la 4e éditions du festival Les Nuits de Pologne à Poznan, mettant le chant et le Français Langue Étrangère (FLE) à l’honneur, Iris Munos, revient avec sincérité sur son parcours, évoquant sans fard les résistances rencontrées pour tracer cette route originale, instinctive et libre, son rapport organique au théâtre, et son besoin de transmission et de partage. Un parcours non seulement inspirant mais aussi motivant car, pour reprendre les mots de Jean de la Bruyère : « Ce qui barre la route fait faire du chemin ».
Iris Munos, la francophonie comme ligne directrice
Arrivée en Pologne en 2012, Iris Munos y bâtit depuis, avec pugnacité, de nombreux projets et festivals ayant pour but de promouvoir la langue française auprès des jeunes grâce au théâtre et à la chanson. Lauréate du Trophée éducation des Français de l'étranger organisé par lepetitjournal.com en 2018, chanteuse, actrice, metteur en scène, entrepreneuse culturelle, elle dirige L'Iris Création, centre francophone de formation et de création artistique et est co-directrice de Drameducation, dont le programme 10 sur 10 fait partie.
Lepetitjournal.com Varsovie : Iris Munos, lors des Nuits de Pologne, vous allez accueillir des jeunes venus du monde entier. Vous, vous êtes franco-allemande, la mobilité faisait-elle partie de votre éducation ?
Iris Munos : Absolument, j’allais tous les ans en vacances chez mes grands-parents en Allemagne. J’ai donc été bercée avec mon frère dans deux cultures différentes. D'ailleurs, notre mère nous parle allemand depuis tout petit, nos grands-parents ne parlent pas un mot français et notre oncle se débrouille comme il peut... Il ne s’agit donc pas seulement de la mobilité géographique, mais aussi d’un voyage culturel, ancrée dans le Sud de la France où j’ai grandi. La culture française faisait évidemment partie intégrante de notre vie via notre père, l’école, les activités, les loisirs, la vie quotidienne. Les valeurs de la France qui sont l’accueil, le partage et le débat ont bien été intégrées. Il est vrai aussi que nous voyagions beaucoup en famille dans de nombreux pays (États-Unis, Égypte et Thaïlande, mais hors des sentiers battus, et du tourisme de masse) ou près de chez nous : à la mer Méditerranée, dans les Pyrénées, en Espagne pas loin… ce sont des endroits qui me sont extrêmement chers de par mes origines espagnoles du coté de mon père.
Vous, avez grandi dans un univers multilingue, mais la francophonie tient, néanmoins, une place prépondérante aujourd'hui, dans votre vie ?
C’est en arrivant en Pologne que j’ai découvert la francophonie. Quand j’y pense aujourd’hui, j’en ai totalement honte ! Ce qui prouve qu’en France nous n’apprenons rien du monde francophone et des langues françaises. C’est assez affligeant…
La francophonie est toujours au cœur de mes projets. Elle en est le poumon ! De par mon histoire multiculturelle, l’échange entre les cultures est pour moi d’une richesse incommensurable : cela me fait grandir vite et devenir une meilleure personne !
Qu’est-ce qui vous a amenée au théâtre puis en Pologne ?
Je fais du théâtre grâce à ma mère. Pour être sincère, le théâtre m’a un peu sauvé la vie. De nature extrêmement timide, j’ai fait du théâtre très jeune, la première fois à l’école primaire, où l’instituteur organisait une soirée théâtrale avec la pièce Topaze de Marcel Pagnol dans la salle de sport du village. Je me rappelle avoir reçu un rôle important avec beaucoup de textes. J'ai été terrorisée. J’ai donné mon texte à ma voisine - sans avoir demandé à l’instituteur. Cette camarade de classe, qui était la tête de classe, n’avait reçu qu’un texte ridicule dans le chœur. Quand j’ai annoncé mon choix à l’instituteur, il a fait une de ses têtes ! Il était vraiment peiné... Je m’en souviendrais toute ma vie, je pense ! Sur scène, j’ai été totalement bloquée, même en étant dans le chœur…
Mais vous avez décidé de ne pas en rester là... Peut-on dire que le théâtre et vous, avez du vous apprivoiser ?
(Rire). On peut dire ça ! La deuxième expérience forte a étét en 6e au collège où la professeur de littérature souhaitait mettre en scène une pièce simple et peu intéressante à mon goût (une histoire de chat et de sorcière). On devait simplement s’inscrire si on le souhaitait, ce n’était pas obligatoire. J’ai catégoriquement refusé, mais je brulais d’envie d’y participer. J’en rêvais...
J’allais aux répétitions m’assoir tout au fond de la salle pour regarder. Mais je savais pertinemment que je n’y participerais pas.
