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LOI GOWIN SUR L’UNIVERSITE – Pas de vacances pour la grogne étudiante

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Écrit par Hervé Lemeunier
Publié le 12 juillet 2018, mis à jour le 12 juillet 2018

En février dernier, le Ministre de la Science et de l'Enseignement supérieur Jarosław Gowin lançait un projet de loi programmant une profonde réforme du système universitaire national le 1er octobre prochain. Hyper centralisation du milieu académique, bouleversement du financement des universités et de l’obtention du doctorat : la « Loi 2.0 » a tout balayé en ne laissant derrière elle que des doutes. Au point que l’on se demande désormais qui d’autre que le capitaine Gowin est encore en mesure de dire de quoi l’avenir du supérieur sera fait : nouveaux programmes universitaires et totale liberté de gestion des académies ? Hausse des budgets et des niveaux d’études généralisées ? Ou, au contraire, perte d’indépendance des enseignements et dévalorisation du contenu académique national ? Le doute est permis, et même si Gowin assure encore que « cette réforme permettra de libérer le potentiel de nos étudiants, des enseignants-chercheurs et des scientifiques », il n’a jamais semblé autant attiser les critiques de tous bords. Jusqu’à avoir rallumé la contestation étudiante nationale et généralisée, éteinte depuis plus de cinquante ans. Rien que ça.

 

Protestation 2.0 contre Loi 2.0

 

Sourire goguenard aux lèvres, Michał et Piotr se saluent par un sonore « To Gowin ludojad ! » (Gowin cannibale). Le ministre Gowin doit apprécier. Heureusement, il ne semble pas entendre les contestations des deux étudiants, ni des quelques dizaines de milliers de leurs congénères qui, depuis début mai, occupent les universités et se mobilisent en opposition à la Loi 2.0. « Dernièrement interrogé sur la grogne étudiante autour de son projet de loi, Gowin a déclaré devant les journalistes qu’il ne fallait pas se laisser distraire par « sept étudiants », explique Michał, grand artisan de l’occupation de l’Université de Varsovie. Depuis, les AKP signent chacun de leurs message Facebook et Twitter par le hashtag #septétudiants. » Les AKP, ce sont les comités de protestation organisés dans chacun des plus grands pôles universitaires du pays  (Varsovie, Poznań, Wrocław, Gdańsk, Cracovie), chacun répondant à des intérêts particuliers. Et si les Universités se sont vidées et que les occupations ont cessées, les étudiants continuent de se mobiliser envers et contre tout au coeur de l’été. Par l’intermédiaire des réseaux sociaux principalement, donc, mais aussi par l’envoi de cartes postales narquoises adressées au gouvernement, l’organisation de conférences alternatives, ou encore le rapport de notes de synthèses sur les conséquences supposées de la Loi Gowin. Et de l’amphi occupé à la terrasse ensoleillée d’un café près de Mokotowskie, le discours n’a pas changé d’une syllabe. « Cette loi peut amener de nombreux problèmes, dont trois retentissants, avance Michał. Le premier, c’est le risque encouru de tuer à petit feu les universités des villes moyennes par la mise à disposition d’un budget proportionnel au dynamisme de l’université. A terme, cela va empêcher les universités de villes moyennes de rassembler un grand nombre d’étudiants et d’enseignants, puis lui ôter leur statut d’universités publiques. Le second problème, c’est la centralisation du pouvoir de décisions au sein même des universités, qui va empêcher les étudiants d’agir pour le bien-être de leurs études. Enfin, notre action de protestation a mis en lumière un troisième point important : le caractère très flou du corps de ce projet de loi. Beaucoup de professeurs, académiciens et scientifiques ne comprennent même pas ce que la loi cherche à apporter. »

 

Le soutien des professeurs

 

Des personnels d’université qui n’ont pas hésité à suivre les étudiants dans leurs mouvements. « Dans certaines villes, ils représentent même la plus grande partie des mobilisés, assure Piotr. Nos pétitions et nos lettres ouvertes recueillent les signatures de nombreux professeurs. » Ce qui tombe plutôt bien, puisque Gowin ne peut pas se permettre d’ignorer la parole des professeurs, cette fois-ci. Lors d’une rencontre à l’Université de Cracovie le mois dernier, le ministre et membre du PiS a dû affronter la perplexité et l’inquiétude de professeurs cracoviens, ainsi que les remarques acerbes du recteur de l’Université de Jagiellon. « Ecran de fumée », « danger », « marginalisation de la recherche inter-disciplinaire » : les mots ont fusé, les sourcils se sont froncés. Le tout sans l’intervention des étudiants, invités à voir ailleurs quand bien même leur présence dans l’université aurait dû leur être autorisée. Qu’importe, les étudiants ne croient plus au « temps du dialogue » sans cesse vendu par Gowin. La mise en place de comités professionnels aptes à évaluer les performances des universités et baisser les budgets, possiblement graves pour l’indépendance de l’enseignement, a déjà été écartée par Gowin après une première vague de protestation étudiante. La recette marche : pourquoi ne pas l’utiliser plus souvent alors ? « On ne voit plus de mouvements étudiants parce que le mode d’emploi des universités permet une large influence des étudiants depuis 81, explique Michał. Ce qui pourrait tomber avec la nouvelle loi, d’ailleurs. » « L’héritage de Mars 68, quand le mouvement étudiant a été réutilisé à des fins antisémites, était également peut-être lourd à porter au début du mouvement », avance également Michalina.

 

Le genre en jeu

 

Un tabou de détruit. Le prochain sera peut-être le renouveau de la femme au sein des discussions politiques, d’après Michalina.

« L’éthique socialiste de la femme émancipée et positionnée dans le débat public entrevue dans les années 1980 avec Solidarność a vécu, estime-t-elle. S’en est suivi un temps où l’espace de parole public a été monopolisé par l’homme pour des fins politiques et carriéristes. Dernièrement, on sent un renouveau avec des mouvements comme le Black Protest contre l’avortement, et nous voulons confirmer cette tendance. » « Notre mouvement est fondamentalement féministe, abonde Piotr. La plupart des mouvements d’occupation ont été mis en place par des étudiantes. A Poznań, ce sont les plus radicaux. A Wrocław, plusieurs étudiantes, seulement en première année, ont réussi à mobiliser l’occupation. » De quoi se lancer dans une campagne de sensibilisation à l’égalité des genres dans le milieu universitaire ? « Les projets académiques sont encore en grande partie produits par des hommes… le pire étant que cette loi réduirait encore un peu plus la possibilité pour les femmes de poursuivre de grandes carrières académiques, puisque Gowin propose de rabaisser l’âge de la retraite pour les femmes. C’est aussi pour cela que nous luttons : nous recherchons la démocratisation de l’université avant tout, mais également l’égalité entre femmes et hommes qui lui est essentielle. Ce processus sera sûrement long à atteindre, mais nous travaillons beaucoup pour y arriver ! »

 

Les premiers éléments de confirmation arriveront en octobre prochain, où la promulgation attendue de la Loi Gowin risque encore de faire des émules.

 

Publié le 12 juillet 2018, mis à jour le 12 juillet 2018