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Entretien avec Fanny Pagé, directrice de l'Ecole nationale de théâtre du Canada

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Photo de l'Ecole nationale de théâtre du Canada à Montréal
Écrit par Madeleine Donnadieu
Publié le 28 mai 2023, mis à jour le 28 mai 2023

Située à Montréal, l'Ecole nationale de théâtre du Canada s’est affirmée comme un véritable centre d’excellence dans le domaine de la formation théâtrale en maintenant une pédagogie constamment questionnée, validée et ajustée. Entre tradition et modernité, transmission et création, les choix sont difficiles. Lepetitjournal.com s'est entretenu avec Fanny Pagé, directrice de la prestigieuse école. 

 

En trois mots comment définiriez- vous l'Ecole nationale de théâtre du Canada ? 

C'est toujours difficile ces questions là, parce qu'il y a tellement mille mots qui viennent en tête. Bien évidemment théâtre, inspiration aussi, parce que les jeunes qui sont à l'école m'inspirent tellement dans la façon dont ils se dédisent dans leur formation. C'est assez incroyable. Et résilience. Dans le contexte actuel, on dirait qu'on ne peut pas passer à côté.  

 

Justement, en parlant de cette ère post pandémique, on comprend que cette année marque véritablement un retour à la normale pour votre école, ce qui est très important pour vous. Comment cette pandémie vous a-t-elle directement impactée ? Tout en sachant que le secteur culturel, bien sûr, a été la principale victime institutionnelle de cette pandémie. 

J'ai le goût de vous dire qu'il y a une expression en anglais, the show must go on. Quoi qu’il se passe dans une journée, dans un après-midi, dans un théâtre, il y aura un spectacle le soir sur scène. Donc oui, on a vécu une pandémie, mais cet adage s'est appliqué à tout ce qu'on faisait. On a tout basculé en ligne par moments, ensuite on a pu avoir certains cours en personne, ensuite on a mis des masques, etc. On a fermé, on a rouvert, à chaque fois, on s'est adapté. C'était un peu la force des gens extraordinaires qui travaillent dans ce milieu là. La communauté du théâtre a cette capacité d’adaptation à l'adversité en toutes circonstances. On a pu, tout au long de la pandémie, continuer nos formations, les adapter et nous adapter constamment. Au final, cette année, notre cohorte qui s'était inscrite deux mois avant la pandémie, ne sachant pas du tout que le monde allait s'arrêter pour eux, sortent avec une formation comparable aux autres formations qui ont eu lieu avant la pandémie. C'est assez extraordinaire le niveau d'adaptabilité, et encore une fois de résilience, des gens. J'ai le goût de vous dire que le théâtre a survécu à cette pandémie. Les gens ont pu effectivement, dans les moments les plus intenses de la crise, se divertir par d'autres moyens. Peut être qu'ils ont basculé en ligne, ou surconsommer du Netflix ou d'autres plateformes de diffusion, ils ont regardé un certain moment du théâtre qui a été diffusé à la télé ou même à la radio. C'est super, mais la soif est encore là. On le voit parce que les gens viennent encore au théâtre, ils ont besoin de reconnecter avec cette force d’art. On le voit avec les gens qui s'inscrivent, on a un peu plus de gens qui s’inscrivent cette année que les dernières années. Donc, on se dit OK, il y a encore ce désir d'exercer un métier lié au théâtre. C’est extraordinaire qu’une pandémie, qui a été quand même majeure à l'échelle de la planète, peut assurer cet instinct là, ce besoin de se connecter avec cette forme d'art.  

 

Est ce que vous pensez que le fait que la culture nous a été interdite pendant un certain nombre de mois a rappelé aux gens son importance ? dont celle du théâtre ?

Je pense que oui, surtout pour les gens qui avaient déjà cette habitude, ce besoin de se connecter avec la culture, peu importe la forme. J’ai l’impression que c’est comme si on mangeait quelque chose qui nous avait été privé pendant deux mois. Je pense que pour ces gens là, on est capable d'être là pour eux. C'est bien parce qu'il y a eu tellement d'œuvres qui ont été mises sur pause que l'on est dans une position où on a plus de gens qui veulent consommer plus. Mais je dirais qu’il y a un penchant négatif de ça, c'est que nos jeunes, pendant ce temps là, n'ont peut-être pas tout à fait su développer cette habitude de se nourrir de différentes formes artistiques. Ils sont très présents avec les tablettes, avec la télé, avec les consoles de jeux. Est-ce qu’ils ont surconsommé ça ? Ça devient difficile de s'ouvrir à d'autres choses. Je dirais que c'est une préoccupation que j'ai. Pendant quelques années, les gens ne sont pas allés au théâtre, est-ce qu’ils vont aimer y aller ? Est-ce qu'ils vont avoir d’eux-mêmes cet instinct de “oh une pièce de théâtre dans mon quartier j’ai envie d’y aller” ? Est-ce qu'ils vont avoir l’idée de se dire “je peux évoluer professionnellement dans le théâtre”, “je peux être concepteur d'éclairage” ? Ou et si j'étais une écrivaine, une autrice dramatique ? Je ne sais pas si on a perdu quelques années importantes dans leur parcours pour les connecter à ce monde. Il faut qu'on travaille très fort ces prochaines années à faire du rattrapage, et à s'assurer qu'on leur permet d’accéder le plus possible au théâtre. Nous, nos pièces sont gratuites. Il faut qu’on essaye de rallumer cette petite flamme. 

