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KOTWICA – Qu’est-ce que c’est ?

symbole kotwicasymbole kotwica
Écrit par Hervé Lemeunier
Publié le 25 mai 2021, mis à jour le 26 mai 2021

Au petit matin de ce jour de février 1942, une Kotwica peinte en noir détonne sur le mur blanc de la confiserie Lardelli, rue Polna. Les passants découvrent alors la première Kotwica jamais représentée.

A l’époque, ces Varsoviens sous occupation ont dû se poser cette question : « Qu’est-ce que c’est ? » A première vue une ancre, comme son nom l’indique, puisque les Polonais désignent par kotwica cette volumineuse pièce de métal que l’on jette à l’eau pour immobiliser un navire. Mais la Kotwica n’a pas gagné le droit de s’affubler d’une première lettre capitale pour rien. Découvrons le seul élément qui relie ensemble la Seconde guerre mondiale, la résistance polonaise, Solidarność, des mugs, des scouts et l’Université des Arts de Varsovie.

 

Trois coups de pinceaux pour sauver la Pologne

Réfugiée dans les locaux de l’Université de Technologie où son père travaille, Anna Smoleńska contemple, épuisée, son œuvre achevée. Une simple ancre. Étudiante en histoire de l’Art à l’Université de Varsovie, désormais clandestine en cette année 1942, Anna Smoleńska n’est pourtant pas en train de composer une production pour ses études. Cette fois-ci, ses croquis seront envoyés à l’Armia Krajowa (armée de l’intérieure), le plus grand mouvement de résistance en Pologne, qui a lancé un concours clandestin pour obtenir un sigle facilement identifiable. Structuré en de nombreuses unités aux objectifs divergents, ce dernier cherche à fédérer l’ensemble de ses membres grâce à un symbole fort. D’autant plus qu’il existe encore de nombreux groupes clandestins qui n’ont pas encore décidé de se rattacher à l’AK, seul lien un minimum solide avec le gouvernement polonais en exil à Londres. Lorsqu’Anna décide de dessiner une simple ancre, il en va donc de l’unité du pays derrière son pouvoir exécutif. Elle qui travaille déjà au service de propagande de la résistance intérieure polonaise voit exactement quel symbole pourrait identifier l’AK. Ce symbole, c’est Wawer.

 

Wawer, entre peur du génocide et mythe de la résistance

Nous voilà deux ans et demi plus tôt, le soir du 26 décembre 1939. Trois mois déjà se sont écoulés depuis l’invasion soviéto-germanique de la Pologne, prévue de longue date par Adolf Hitler et Josef Staline. Les deux dictateurs se sont entendus sur le sort funeste réservé à la souveraineté de la Pologne, sa culture et ses habitants. En lançant une propagande autour de supposées violences ethniques orchestrées par les Polonais sur les minorités allemandes au début de la guerre, comme celles de Bydgoszcz, Adolf Hitler espérait légitimer un génocide de masse sur les populations slaves, baptisé Generalplan Ost – Plan Général à l’Est. Alors, quand deux criminels connus, Marian Prasuła et Stanisław Dąbek, tuent deux sous-officiers allemands en ce soir du 26 décembre 1939, le chef suprême nazi jubile face à son casus belli tout trouvé. La réaction nazie ne se fera ainsi pas attendre : à la tête de la police du Reich à Varsovie, le colonel Max Daume ordonne dans la nuit la capture de 120 hommes de 16 à 70 ans, choisis aléatoirement. La plupart sont arrêtés dans leur lit, sans même avoir pris connaissance du double meurtre des soldats allemands. Leur seul point commun reste leur lieu de résidence, soit à proximité de la ville du crime : Wawer. Une parodie de justice plus tard, 107 hommes polonais – dont un jeune garçon de 12 ans, finalement – sont exécutés sommairement, puis abandonnés dans une grande fosse. La Pologne ne s’est pas encore réveillée, mais elle vient de vivre le premier massacre de civils polonais effectué par les Nazis. Loin de passer inaperçu en ce début de période d’occupation, le drame marquera terriblement les populations civiles, du côté soviétique autant que du côté nazi. Pour ce qu’il représente, le Massacre de Wawer fédère les deux parties de la Pologne autour de la volonté d’entrer dans la résistance active. A tel point qu’un groupe de jeunes scouts polonais décide quasi instantanément de passer à l’action, dès le début de l’année 1940.