Pourtant, j’ai adoré le travail du théâtre : l’apprentissage du texte, la recherche des personnages et surtout l’ambiance bien vivante et emphatique qui s’en dégageait. J’avais 11 ans. Ce fut un aspect de l’école que je trouvais libérateur - l’école où je ne me sentais pas du tout à ma place, d'ailleurs ! J’ai eu la fâcheuse idée de raconter cette expérience à ma mère qui m’a ensuite inscrite à l’école d’art dramatique de Castres l’année suivante - l'une des deux dernières écoles municipales de théâtre en France. Je lui ai dit « oui », mais sans vouloir jouer sur scène devant un public. Elle m’a évidemment menti. J’ai appris au cours de l’année que je devrais malgré tout monter sur scène… Ce fut une catastrophe pour moi !
Je tournais catégoriquement et volontairement le dos au public. Une expérience forte, très douloureuse, mais bénéfique pour mon futur. Mais j’en garde un souvenir inoubliable, car c’est ici que j’ai "rencontré" Arthur Rimbaud à l’âge de 12 ans ! Je le lisais dans la cour de récréation : la poésie, une révélation ! Le théâtre a donc toujours été pour moi synonyme de poésie. Depuis mes douze ans, je n’ai plus jamais quitté le théâtre. Je suis restée dans cette école 9 ans et je me suis révélée dans l’art de l’acteur.
Une fois que vous avez assumé cette part de vous, comment les événements se sont-ils enchainés ?
Jeune adulte, j’ai tenté de faire ma place dans le milieu professionnel théâtral. J’ai passé des concours aux grandes écoles que j’ai ratés et j’ai intégré directement une compagnie de théâtre dans laquelle je jouais, mettais en scène, diffusais et produisais. J’ai appris sur le tas avec beaucoup de souffrance ! J’ai connu le harcèlement moral et sexuel... Une épreuve, qui, jeune, vous forge considérablement pour le restant de vos jours. J’avais toujours un esprit de battante et de créatrice. Mon rêve était d’être maitresse de mes propres projets.
A 24 ans, j’ai créé une résidence d’artistes, mis en scène et promu un grand projet. J’ai joué plusieurs années au festival d’Avignon où j’ai été totalement arnaquée, impayée. Je travaillais dur. Mais ce système de création culturelle consumériste m’ennuyait considérablement.
Qu'est-ce qui a fait que vous n'avez pas baissé les bras ?
Au bout de 3 ans, j’en avais fait le tour. À cette époque j’avais beaucoup de projets en tête, mais tous ont été un échec. Je n’avais pas les épaules assez solides ni un entourage assez fort pour les mener à bien. Je sentais aussi une rancœur et une désinvolture chez les artistes-comédiens qui m’ennuyait considérablement ! Je rêvais d’aventures fortes, de challenges, je souhaitais grandir très vite.
Et puis, j’ai rencontré Jan Nowak (traducteur, formateur, entrepreneur) qui fut pour moi un tournant ! Il travaillait dans le même théâtre en Avignon que moi - dont la directrice est aujourd’hui notre grande amie, lui en tant que technicien et moi, en tant que comédienne et metteur en scène. La fusion entre nous a été immédiate et très forte. Nous passions des heures en dehors du travail aux cafés à discuter longuement et passionnément de la vie, de l’avenir, de projets, de folies.
C’était exactement ce qu’il me fallait, rencontrer quelqu’un d’aussi fou que moi. Quelqu’un qui n’a pas froid aux yeux. Quelqu’un avec qui je pouvais ouvrir mon cœur et ma passion. Ça a été le début d’une histoire amoureuse, mais aussi le début d’une collaboration effrénée.
Et comment êtes-vous arrivée en Pologne ?
Je suis venue en Pologne pour des vacances. Et depuis j’y suis restée. C’est en Pologne que j’ai commencé à chanter et à faire des concerts.
Nous parcourions toute l’Europe et la Pologne avec notre vieille voiture, à faire plus de 20.000 km par mois. Je ne vais pas vous mentir, c’était la galère ! Pour ma part, mon maigre chômage et mes concerts nous permettaient à peine de payer le gaz de la voiture pour les déplacements, rencontrer les ambassades qui nous refoulaient, les professeurs de français et les directeurs d’écoles qui nous accueillaient les bras grand ouverts...
Nous repartions avec 25 euros de salaire, pour des projets qui nous en coutaient le triple. Bref. Nous étions passionnés et nous n’avions rien à perdre. Nous avions tout simplement du culot. Je suis finalement restée en Pologne, remarquant qu’il y avait plus de challenges et de choses intéressantes à construire ici.
Diriez-vous que la Pologne a reconnu vos efforts et votre talent ?
Oui, exactement ! En 3 ans d’activités en Pologne, j’ai réalisé ce que les gens faisaient en 10 ans. Nous ouvrions l’ordinateur à 6h du matin pour le refermer à 22h le soir. Nous buvions beaucoup de bières et de vodka. Nous nous construisions une vision du monde. Je ne participais pas à mes ambitions personnelles de création, de comédienne ou de metteur en scène ou même de chanteuse.
