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CINEMA - Aryan Papers, le projet polonais inachev

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 29 avril 2013, mis à jour le 27 mai 2014

A l'occasion du douzième anniversaire de la disparition de Stanley Kubrick, lepetitjournal.com revient sur son projet méconnu : Aryan Papers. La fuite de deux juifs à travers la Pologne occupée. {BEST OF}

(Stanley Kubrick photo wiki commons James Vaughan)

En seulement treize films, Stanley Kubrick a laissé une empreinte indélébile dans l'histoire du cinéma. On ne compte plus les réalisateurs se reconnaissant influencés par son ?uvre (Martin Scorsese, Steven Spielberg, Alan Parker, Lars Von Trier, Guillermo Del Toro, Christopher Nolan?).

Vénéré par des cohortes de cinéphiles, peu d'entre eux savent qu'il s'en est fallu de très peu pour compter un 14ième film de Kubrick consacré à un thème majeur : la Shoah en Pologne.

 

Un projet très personnel


Dès 1976, Kubrick souhaite tourner un film sur ce sujet. Le thème lui tient particulièrement à c?ur en raison des origines de sa famille. Son père comme sa mère sont des Juifs originaires d'Europe Centrale (Autriche, Pologne, Roumanie). En 1991, Kubrick découvre la nouvelle semi-autobiographique de Louis Begley : Wartime Lies (parue en France chez Grasset sous le titre Une éducation polonaise). Le livre raconte comment deux juifs, une tante et son neveu, échappent à la déportation et survivent dans Varsovie grâce à des faux papiers: les "Aryan Papers".

Kubrick décide de l'adapter, mais pourquoi cette histoire plus qu'une autre ? D'abord, le cinéaste y retrouve un"condensé du drame de l'Holocauste". Ensuite, il est également séduit par sa narration originale à la première personne, le rapport ?dipien entre le neveu et sa tante, ainsi que la complexité de ses personnages, tel le soldat allemand Reinhart à la fois menaçant et protecteur.

Mais il y a plus, le narrateur du livre est originaire de la même région que la famille du cinéaste : la Galicie. De surcroît, son père est physicien, tout comme celui de Kubrick. Cette proximité avec l'histoire de sa famille va à la fois effrayer et fasciner le réalisateur d'Orange Mécanique. Pour la première (et seule) fois de sa carrière, il s'attèle seul à la rédaction du scénario. Mais durant toute l'écriture, sa femme Christiane l'observe sombrer dans la déprime.


(Johanna ter Steege - Petr Novák, wiki commons)


Une préparation minutieuse

Le réalisateur va se lancer cependant dans la préparation du projet avec son perfectionnisme légendaire (il fit refaire 125 fois la même scène à Shelley Duval sur le tournage de The Shining, encore à ce jour le record absolu du nombre de prises pour une même scène).

La jeune Uma Thurman est envisagée pour interpréter la nièce. Julia Roberts est approchée pour interpréter le rôle principal de la Tante Tania. C'est finalement l'actrice hollandaise Johanna Ter Steege (L'homme qui voulait savoir, Vincent & Theo, Immortal Beloved) qui est choisie par Kubrick lui-même. Le jeune Joseph Mazzello, vu récemment dans The Social Network, est pressenti pour interpréter le neveu-narrateur. Le réalisateur opte pour la ville de Brno en République Tchèque pour faire figure de Varsovie en guerre..

Last but not least, Kubrick rassemble d'immenses quantités de documents. A tel point que ce travail "préparatoire" fait à lui seul l'objet d'une exposition par les s?urs Wilson en 2009 au Festival du Cinéma d'Edimburgh. De leurs propres aveux, elles se sentaient comme ?des enfants dans un magasin de bonbons? au milieu de ces archives, véritables mines d'idées et d'informations. Mais le film, dont quinze minutes ont déjà été tournées, ne verra jamais le jour...

Seul face à la Warner
En avril 1993 les studios Warner, partenaires de

Kubrick pour ce projet, annoncent son prochain film: Aryan Papers. Au même moment, Steven Spielberg est en plein tournage de La Liste de Schindler à Cracovie. Même si les deux films s'engagent dans deux voies complètement différentes, les producteurs s'inquiètent. Le long-métrage de Spielberg va sortir en décembre 1993, moins d'un an avant Aryan Papers. Deux films sur l'Holocauste en Pologne en si peu de temps? Le public va-t-il suivre?

Le doute s'empare de la Warner. Kubrick a une (mauvaise) impression de "déjà vu". En effet, son précédent film sur la guerre du Vietnam Full Metal Jacket était sorti moins d'un an après Platoon d'Oliver Stone et a fait un flop retentissant. Ainsi, pour éviter de reproduire cette erreur, les studios ralentissent la préparation d'Aryan Papers.