 

L’opération Wawer : quand des scouts défient des nazis

Grimpant jusqu’à 500 membres, le groupe de scouts clandestins - désormais baptisé « L’organisation Wawer » - se contente de bousculer l’occupant nazi par des actions mineures de sabotages, de fausses informations ainsi que de graffitis. Parmi ceux-là, une phrase, aussi forte que longue : Pomścimy Wawer – Nous vengerons Wawer. Peu pratique pour une activité clandestine. Pour gagner en vitesse d’exécution, elle sera progressivement remplacée par ses propres initiales et deviendra la signature de la jeunesse résistante du pays : P et W. Et un jour, une étudiante a l’idée de les joindre et d’en faire une ancre. En collant un W arrondi à la base d’un grand P, Anna Smoleńska a lancé l’Histoire.

La jeune Varsovienne a donné naissance à la Kotwica, Tadeusz Zawadzki la fera grandir de façon fulgurante. Ce jeune instructeur scout de 21 ans avait rejoint la résistance dès l’obtention de son examen de fin d’études, en 1939. D’abord membre de divers groupes clandestins non affiliés à l’AK, Zawadzki intègre les scouts résistants des Szare Szeregi en mars 1941, où il aura pour rôle d’organiser les sabotages de Wawer dans le district varsovien de Mokotów. Sous ses ordres, ses nombreux camarades scouts – dont Jan Bytnar, héros national, et Krzysztof Kamil Baczyński, poète – gribouilleront crânement ces petites ancres encore anonymes sur les bâtiments contrôlés par l’occupant nazi. Dans ce combat déséquilibré, le jeune scout se mue en David contre Goliath et tourne en ridicule l’armée allemande, incapable de stopper la prolifération du symbole d’une Pologne increvable. Et comme ce symbole, il deviendra légende, immortalisé par le roman d’après-guerre Sur le Sentier des Pierres, écrit par son camarade et supérieur militaire, Aleksander Kamiński. Celui-là même, qui, quelques années plus tôt en 1943, l’avait symboliquement baptisé Kotwicki, preuve encore s’il en fallait de l’importance du jeune rebelle dans l’histoire de la Kotwica.

 

Mais Anna Smoleńska emportée par le typhus à Auschwitz, Kotwicki descendu lors d’une escarmouche à Varsovie en 1943, ou même Aleksander Kamiński mort de sa belle mort dans les années 1970, qui reste-t-il encore pour dessiner cette résistance polonaise ? Beaucoup de monde. Peut-être même trop, finalement. Simple à dessiner, la Kotwica a été gribouillée à l’excès, au point que le P et le W semblaient progressivement perdre leur sens premier : était-ce pour le Soulèvement de Varsovie ? l’Armée Polonaise ? La Pologne Combattante ? Les esprits les plus vénaux ont entraîné la Kotwica dans un tourbillon capitaliste, la déposant tour à tour sur des T-shirts, des tasses exposées dans des boutiques de souvenirs, ou sur des photos de profil Facebook. Jusqu’à l’écoeurement des originels de la fameuse ancre, à commencer par le vétéran Andrzej Gładkowski, vice-président de l’association des insurgés de Varsovie.

Fatigué de l’usage politique et commercial d’un vestige de l’Histoire de la Pologne, celui-ci a réussi à porter aux députés la proposition de restreindre le droit d’usages de la fameuse ancre, en 2014. « Notre association a cru bon de devoir protéger ce signe des fins commerciales et politiques, expliquait-il il y a un an. Nous avions pensé à breveter la Kotwica, mais nous avons constaté que la meilleure solution était de créer une loi sur la protection du symbole de la Pologne en lutte. » Plus de 70 ans après sa naissance, la Kotwica se retrouve donc vouée à enfin reposer sur les stèles funéraires et dans les livres d’histoire poussiéreux, après avoir initié la résistance graphique polonaise à l’origine de Solidarność entre autres, et recouvert les murs d’une Pologne « vengée de Wawer » depuis bien longtemps. En attendant, il est désormais inutile de chercher une quelconque confiserie Lardelli à Varsovie. Preuve que le temps continue de faire son œuvre.

 

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