Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

CARNET DE VOYAGE - Leçons de résistance

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 11 janvier 2011, mis à jour le 14 novembre 2012

 

Second épisode du carnet de voyage de Bénédicte Mezeix, journaliste française fraîchement débarquée en Pologne : "Nie mówi? po polsku mais je finirai bien par comprendre les Polonais... un jour !". Aujourd'hui, leçons de résistance avec le perchiste W?adys?aw Kozakiewicz, médaille d'or aux JO de Moscou en 1980, et la naissance du mouvement Solidarno??.

 

(photos et logos Wikicommons sauf Komisja Krajowa B. Mezeix)

Vus de l'extérieur, je trouve les Polonais plus flegmatiques et résignés que moi, Française, enfant de la Révolution toujours prête à dire "non" ! Pourtant durant l'été 1980, un vent de rébellion va souffler à l'Est. Aux JO de Moscou, un grain de sable se coince dans la belle propagande communiste : le perchiste polonais W?adys?aw Kozakiewicz gratifie, en plein direct, les Russes d'un magnifique bras d'honneur. Et Gda?sk devient le berceau d'une contestation  historique grâce au mouvement Solidarno??... "Umiesz liczy?, licz na siebie": "Tu sais compter, compte sur toi-même !", cet été-là illustre parfaitement la devise préférée des Polonais !

Le boycott des JO de Moscou


En pleine Guerre Froide, durant l'été 1980, débutent pour la 1ère fois en URSS les XXIIe Jeux olympiques de Moscou, mais sans réel enthousiasme... Et pour cause, une soixantaine de nations, les États-Unis en tête, boycottent l'événement pour riposter contre l'invasion en 1979 de l'Afghanistan par l'Union Soviétique.

Ce fameux boycott instrumentalisé par les Américains n'est en fait qu'un moyen de pression. L'idée les taraude depuis les JO de Montréal en 1976. Le Président Jimmy Carter a trouvé son os à ronger. Il adresse un ultimatum au Kremlin : "Si dans un mois au plus tard, vos troupes n'ont pas évacué l'Afghanistan, l'équipe olympique américaine n'ira pas à Moscou et nous demanderons aux autres pays de s'abstenir aussi". Ça n'empêchera pas 120 athlètes français de faire le déplacement.

La double victoire du perchiste polonais W?adys?aw Kozakiewicz
Côté Polonais, 306 athlètes participent à ces jeux. Ils sont gonflés à bloc. Et je ne parle pas de produits dopants. Ils sont là pour écraser les Russes. Leur rendre sportivement la monnaie de leur pièce. L'équipe de Pologne va remporter 32 médailles, dont 3 en or, 14 en argent et 15 en bronze.

Mais l'événement sportif le plus marquant de ces Jeux reste la performance du perchiste W?adys?aw Kozakiewicz, un dieu dans sa discipline. Ce jour-là, la tension est à son comble dans le stade. Le public russe hue et siffle chacune des prestations polonaises. Et Kozakiewicz plus que les autres car il représente un réel danger pour ses adversaires. Mais lui, c'est un gladiateur. Alors il se prépare au combat et saute. Tous les Polonais sont scotchés à leur poste de télé et retiennent leur souffle.

Il saute et s'envole. Si haut qu'il bat le record du monde avec 5,78 m. Ses pieds ont à peine retouché le tapis qu'il explose de joie et fait un bras d'honneur magistral en direction des tribunes. Prends ça, Brejnev ! Lenine avait son point levé, dorénavant, il aura le bras de Kozakiewicz. Le tout est diffusé en direct à la télé, aucune coupure, aucune censure possible.

Insulte ou défi ?

Un bras d'honneur, pour moi, c'est vraiment vulgaire. Mais Ryszard argumente avec émotion : "C'est pas vrai, ce n'est pas vulgaire dans ce contexte. Ça veut dire : vous voulez faire de nous des esclaves mais on est des guerriers ! Les Russes nous traitaient comme des bêtes... Ma mère faisait la queue pendant des heures devant les magasins vides... Mais ça nous a rendu plus forts. On a courbé un temps l'échine et c'était comme le signal pour relever la tête !" Et Tadeusz renchérit : "Oui, après, tous les Polonais faisaient ce geste, c'était comme un code."

Justification
Et les Russes, comment prennent-ils la chose ? L'ambassadeur de l'Union soviétique en Pologne demande immédiatement le retrait de la médaille, l'annulation du record et une disqualification à vie de Kozakiewicz pour avoir insulté le peuple soviétique. Rien que ça. Mais les autorités polonaises vont trouver une explication qui vaut bien, elle aussi, une médaille ! Le geste serait en fait la conséquence d'une contraction musculaire, provoquée par un effort considérable... Que répondre à de tels arguments ?

