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O. RYMER: "La manière de voyager de certains Français en Thaïlande a beaucoup changé"

Le co-fondateur des Voyages d’Angèle, agence de voyage française basée en Thaïlande, explique le changement d’approche parfois radical qu’il observe au sein de sa clientèle depuis la crise du Covid

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Selon Olivier Rymer, un certain nombre de voyageurs ont abandonné le voyage de groupe pour le voyage individuel pourtant bien plus cher. Photo LPJ Bangkok.com
Écrit par Pierre QUEFFELEC
Publié le 29 août 2023, mis à jour le 16 septembre 2023

Le tourisme en Thaïlande a repris seulement une partie de son activité depuis la levée des mesures sanitaires contre le Covid-19 qui ont laminé le secteur dans le royaume entre 2020 et 2022. Sur l’année 2023, les autorités thaïlandaises espèrent, avec beaucoup d’optimisme, atteindre les 29 millions de voyageurs internationaux, soit un peu moins de 75% des chiffres de 2019.

Toutefois, dans cette lente sortie de crise, certains acteurs arrivent mieux que d’autres à tirer leur épingle du jeu. C’est le cas de l’agence de voyage française Les Voyages d’Angèle, spécialisée dans le voyage individuel, qui vise à retrouver d’ici la fin de l’année les mêmes volumes que 2019 après avoir travaillé sur elle-même durant la crise pour repositionner son offre, comme nous l'expliquait son directeur général dans la première partie d'une interview réalisée ces jours-ci par Lepetitjournal.com.

Fondée en 2017 à Chiang Mai par Angélique Labrune et Olivier Rymer un couple de professionnels français du tourisme connaisseurs de l’Asie du Sud-Est, Les Voyages d’Angèle est une petite agence de voyage familiale qui propose des parcours sur mesure hors des sentiers battus dans la région.

Olivier Rymer, que Lepetitjournal.com a rencontré au siège de l’agence à Chiang Mai, explique dans ce deuxième volet de notre interview les changements profonds dans l’approche du voyage qu’il observe chez ses clients dont une partie a fait le pas d’abandonner le voyage de groupe pour le voyage individuel sur mesure, troquant l’aspect "low-cost" pour la qualité d’un séjour que l’on veut desormais responsable en plus d’être inoubliable.

 

Photo d'Olivier Rymer, directeur general de l'agence Les Voyages d'Angele
Olivier Rymer a commencé à explorer l'Asie du Sud-Est en 1995 et a créé sa première société réceptive dans la région en 2002. Photo LVA

LEPETITJOURNAL.COM : Vous évoquiez un peu plus tôt une accélération continue de la demande dans votre domaine, le voyage individuel sur mesure, depuis la réouverture de la Thaïlande en 2022. Que voyez-vous dans cette tendance ?

OLIVIER RYMER : Cela veut dire que les gens sont de plus en plus attirés par le voyage individuel. J’entends ce que propose les agences comme la nôtre. Car celles qui font du groupe (GIR – Groupe d’Individuels Regroupés, ou groupes constitués) n’ont pas du tout redémarré dans les mêmes conditions. Elles n’ont pas redémarré tout de suite déjà, elles commencent seulement, et elles sont encore à la peine aujourd’hui, plus d’un an après la réouverture du pays au tourisme international.

Nous voyons parmi nos nouveaux clients qu’un nombre croissant d’entre eux voyageaient en groupe avant la crise et ont récemment décidé de voyager avec nous.

Y a-t-il une grosse différence de coût entre le voyage individuel et le voyage en groupe ? 

Il y a une importante différence de coût. C'est un vrai choix. Il ne s’agit pas juste de se dire, "on met un peu plus d'argent et puis on voyage en individuel". Non, il y a une grande différence de prix avec ce que les opérateurs de groupes sont capables de proposer en concentrant des demandes sur certaines périodes, à grands renforts de montages financiers et d’une gestion de stocks digne de l’industrie.

