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SMOG – Les Polonais, comme un air de résignation ?

Varsovoie SMOGVarsovoie SMOG
Écrit par Hervé Lemeunier
Publié le 6 mars 2018, mis à jour le 6 mars 2018

Le 22 février dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne a décidé d’épingler la Pologne pour la qualité de son air. En cause, la concentration excessive de particules fines (PM 10) dans les agglomérations et zones polonaises les plus polluées, ainsi que les délais bien trop longs et injustifiés que prenait le pouvoir polonais pour y remédier. Et pendant que les gouvernements successifs rechignent à réagir, 48 000 Polonais meurent chaque année des causes de cette faible qualité de l’air. Un chiffre de la honte, qui fait progressivement émerger la réaction d’une société civile encore peu consciente des risques qu’elle prend quotidiennement.

 

Le smog, criminel invisible.

 

Aga a beau continuer à s’angoisser l’esprit sur le canapé luxueux du Green Caffé Nero du coin, cela n’y changera rien : ses bambins de sept et neuf ans sont sans cesse malades en hiver, à Varsovie. « Oh, ce n’est jamais grand-chose, se rassure-t-elle. Des petits virus, des petites allergies de rien du tout. » Il n’empêche que ces petits pépins n’existaient pas encore, à l’époque où Aga, son mari et ses poupons vivaient à Stockholm, cinq ans plus tôt. C’est cela qui lui a permis d’ouvrir les yeux sur la qualité de l’air de la Pologne, de Varsovie et de Nowy Swiat,  son quartier de résidence. C’est cela qui l’a motivée à rejoindre Warszawski Alarm Smogowy, l’association civile la plus importante à combattre la pollution de l’air de la capitale, créée il y a tout juste quatre ans.

 

Se mobiliser contre la pollution avant 2016 à Varsovie, c’est au mieux être avant-gardiste, au pire totalement illuminé. « Les Varsoviens ont commencé à s’inquiéter de la pollution de l’air il y a deux ans à peine, grâce ou à cause de ce smog, explique-t-elle. Avant, les gens étaient persuadés que ces histoires de pollution ne touchaient que le Sud du pays, que l’air de Varsovie était totalement pur. » Il aura tout de même fallu un épisode de smog particulièrement inquiétant, en fin d’année 2016, pour réveiller les Polonais d’un long rêve embrumé. La raison de cet entêtement ? D’une part, le gouvernement de Donald Tusk n’a pas jugé bon d’inquiéter ses concitoyens sur la problématique écologique, alors que le pays devait  poursuivre son chemin vers la modernisation. D’autre part, le Sud du pays faisait face à trois points aggravants dont Varsovie semblait protégée : les Carpates, qui encerclent la région sud, enfermant du même coup l’air pollué ; un secteur industriel aussi dynamique que sale ; et, enfin, la production intensive de charbon dans de nombreuses mines toujours en activité, qui chauffe l’essentiel des foyers du sud.

 

Deux ennemis publics numéro un ex aequo

 

Certes. Mais maintenant que la population prend la conscience de son inconscience passée, qu’a-t-il bien pu se passer ? Pas grand-chose. Le trafic de voitures et le chauffage au charbon  des habitations sont deux vilaines manies qui collent à la peau des Varsoviens et à celle de leurs gratte-ciels, engloutis par le vilain nuage gris en résultant. A tel point qu’il devient impossible de dissocier ces deux ennemis publics numéro un. « Ces deux paramètres déterminent la plus grande part de la pollution de l’air de Varsovie. Si le charbon va progressivement être moins polluant à l’arrivée des beaux jours, se focaliser sur la pollution des voitures ne suffira pas à rendre l’air sain. Il faut se battre sur les deux fronts. » D’abord, la circulation de voitures : il faut être Polonais pour comprendre l’importance d’une voiture dans un foyer. Symbole d’une richesse nouvelle et d’une consommation de masse ostentatoire, les Polonais ont adopté la boulimie des jantes à l’enterrement de la Guerre Froide. Avec plus de 700 voitures pour 1000 habitants, Varsovie est bien loin devant Berlin, qui en compte 500 de moins pour le même nombre de citadins.

 

Et comment s’en étonner lorsqu’on remarque la passivité des politiques d’infrastructures de la ville : contrainte de renaître de ses cendres après la Seconde Guerre Mondiale, la ville-phénix s’est étalée en oubliant d’ériger un réseau de transports efficace. Les deux lignes de métro (dont une encore incomplète) perdues dans une agglomération 5 fois plus grande que Paris (500 km carrés) sont là pour en témoigner. Des erreurs du passé qui n’ont même pas à rougir de leurs congénères actuelles : un stationnement d’une heure coûte aujourd’hui moins cher qu’un ticket de 20 minutes de métro. Un stationnement interdit est sanctionné par une amende quatre fois moins importante que la fraude dans les transports en commun. Il y a même des annonces informant de la gratuité des parkings  pendant les vacances … dans les bus. Une décision insolite qui ferait presque sourire, si l’air ambiant ne sentait pas le plastique brûlé.