Spartacus a gagné en faisant la Une des tous les journaux du monde, sauf, censure oblige, en Pologne et en URSS. Mais il s'en moque, un grain de sable vient de gripper la machine communiste. Et les polonais ont trouvé un vengeur. Pourtant, en 1984, le héros choisit d'abandonner la Pologne pour passer le rideau de fer et obtient la nationalité allemande. Il devient par la suite champion sous les couleurs de l'ancien ennemi de sa mère patrie. Subissait-il trop de pression en Pologne suite à son geste ? Héroïsme ou opportunisme ? Lui seul le sait !

Sur les traces de Solidarno?? : au chantier naval Lenine
Gda?sk n'e

st pas en reste en ce mois d'août 1980. Dans les chantiers navals commence à se faire entendre un mouvement contestataire. Et il est hors-la-loi car l'Union soviétique n'autorise aucun syndicat indépendant en Pologne communiste. Pourtant, une femme, Anna Walentynowicz, crée la première association indépendante pour répondre aux besoins des ouvriers du chantier naval Lenine.

En représaille, elle est licenciée le 7 août 1980. On lui retire également son droit à la retraite à cinq mois de celle-ci. La grève éclate le 14 août 1980. C'est la naissance du syndicat NSZZ Solidarno?? dont elle est la co-fondatrice avec Lech Wa??sa. "Tu sais qu'Anna Walentynowicz faisait partie des 96 victimes du crash de Smole?sk", me lance Magda. Ça c'est l'âme slave : les meilleurs souvenirs peuvent être soudain entachés de chagrin.

Un chantier survivant !
Ça fait maintenant des semaines que j

e vois au loin ces grues dressées vers le ciel. Je m'y rends pleine d'enthousiasme et de Baudelaire: "Homme libre, toujours tu chériras la mer..." Mais quelle déception ! J'apprends que le chantier naval de Gda?sk n'existe plus à proprement parler. Pour une histoire de restructuration et de rentabilité.

Mais finalement les 251 millions promis par la Commission européenne à la Pologne lors de son adhésion à l'UE ont été enfin validés. D'où sa survie aujourd'hui et sa privatisation. L'enquête en amont a été longue. Très longue et fastidieuse à cause de la dimension affective du lieux. Pouvait-on laisser mourir le berceau de la révolution Solidarno?? ? Une vraie dichotomie mêlant étroitement industrie et Histoire. N'empêche qu'elle est belle, cette forêt de grues vert de gris.

Le Musée Solidarno??
Comment faire entrer la liberté au musée ? Ça commence par des scènes de la vie quotidienne plus que réalistes. Imaginez une épicerie, une geôle, des toilettes publiques, une salle à manger. Mais comme un vaisseau fantôme où tous les passagers auraient disparu... Sur les tables, les assiettes sont là, les verres sont pleins mais quelqu'un a oublié sa montre ?ucz, un autre son appareil photo Zenith... Sensations étranges. Où sont tous les "gens" ? Les acteurs de cette liberté ? Puis il y a des voix, des chansons et des cris qui viennent d'autres salles. Ils sont par là...

(grèves au Chantier Lénine, Gdansk, 1980, T. Michalak, Wikicommons, PD-Poland, Solidarity.gov.pl)

Dans la pénombre, des films d'époque défilent. Du triste : des images de foules, de prières, de luttes, de corps sur le sol, d'une mère qui pleure son fils à ses pieds. Puis du gai : celles d'un ouvrier moustachu qui devient malgré lui un héros, Lech Wa??sa. On le voit qui signe l'accord composé de vingt et un points arraché au pouvoir communiste, ce grand frère sadique. Les ouvriers des chantiers ont fini par gagner après deux semaines de grève générale.

Malheureusement, l'euphorie est de courte durée. Seize mois plus tard, le général Jaruzelski leur envoie les chars... Mais "celui qui tend la main pour arrêter la roue de l'Histoire se fait écraser les doigts", écrit plus tard Lech Wa??sa... Quand la révolution est en marche, rien ne peut l'arrêter ! 

Epilogue
Je sais maintenant que les Polonais sont un peu comme des ours polaires. Ils hibernent un temps, mais quand ils se réveillent, ils ne le font pas à moitié...

Ci?g dalszy nast?pi... A suivre...

 

Bénédicte Mezeix (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) mardi 11 janvier 2011


Pour en savoir plus :

- CARNET DE VOYAGE - Gda?sk, 1ère étape. Première étape des vadrouilles polonaises de Bénédicte Mezeix.
- Muzeum
Solidarno?ci avec l'exposition permanente, Chemins vers la liberté.
ul. Doki 1, Gda?sk, Tél : +48-58 769 29 20.


lepetitjournal.com varsovie
Publié le 11 janvier 2011, mis à jour le 14 novembre 2012