Pour que les voyageurs sautent le pas vers le voyage individuel compte tenu de la différence de budget, cela relève d’un choix fort

Notre approche à nous est très différente. Elle n’est pas centrée sur le prix mais sur la qualité de l’expérience de voyage. C’est pourquoi nous ne serons jamais en mesure de proposer des prix approchants ceux du GIR, ou du voyage en groupe tels que le pratiquent par exemple les Comité d’Entreprise français.

 

Vue d'une bateliere khmere menant sa barque vers un village Jarai dans le Ratanakiri au Cambodge
Les Voyages d’Angèle vient d'ouvrir un nouvel itinéraire dans des parties reculées de la province du Ratanakiri au Cambodge. Photo Angélique Labrune/Les Voyages d’Angèle

 

Par conséquent, pour que les voyageurs sautent le pas et viennent vers nous aujourd'hui compte tenu de la différence de budget, cela relève d’un choix fort de leur part. 

Pourtant, on ne peut pas dire que le contexte économique soit vraiment favorable…

Tout à fait ! Le fait que les gens passent d’un budget de voyage en groupe à celui d’un voyage individuel est encore plus incroyable car on est dans un contexte d'augmentation des prix.

Cela rend l'effort consenti par les voyageurs pour venir à ce type de programmes encore plus remarquable. Le coût du voyage a augmenté avec la hausse du prix des vols, avec l'inflation globale, la réévaluation du baht, etc. Nous observons des hausses de prix de 20 à 25% par rapport à la période pré-covid. Ce n’est pas une petite augmentation.

Les gens investissent davantage dans le voyage, mais cela ne signifie pas qu’ils sont devenus plus riches avec la crise

Et même ceux qui voyageaient déjà en individuel, en famille, en couple ou en groupe d'amis ont augmenté leur panier moyen. Les gens réclament des prestations qui sont plus chères, pas forcément plus luxueuses mais qui augmentent les frais, ou encore allongent la durée de leur séjour.

Ces clients-là n'essayent-ils pas de négocier un peu les prix ?

Dans le contexte actuel d’augmentation des prix, on pourrait en effet s’attendre à ce que les gens négocient en effet davantage les tarifs. Mais en réalité, je n’ai jamais eu aussi peu souvent affaire à des clients qui négociaient.

 

Un fermier mene son buffle sur la plage de Khanom dans le sud de la Thailande
De plus en plus de voyageurs sont prêts à mettre le prix pour des séjours au rythme qui leur conient, empreints ​​​​d'authenticité et respectueux des populations locales et de l'environnement. Photo Angélique Labrune/Les Voyages d’Angèle

 

Après, les gens investissent davantage dans le voyage, mais cela ne signifie pas qu’ils sont devenus plus riches avec la crise. C'est pourquoi, si nous voyons qu’ils sont un peu en difficulté avec leur budget, nous faisons en sorte de trouver des solutions avec eux en adaptant le contenu de leur séjour et/ou des prestations.

Il y a de nombreux avantages à passer par une agence locale qui dispose d’une multitude de solutions pour proposer du sur-mesure

Même si cela peut avoir un effet sur la qualité, il y a toujours la possibilité de trouver un hébergement différent, un moyen de transport moins coûteux. C’est bien là l’un des nombreux avantages à passer par une agence locale qui dispose d’une multitude de solutions pour proposer du sur-mesure. 

Comment expliquez-vous cet engouement pour le voyage individuel ?

D'abord, il existe aujourd’hui beaucoup plus de possibilités pour les candidats au voyage de contacter directement une agence locale comme la nôtre. Il y a aussi de plus en plus de possibilités d'avoir des garanties de sécurité avec nos agences, que ce soit en termes financiers, d’assurance ou encore de la qualité de la prestation.

Là-dessus, il y a visiblement un nombre croissant de gens qui souhaitent voyager autrement qu’avec des opérateurs qui font des groupes de 20, 30, 40 personnes.