Je réalisais des projets pour les autres, les jeunes. C’est comme ça qu’est née la réflexion pour faire naitre des projets sur l’éducation, sur l’avenir culturel, basés sur des rencontres humaines, le respect de la différence.
Vous avez carrément inventé des concepts et une méthode pour transmettre le théâtre ! Dites-nous en plus...
Nous sommes partis de notre vision du monde et sur ce que nous pouvions apporter à la francophonie avec nos valeurs. Je montais des dizaines de courts spectacles avec les jeunes dans toute la Pologne. Je les faisais concourir dans de petits festivals.
Toutes ces expériences m’ont appris à inventer une méthode, sans le savoir. J’ai inventé des exercices afin que les jeunes me comprennent mieux en français. J’apprenais le polonais à l’époque, je ne le comprenais pas, et ne le parlais pas encore. Je devais donc trouver le moyen de communiquer en français avec bienveillance, avec les jeunes, afin qu’ils puissent me comprendre, même sans saisir la langue. Ces exercices, je les utilise aujourd’hui dans mes formations dans le monde entier pour les professeurs de FLE (Français Langue Étrangère).
Puis sont arrivés de nouveaux projets énormes : 50.000 jeunes invités à des spectacles francophones et des tournées que nous organisions, sans aucun soutien, ou la création de festivals pour étudiants de l’Europe de l’Est et Centrale… J’y invitais des troupes biélorusses et ukrainiennes. Une chose aujourd’hui malheureusement impensable. Personne ne connaissait ces parties d’Europe ! Quant à la Pologne… Je m’y suis intéressée parce que personne ne voulait y aller.
Tous avaient des préjugés grotesques. Or, je savais très bien que quelque chose de magnifique allait se produire : je suis arrivée sans rien en Pologne. Sans argent, seulement avec quelques bases ridicules de théâtre et de production.
Mais toutes les connaissances que j’ai acquises ce sont révélées dans ce pays grâce à la pugnacité, la force, le courage et le cran. À deux, nous étions unis et pleins d’espoir. Avec Jan, nous n’avions peur de rien et rien à perdre !
À quel moment avez-vous réussi à voir des résultats ?
Au bout d’un an, j’ai réussi à monter un festival international d’étudiants à Poznań. Une dizaine de troupes venant des quatre coins de l’Europe de l’Est et Centrale. Les activités se sont développées encore et encore jusqu’à créer le programme 10 sur 10 qui connait aujourd’hui un succès fulgurant dans la francophonie.
Aujourd’hui, vous êtes chanteuse, actrice, metteur en scène, vous dirigez également L'Iris Création, Centre francophone de formation et de création artistique et êtes co-directrice de Drameducation dont le programme 10 sur 10 fait partie ? Comment toutes ces activités s’articulent-elles aujourd’hui ?
10 sur 10 est le programme qui a tout révélé. Après 5 années de galère malgré le succès de tous nos projets, nous avons mis sur pied une nouvelle idée, que je qualifierai de plus mûre : faire écrire de courtes pièces de théâtre par des auteurs professionnels francophones pour les jeunes qui apprennent le français afin de promouvoir l’apprentissage-enseignement du français par le théâtre !
C’était un projet pionnier ! 5 années se sont ensuite déroulées avec des succès encore plus grandissants. Plus de 20 festivals de théâtre pour jeunes dans le monde, une centaine de formations pour professeurs dans le monde, près de 100 pièces de théâtre écrites par des auteurs venus de toute la francophonie (Québec, Suisse, France, Belgique, Sénégal, Maroc, Guinée, etc.), 6 résidences d’écriture pour auteurs ont été organisées.
Il était évident qu’après 10 ans en Pologne, en voyageant au Sénégal, aux États-Unis, au Brésil, en Arménie, en Tunisie où j’ai accompagné des projets artistiques et éducatifs francophones, le voyage, la transmission, étaient dans mon ADN.
Tout savoir sur le festival Les Nuits de Pologne en partenariat avec lepetitjournal.com Varsovie
La 4ème édition en Pologne se déroulera du 10 au 13 octobre à Poznan...
- Des rencontres musicales francophones au service des jeunes participants, encadrés par des artistes francophones professionnels et des professionnels du métier du spectacle.
- Une expérience au service de la francophonie qui met l'humain et la musique au centre de l'évènement !
...dans un lieu encore tenu secret et de belles surprises !
- Cette édition promet encore de belles surprises aux participants venus des quatre coins du monde : Ukraine, Hongrie, Pologne mais aussi Egypte, Burundi, Albanie et Ouzbékistan.
- Un artiste professionnel, spécialement sélectionné parmi les membres du répertoire musical des Nuits du Monde nous fera l'honneur de sa présence pour accompagner les jeunes à travers des ateliers musicaux, un concert, et bien sûr les enregistrements studios !
Pour tout savoir sur l'édition 2024
LE FESTIVAL LES NUITS DE POLOGNE : QUATRIEME EDITION - Les Nuits du Monde !
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