 

L’adhésion à l’Union Européenne n’a, curieusement, pas freiné les vieux tacots. Au contraire. Les voitures jugées trop polluantes et trop vieilles en Allemagne se sont refaites une santé sur l’asphalte polonais, grâce à l’entrée dans le Marché Commun. Au même moment, et toujours pour entrer dans les clous de la législation européenne, la Pologne abandonnait son classement polluant des différents charbons qu’elle produisait, qui rendait illégale la vente des charbons les plus nocifs dans les foyers du pays. Le charbon polluant, moins cher, a donc tout naturellement fait son grand come-back dans les poêles polonais.

 

Du charbon et des déchets dans les foyers polonais

 

Un retour « gagnant » du charbon que les Polonais n’ont pas boudé, bien au contraire. Même Aga explique que la priorité n’est pas à l’arrêt du charbon. De toute façon, les lobbys de l’extraction minière ne le permettraient sans doute pas : ces derniers ont d’ailleurs déjà bloqué l’amendement souhaité par le PiS, visant à interdire l’extraction du charbon le plus polluant, il y a un an. Non, le problème est autrement plus grave : de nombreux Polonais, même à Varsovie, continuent de brûler leurs déchets pour se réchauffer. « Mettons cette chaise, explique Aga en désignant un trône brillant de verni. De nombreuses personnes ne se soucieront pas de la mettre au feu, en ignorant parfaitement la glu, le verni ou les produits de soins apportés au bois, qui se révèlent tous être extrêmement polluants une fois brûlés. » Une scène semblable avait également fait beaucoup de remous chez les défenseurs de l’air pur polonais, quand la Philippe Etchebest locale, Magda Gessler, avait appelé un restaurant à brûler tout son ancien mobilier. « Il existe un service environnemental de la police municipale qui essaie de supprimer cette pratique à Varsovie, nuance néanmoins Aga. Avant, ce service ne pouvait plus intervenir lorsque l’acte de combustion était terminé. Depuis peu, il a de nouvelles prérogatives, et peut, par exemple, demander à rentrer chez des personnes dont la cheminée dégageait une fumée étrange pour analyser les cendres de l’âtre. »  Et quand bien même cette pratique semble désormais condamnée – timidement – par les pouvoirs polonais, elle reste « vraiment assez courante », d’après Aga.

 

Et comment s’en étonner, une fois encore, quand le gouvernement semble aussi peu réactif.

Si le PiS vient de mettre en ligne un site internet référençant la qualité de l’air de zones très fréquentées de Varsovie en temps réel, il n’a pas jugé bon d’abaisser les seuils critiques de pollution.  « Selon le gouvernement, abaisser les seuils n’aurait aucune utilité, puisque les grandes villes polonaises seraient constamment dans le rouge », se désole Aga. Et quand  le pouvoir décide de prendre les choses en mains, ce sont les citoyens eux-mêmes qui traînent la patte. « A Varsovie, il y a énormément de fumeurs, surtout dans mon quartier. C’est une pollution de l’air désagréable et nocive, notamment pour les jeunes enfants, ce qui a poussé les parlementaires à réfléchir sur une loi de sensibilisation contre la consommation de tabac. Cela a été très mal accueilli par les Polonais !  Quand le gouvernement s’emploie à proposer des solutions innovantes, il se risque à une montée d’impopularité. »

 

Et si c’était aux citoyens eux-mêmes de faire le premier pas ? « Notre association a pris beaucoup de crédit suite au soutien plus massif des Varsoviens. Notre page Facebook est passée de quelques milliers d’abonnés à plus de quarante-cinq mille, maintenant que le smog inquiète. Mais une grande  partie de la population ne s’y intéresse toujours pas, notamment les personnes âgées, qui n’y ont pas été sensibilisées du tout. En Suède, les gens sont très attachés à la qualité de vie. Ici, j’ai le sentiment que les Polonais seraient capables de se soumettre à des conditions de vie déplorables, sans même rechigner. » Et si le meilleur remède, c’était une véritable prise de conscience de l’ensemble des Varsoviens ? De quoi soigner ces vilaines maladies respiratoires, et rassurer un peu Aga.  

 

 

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Publié le 6 mars 2018, mis à jour le 6 mars 2018