On aurait pu se dire que, la crise passée, on recommencerait comme avant, mais ce n’est pas du tout le cas

Je pense que les gens ne veulent tout simplement plus de ce type de voyage, même si certains, pour des raisons personnelles, comme ceux qui ne maîtrisent pas l'anglais, préfèrent toujours voyager en groupe quand il s’agit de partir à l’autre bout du monde.

Il y a manifestement une approche qualitative dans tous les sens du terme.

Quand il s’agit de l’hébergement, par exemple, cela ne veut pas forcément dire que les voyageurs choisissent des hôtels de luxe - ce n’est pas plus le cas qu'avant, peut-être même moins d'ailleurs. Mais c'est davantage dans les activités, dans le temps, dans le fait de choisir un accompagnement spécifique à un certain moment, pour avoir un cadre différent, un contenu de visite différent.

Nos clients ne nous demandent pas nécessairement de guide tout le temps, mais sur certains endroits, il arrive assez fréquemment que l’on nous demande un guide spécialisé, même si cela représente un coût supplémentaire non négligeable. 

Qu’est-ce qui a changé dans le comportement d’achat des voyageurs depuis la crise du Covid ?

Quand on lit les chiffres que ce soit en Thaïlande ou au Cambodge, on s’aperçoit que le panier moyen a changé, le temps de vente a changé, les gens voyagent beaucoup plus en s'organisant au dernier moment, bref on ne retrouve pas du tout les mêmes tendances qu'avant.

En ce qui concerne la préoccupation pour le tourisme durable, il n’y a aucun voyageur chez nous aujourd’hui qui y fait exception

On voit clairement que la préparation du voyage n’est pas la même. Et d'ailleurs la discussion que l'on a avec les demandeurs est assez différente.

 

Vue du temple bouddhiste Wat Khun Win dans la province de Chiang Mai
Il y a une demande plus forte pour sortir des sentiers battus et prendre davantage le temps de vivre une expérience de voyage forte, selon Olivier Rymer. Photo du Wat Khun Win à Chiang Mai par Angélique Labrune/Les Voyages d'Angèle

 

Et puis les voyages eux-mêmes ne sont pas tout à fait les mêmes. On aurait pu se dire que, la crise passée, on recommencerait comme avant, mais ce n’est pas du tout le cas en fait. Il y a un certain nombre de choses dont on sent qu’elles ont changé pour toujours.

Par exemple, la préoccupation pour le tourisme durable. Il n’y a aucun voyageur chez nous aujourd’hui qui y fait exception. La question de la préservation de la culture en général est un sujet qui est abordé depuis très longtemps déjà, mais aujourd’hui s’ajoutent des notions comme l'attention à la manière dont sont traités les animaux, la façon dont on échange avec les locaux, dont on se déplace, etc. On entre beaucoup plus dans le détail.

Certains disaient au début de la pandémie que la crise ferait que la demande de voyage deviendrait beaucoup plus axée sur un tourisme plus responsable et de qualité, vous semblez donc confirmer cela ?

Complètement. Lors d’une demande, on ne nous dit pas simplement "je voudrais voyager responsable", mais plutôt "j’aimerais bien voir les éléphants, mais je veux être sûr que le sanctuaire ou que la famille chez qui se trouvent les éléphants s’occupe bien des animaux".

Il y a une volonté chez nos voyageurs de ralentir le rythme

Nous travaillons par exemple avec une ferme qui propose une journée entière au cours de laquelle on va chercher l’éléphant dans la forêt, on découvre ce qu'il mange, on lui gratte le dos dans la rivière pour le nettoyer, on nous explique la différence entre l’éléphant d’Asie et l’éléphant d’Afrique, etc. Bref, il s’agit d’une expérience très enrichissante avec beaucoup plus d'interactions et bien plus pédagogique. Les gens adorent !

Après, en termes de coût pour le voyageur, cela met l’expérience "éléphants" à environ 100 dollars alors que la balade à dos d’éléphant de 2 heures avant le Covid était à 15-25 dollars. Cela représente une grosse différence de prix, mais c'est ça que les voyageurs veulent aujourd’hui.