A sa sortie, La Liste de Schindler est un immense succès. Le film rafle sept Oscars (dont celui de Meilleur Film et Meilleur Réalisateur) et rapporte 321 millions de dollars (pour un budget initial de 22 millions). Le succès de Steven va condamner Stanley. Kubrick renonce. Il se tourne vers un autre de ses projets, un long métrage de science-fiction: A.I. Ironie du sort, ce dernier film se fera finalement sous la direction de... Steven Spielberg.

(Ang Lee - wikicommons -66ième Mostra de Venise)

Un projet relancé
Le beau-frère de Kubrick, Jan Harleen, qui a été son producteur délégué dès 1975, a exprimé dans un article du Times sa volonté de voir le scénario d'Aryan Papers adapté à l'écran aujourd'hui. En tant que représentant de la famille, il a évoqué le nom d'Ang Lee (Tigres et Dragons, Raisons et sentiments) pour redonner vie au scénario de Kubrick. Le réalisateur taïwanais oscarisé pour Le secret de Brokeback Mountain n'est pas le seul à être pressenti, on parle également de Michael Thomas Anderson (Magnolia, There Will Be Blood).

Le scénario d'Aryan Papers suivrait ainsi l'exemple de Lunatic at large, première réalisation de Chris Palmer, d'après un script co-écrit par Kubrick à la fin des années 50. Au casting, on retrouverait Scarlett Johannsen (Vicky Cristina Barcelona, Lost in Translation) et Sam Rockwell (Confession d'un Homme Dangereux, Frost-Nixon).

Même si la Warner, toujours en possession des droits, n'a pas souhaité commenter ces rumeurs, il est fort possible que le projet Aryan Papers reprenne vie prochainement. Celui-ci sera-t-il tourné en Pologne ? Affaire à suivre...

Kubrick et la Pologne
Loin d'être le mégalomane hautain décrit par certains, Kubrick s'intéressait beaucoup aux travaux de ses confrères, y compris étrangers. C'est ainsi qu'il est devenu un grand admirateur du travail de Krzysztof Kieslowski, réalisateur polonais du ?Dekalog?. Cette série de dix films sortis en 1989 portant sur chacun des dix commandements est décrite par Kubrick comme ?le seul authentique chef-d'?uvre qu'il ait jamais vu de toute sa vie?. Son admiration pour le cinéma polonais ne se limite pas à ces termes très élogieux pour Kieslowski, le cinéaste apprécie également le travail des musiciens.

Il va ainsi reprendre le travail de Penderecki, compositeur diplômé de l'Académie de Musique de Cracovie, pour The Shining. Ses morceaux De Natura, Sonoris, Polymorphia, The Awakening of Jakob et deux extraits de son ?uvre Utrenja pour le dénouement final seront ainsi utilisés. Incontestablement, le travail du compositeur polonais apporte beaucoup au film, sa musique omniprésente accentue la terreur du spectateur et élève The Shining au statut de classique.

Un thème difficile pourtant souvent porté à l'écran


Filmer et mettre en scène le drame de la Shoah était une, sinon la, difficulté majeur pour Kubrick. Comment faire de l'art devant la monstruosité du sujet. Pour lui, Spielberg n'a pas réellement abordé le thème de la Shoah : la mort de 6.000.000 de juifs. Son film est d'abord le récit de la survie de 600 juifs. Il fait néanmoins (encore aujourd'hui) figure de référence. En 2002, lorsque sort en salle Le Pianiste de Roman Polanski, il est instantanément comparé à La Liste de Schindler. Et pourtant l'Holocauste a été traité par le 7ème art à de nombreuses reprises et sous des formes très différentes: le documentaire avec Nuit et Brouillard d'Alain Resnais, le film engagé avec Amen de Costa-Gavras, ou l'humanisme de Begnini dans La vie est belle...

Karl Demyttenaere (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) lundi 7 mars 2011

 

Pour en savoir plus :
- Notre article sur le sauvetage des Juifs en Pologne : ici
- Et allez vite lire Une éducation polonaise :?Un homme d'une cinquantaine d'années se penche sur son passé. Il évoque " sa propre honte d'être en vie ". Il vit avec la blessure d'une enfance polonaise passée dans la peur, le mensonge, le secret, au temps où les nazis et les complices semaient la haine, entre 1939 et 1945.... Une odyssée coupée de tableaux nostalgiques et de scènes effroyables. Un destin qui n'épuise pas la lancinante question posée par l'auteur : " où réside le sens de la survie ? ".Une Education polonaise, premier roman de Louis Begley, a obtenu le prix Hemingway du Pen Club américain et celui de l'Irish Times Aer Lingus en Irlande, ainsi que le prix Médicis étranger en France en 1992. (Grasset)

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Publié le 29 avril 2013, mis à jour le 27 mai 2014