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Sénateur Leconte: “Un ministère de la parole, ce n’est pas suffisant” 

Jean-Yves Leconte sénateur Français expatriésJean-Yves Leconte sénateur Français expatriés
capture d'écran d'une vidéo © Public Sénat
Écrit par Justine Hugues
Publié le 26 novembre 2018, mis à jour le 3 décembre 2020

Enseignement français à l’étranger, réforme de la CFE, avenir de la représentation politique des Français de l’étranger… Le sénateur socialiste des Français établis hors de France Jean-Yves Leconte revient avec nous sur l’actualité législative et les grands défis à venir pour nos concitoyens expatriés. 

 

Lepetitjournal.com : La proposition sénatoriale de réforme de la CFE (Caisse des Français de l’étranger) sera étudiée à l’Assemblée à partir du 4 décembre. En quoi permettra-t-elle d’améliorer la protection sociale des Français de l’étranger ? Comment se prémunir d’une forte augmentation des cotisations ? 

 

Jean-Yves Leconte : A terme, c’est la survie de la CFE qui était remise en question par le modèle actuel, car l’âge moyen de ses adhérents augmente de quelques mois chaque année. Si on veut une offre plus adaptée à la réalité de l’expatriation, on a besoin de donner de la flexibilité à la CFE, au cadre très proche du fonctionnement de la sécurité sociale française. Cela passe par le changement de la politique tarifaire mais aussi par la recherche de prestations plus attractives. Pour cela, la CFE sera habilitée à négocier avec des courtiers des tarifs spécifiques dans chaque pays. Avec la nouvelle tarification, un conjoint qui travaille pourra également être affilié, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. 

Le fait d’avoir une cotisation par famille sera aussi plus attractif, en particulier pour les plus jeunes qui sont chacun dans une démarche professionnelle, hors du cadre des grandes entreprises. Aujourd’hui, ces expatriés se tournent vers l’assurance privée et reviennent plus tard vers la CFE, au moment où ils « coûtent » plus cher à la solidarité nationale.  Avec la réforme, la CFE pourra donc diversifier son offre, selon que les personnes aient besoin d’une protection sociale en France, à l’étranger ou les deux. Il ne faut pas oublier non plus qu’elle est ouverte aux ressortissants européens. Enfin, il faut continuer à réfléchir à des solutions dans des pays comme l’Ethiopie ou l’Egypte, où les expatriés ont des revenus locaux mais la monnaie n’est pas transférable. 

Concernant les cotisations, à partir du moment où on donne plus de flexibilité, les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), qui restent les électeurs du Conseil d’Administration, devront garantir que l’âge ne soit pas pénalisant.  Pour ce faire, les tarifs seront modulés en fonction du nombre d’années de cotisation.  Enfin, les adhérents auront accès à la carte vitale. 

 

 

La députée Samantha Cazebonne remettra bientôt son rapport sur l’enseignement français à l’étranger. Que peut-on en attendre, dans la perspective d’un doublement du nombre d’élèves du réseau d’ici 2030, souhaité par le Président de la République ? 

 

Je préfère qu’on me dise qu’il faut doubler plutôt que de se lamenter sur le fait qu’on n’ait plus les moyens de notre politique et qu’il faut la réduire, comme c’était le cas au moment du débat budgétaire l’an dernier. Ceci étant dit, j’ai énormément d’inquiétudes à ce sujet. Bien qu’il attire entre 9.000 et 10.000 nouveaux élèves chaque année, le réseau n’a pas attendu le président Macron et son objectif pour avoir des difficultés. Je ne sais pas comment on peut arriver à doubler le nombre d’élèves en diminuant le nombre de titulaires. 

Par ailleurs, la question de l’accessibilité est primordiale. Dans les permanences, je rencontre beaucoup de Français qui ne scolarisent pas leurs enfants dans le réseau car les frais de scolarité sont trop élevés et les bourses ne couvrent pas leurs besoins. Or, si on ouvre de nouvelles classes, autofinancées à 100%, elles coûteront plus cher que les classes actuelles, et les frais de scolarité augmenteront. 

On ne peut pas non plus poser par principe que le réseau est attractif et qu’il le restera d’ici 15 ans, si on ignore le maintien de la qualité de l’enseignement. Est ce que l’Etat est capable d’animer un réseau et de poser ses conditions à des investisseurs privés ? Si le Quai D’Orsay et l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger) se mettent à prier ces investisseurs d’ouvrir des écoles pour satisfaire les promesses du Président de la république, on est mal parti ! 

Aujourd’hui, quand on entend que les établissements homologués sont autofinancés, c’est faux. Au titre des pensions civiles (part patronale de la retraite des titulaires), le ministère de l’Education Nationale engage environ 70 millions d’euros par an pour les établissement homologués, contre 173 millions par l’Agence pour un peu plus de 6.000 titulaires détachés pour les établissements conventionnés ou en gestion directe. Si les établissements ne sont pas à égalité, c’est assez logique de la part des gestionnaires de comparer ce que cela coûte et rapporte d’être conventionné, en comparaison d’être partenaire. Moi je préférerais que tous les établissements restent partenaires, mais il faut qu’il y ait un minimum d’avantages à cela. Finalement, la démarche du gouvernement implique que l’AEFE soit seulement le régulateur d’établissements privés et pour l’instant, il n’y a que peu de personnes qui l’assument pleinement. 