 

Un couple de touristes europeens marchent sur le qua de la gare ferroviaire de Chiang Mai
Un nombre croissant de clients des Voyages d'Angèle voient dans le voyage en train de nuit un bon moyen de limiter les trajets en avion réputés plus nuisibles pour l'environnement. Photo Pierre QUEFFELEC

 

Autre exemple, nos clients nous disent vouloir limiter le nombre de déplacement en avion et privilégier le train. Nous leur proposons des trains de nuits et ça marche très bien. Aujourd'hui, il n’y a quasiment pas un voyage sans un train de nuit, ni une rencontre avec des éléphants dans un cadre complètement différent de celui d’avant la crise.

Je trouve également qu’il y a une volonté de ralentir le rythme. Nous voyons beaucoup plus de choix d'hébergement dans les familles, en maison d'hôtes, dans des structures familiales. Les familles aiment bien que leur maison d'hôte soit gérée par une famille avec des enfants, qu’il y ait plus de contact, même s’il y a la barrière de la langue. Clairement la demande de maisons d'hôte progresse.

En ce qui concerne la durée du voyage, comment se traduit chez vous l’écart entre l'avant COVID est maintenant ?

Sur la durée de voyage on est sur un peu plus d’un jour supplémentaire par rapport avant le Covid. Un jour, c'est beaucoup quand on fait des calculs sur 6 mois. En termes de budget, pour des gens qui voyagent 12 jours, cela représente presque 10% de leur voyage ! 

Le fait qu’ils choisissent de rester plus longtemps dans une région est assez flagrant. Avant, nous avions des clients qui étaient un peu exhaustifs dans leur approche du voyage, il fallait tout voir. Aujourd’hui on s’attarde davantage sur un endroit, on approfondit davantage. Et si l’on n’a pas le temps de tout voir, on se dit que l'on reviendra, que ce n’est pas si grave, que c'est plus sympa de prendre le temps.

Malgré la forte reprise que vous connaissez, le tourisme en général semble revenir très progressivement en Thaïlande. Quel effet cela a-t-il sur la qualité du voyage individuel et la satisfaction de vos voyageurs ?

Le fait qu’il y ait moins de monde présente évidemment des côtés très positifs dans la satisfaction de nos voyageurs. Il y a des sites où je pensais ne plus jamais remettre les pieds tant ils étaient envahis de monde et surexploités, et où l’on peut aujourd'hui faire une visite extrêmement agréable.

 

Photo de Bamboo island en Thailande devenue tres accessible apres la crise du Covid
Vue ici en avril dernier, Bamboo island, près de l'archipel des Phi Phi, dans le sud de la Thaïlande, est moins fréquentée qu'avant la crise du Covid. Photo Olivier Rymer/Les Voyages d'Angele

 

Je pense par exemple à Maya Bay où je suis allé récemment où les flux ont été réduits et sont désormais contrôlés. Et sur Bamboo island, tout près de Maya Bay, il n’y avait pas plus de dix personnes sur la plage et seulement quelques bateaux amarrés au loin, c'était magnifique.

Et c'est pareil au Cambodge. On visite le site d'Angkor sans grand monde aujourd’hui. Lorsque nous sommes retournés à Siem Reap en décembre en vue de rouvrir notre bureau là-bas, nous avons visité le site dans des conditions absolument géniales malgré que la période soit réputée être l’une des plus chargées de l’année. Et ça va durer !

Nous soulignons également sur notre blog la formidable transformation de Siem Reap pendant la pandémie, l’amélioration de la circulation, l’aménagement des avenues, l'enterrement des fils électriques, la création des trottoirs, la gestion de l'eau… Par exemple, là nous sommes en saison des pluies. Et, quand ça commence à tomber, ça tombe ! Eh bien on ne voit plus ces images de Siem Reap submergée pendant 2 ou 3 heures. Aujourd’hui, cela dure à peine quelques minutes. Il y a aussi beaucoup de choses qui ont été réalisées le long de la rivière. C'est très joli.

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