 

Est-ce que vous envisagez des projets? Par exemple avec du théâtre pour très jeune public pour essayer de les reconnecter au théâtre ? 

L'école est divisée en deux sections, la section anglaise et la section française. Dans la section française, on avait un projet jeune public en début d'année scolaire l'an dernier, on le reconduit cette année. On va poursuivre aussi avec notre stage découverte où on invite des jeunes qui sont à la fin du secondaire à expérimenter les différents métiers du théâtre. Donc, on poursuit avec cette initiative là. Puis on essaie toujours d'essayer d'amplifier notre festival de théâtre. On a un festival de théâtre pancanadien, le DramaFest, qui regroupe des élèves du niveau secondaire en compétition provinciale, ils montent eux- mêmes leur pièce de théâtre, dans certaines écoles ils écrivent même. On est de retour avec à peu près 8000 jeunes. Parce que le théâtre, oui, c'est voir une histoire racontée devant nous, se connecter à une histoire, à des personnages, à des gens comme nous, c'est ce qu'on tente de faire en allant chercher une diversité d'autrices ou d'auteurs, d'acteurs, d'actrices ou de comédiens et comédiennes qu'on met sur scène pour que les gens se reconnaissent de plus en plus. C'est cette connexion qui est cruciale. Mais créer du théâtre, c'est connecter ensemble aussi, c'est briser l'isolement qui s'était créé autour de nous, ça vient répondre à beaucoup de besoins qu’on a. 

 

Quels étaient vos souhaits et vos craintes quant à cette pandémie et la reprise des activités de votre école ?  

Ma crainte, c'est cette espèce de connexion qu'on a manquée avec le jeune public, particulièrement avec le jeune public. C'est aussi fascinant parce que plus que jamais, il y a des besoins dans le milieu. Nos diplômés, dans nos programmes de production et création, sont déjà embauchés avant même d'avoir fini, à 100 % ils ont des emplois, donc ça confirme cette précarité là. C'est ma crainte de voir comment on crée cette espèce de pont où il y a eu une cassure. Mon souhait est que le théâtre continue de se réinventer, que le théâtre soit le reflet de la culture, de notre société, de ce qui se passe, des enjeux sociaux qui nous entourent. Que le théâtre continue de s'adapter à tout ça, qu’il suit les courants politiques et crises mondiales. Réinventer le monde avec le théâtre. 

 

Avez-vous de grands projets dans votre école ?  

A l’école, on a neuf programmes professionnels, donc est-ce qu’ils sont encore au goût du jour ? Est-ce qu’ils reflètent les besoins du milieu ? Comment on fait dans une école qui est basée à Montréal, au Canada, pour s'assurer le recrutement des élèves qui sont issus de la grande diversité canadienne ? On veut être capable de dire qu'on fait des pièces de théâtre dans lesquelles tout le monde se rejoint, que ce soit dans les gens qu'on voit sur scène ou les gens qui travaillent derrière la scène. Cette espèce de diversité demande de s'adapter, de trouver des nouvelles façons de recruter, de continuer à être innovant. Je dirais aussi que l'école c'est le Monument-National, c’est un théâtre de 130 ans qui se fait vieux, qui a besoin de beaucoup d'amour, mais qui est un terrain de jeu incroyable pour les élèves. Donc, c'est sûr qu'on a des défis de maintien d'infrastructures dans les prochaines années et de grands besoin de soutien de la part des différents paliers de gouvernements, fédéral, provincial et municipal, avec qui on tente d'entretenir des bonnes relations. C'est ce que je vous dirais, surtout particulièrement les enjeux au niveau des infrastructures de notre université, puis d'essayer de tirer notre épingle du jeu. On est un organisme à but non-lucratif, on cherche à continuer à recevoir le soutien du gouvernement, de la province, puis d'intéresser le public et les corporations aussi. 

 

Comment l'institution que vous représentez participe pleinement à la culture montréalaise, ou même canadienne, qui est très riche en culture, que ce soit théâtrale, musicale… ? 

En fait, j'ai le goût de vous dire les deux, certainement les deux. La particularité de l'école, c'est qu'on n'a pas un corps professoral fixe. Je vais faire une comparaison avec certaines universités où les professeurs sont là depuis X années, ils enseignent souvent les mêmes cours… Nous, on veut des praticiens du milieu qui enseignent à nos élèves. Donc, chaque année, il y a à peu près 300 différents pratiqués et coachs du milieu originaires du Québec et du Canada qui viennent à l'école pour enseigner à nos élèves. Ce sont des gens qui sont actifs dans leur milieu, qu’ils soient originaires de Vancouver, de Toronto, de Montréal... Donc, il y a cet échange-là qui se fait avec nos élèves et une réelle contribution avec leurs communautés ce qui est super. C'est cette relation entre artistes, enseignants et élèves qui est très particulière à l'école, et qui je pense enrichit énormément la communauté québécoise.

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