 

 

Dans la prochaine réforme constitutionnelle, le gouvernement réduira-t-il le nombre de représentants des Français de l’étranger ? Quelles sont vos propositions pour réengager nos concitoyens établis hors de France dans la vie politique ?

 

Je ne pense pas que la réduction du nombre de parlementaires serve la démocratie et le lien avec les citoyens. Historiquement en France, quand on a un petit parlement, on a une petite démocratie, voire pas de démocratie du tout. La mise en place des conseillers consulaires a apporté une grande proximité. J’étais élu à l’AFE (Assemblée Des Français de l'Etranger) avant d’être au Sénat et ma circonscription couvrait 15 ou 20 pays, de Tirana jusqu’à Vladivostok : c’était ingérable. 

Le système à deux niveaux (conseillers consulaires et conseillers AFE) n’est, certes, pas très satisfaisant, mais j’ai du mal à imaginer comment conjuguer 130 circonscriptions, une représentation démographiquement équitable et beaucoup moins de conseillers consulaires. Certains évoquent aussi l’idée de conseillers consulaires qui viendraient tous à Paris une fois par an. Il ne s’agit pas de remplacer l’AFE par une sorte de congrès des maires où les représentants ne se connaissent pas, n’ont pas le temps de travailler et où les pontes de Paris vont avoir une tribune pour expliquer la vie aux élus. Je crains que dans ce type d’assemblée, on ait du mal à faire remonter les difficultés du terrain pour qu’elles soient intégrées dans les politiques publiques qui nous concernent. 

Il ne faut pas faire l’économie d’une réflexion sur les compétences des conseillers consulaires. On pourrait par exemple imaginer que sur les politiques de bourses scolaires, l’AFE soit plus directive. Pourquoi est-ce que l’administration décide seule des barèmes et des subventions aux organismes locaux d’entraide et de solidarité, une fois le budget de l’action sociale voté par l’AFE ? Si on veut montrer aux Français de l'étranger que ça vaut la peine de voter, il faut faire évoluer les choses et donner du pouvoir à la représentation politique. Avoir un ministère de la parole, ce n’est pas suffisant. 

Quelles que soient les orientations, au vu du calendrier et de la nature de la réforme constitutionnelle, aucun vote définitif n’aura lieu avant l’été 2019. Il y a une tradition républicaine qui veut qu’on ne change pas les règles dans l’année précédant une élection. L’hypothèse la plus probable, c’est qu’on ait en mai-juin 2020, des élections de conseillers consulaires avec la même loi qu’aujourd’hui. 

 

 

Vous avez été particulièrement actif lors des débats sur la loi asile et immigration, dénonçant une crise politique de l’accueil, plutôt qu’une crise migratoire. Comment en sortir ? 

 

En tant que Français de l’étranger, on a tous eu, à un moment, la volonté de s’intégrer dans notre pays d’accueil. Or, si tous les matins, on nous rappelle que nous sommes étranger et que nous n'avons pas les mêmes droits que les locaux, l’intégration se fait difficilement. 

Sur le droit d’asile en particulier, c’est une valeur essentielle de la France depuis la Révolution, validée ensuite au niveau mondial par la Convention de Genève et reprise dans les textes européens. Il n’y a pas de négociation à avoir là dessus, c’est constitutif de notre identité. Que des personnes s’interrogent sur la capacité de l’Europe à pouvoir accueillir et intégrer, c’est légitime. Mais si les responsables politiques établissent d’avance que ce n’est pas possible parce que les gens ont peur, alors ils perdent leur rôle.

L’Europe est aujourd’hui perçue comme une forteresse, obnubilée par la question migratoire qui domine tout le reste dans l’imaginaire collectif. Alors qu’il faut avoir un discours positif : s’il y a des personnes qui viennent en Europe et veulent partager nos valeurs, c’est parce qu’on est encore attractif. Il n’est pas question que tout soit ouvert et sans contrôle pour autant, mais il faut être capable d’assumer notre attractivité.

Depuis 2015, on a bien vu que l’Europe était à la hauteur des défis,  même si elle l’a fait quelquefois au prix d’accords un peu indignes comme avec la Turquie. A partir du moment où les frontières sont plus solidement surveillées grâce à Frontex, il est vain et incohérent de considérer que c’est à chaque pays, de manière séparée, de traiter l’immigration. On doit avoir une politique commune. Quels sont les responsables politiques qui sont prêts à dire ça aujourd’hui ? Quasiment aucun.

Or, si on met en place une politique de répartition solidaire, il faut qu’on puisse assurer aux personnes que, quel que soit le pays de l'Union Européenne dans lequel elles font leur demande, elles auront toutes le même type de procédure et jouiront des mêmes droits qu’un citoyen européen. Elles devraient pouvoir, par exemple, travailler dans un autre pays de l’Union ; ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pendant au moins 5 ans. Cela permettrait de dédramatiser la responsabilité du pays qui étudie la demande d’asile et aussi de bénéficier de beaucoup plus de compétences de la part de personnes protégées par d’autres Etats.