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Quatre millions de mal-logés en France : de quoi parle-t-on ?

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Écrit par Justine Hugues
Publié le 31 janvier 2018, mis à jour le 3 décembre 2020

Si l’on y ajoute les personnes dites « en fragilité », en situation d’impayés de loyers ou de précarité énergétique par exemple, ce sont au total près de 15 millions de personnes actuellement touchées par la crise du logement. Des chiffres édifiants que dévoile le 23ème rapport annuel de la fondation Abbé Pierre. Décryptage. 

 

« Au moment où la politique du logement du quinquennat commence à se dessiner, nous sommes très inquiets. La hausse du nombre de personnes sans domicile fixe en situation de détresse est une honte pour la sixième nation la plus riche au monde ». Laurent Desmard, président de la fondation Abbé Pierre, masque difficilement sa colère, 64 ans après le célèbre appel de l’Abbé qui a créé l’institution. Il faut dire qu’avec près d’un million de personnes privées de logement personnel (à la rue, en chambres d’hôtel, dans des habitations de fortune ou chez des tiers) et trois autres millions dans des conditions de logement difficiles, le chiffre fait mauvais genre. Les récentes mesures concernant les APL, HLM, ou encore le recensement des sans-papiers dans les centres d’hébergement d’urgence, n’ont fait qu’attiser le courroux des associations et bailleurs sociaux. 

 

Le retour du surpeuplement 

Madame Bamba vit à Montreuil. Ayant réussi une formation - tout en étant trimballée dans différents centres du Samu Social - puis décroché un CDI comme auxiliaire puéricultrice, elle est un modèle de persévérance. Le hic : elle et cinq autres personnes, dont ses trois enfants, logent depuis plusieurs années dans 11 mètres carrés. 

Aujourd’hui, le prix des loyers et les demandes de garanties dans les zones « tendues » obligent près d’un million de personnes à vivre en France, en situation de surpeuplement accentué. Celui-ci caractérise les logements dans lesquels il manque deux pièces par rapport à la norme prévue par l’INSEE (une pièce à vivre, une pour chaque couple, une pièce pour deux jeunes enfants ou deux grands enfants du même sexe).  Les conséquences sont multiples : risques domestiques, impacts sur la santé physique et mentale, difficultés dans la scolarité des enfants, tensions et violences intrafamiliales…D’après une étude de l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE), le surpeuplement augmente de 40 % le risque d’être en mauvaise santé. 

Pour Manuel Domergue, directeur des études de la fondation, « c’est toute la démocratisation de l’accès à l’intimité, la conquête de l’espace à laquelle on a assisté à partir des années 1950, qui est remise en cause ».  Si ce phénomène doit avoir des impacts économiques majeurs à moyen terme, il est, selon le chercheur, loin d’être une fatalité. « Comme elles l’ont fait pour le surpeuplement des classes, il est temps que les autorités s’attaquent à celui des logements ».

 

 

« Avec des tableaux Excel, on n’a pas de cœur ». Une politique sociale du logement au banc des accusés. 

« Le nouveau président s’était engagé à porter une politique du « logement d’abord », qui laissait espérer un vrai changement de dynamique. Or, les actes des premiers mois ont semblé donner la priorité aux coupes budgétaires et aux critiques contre l’encadrement du marché de l’immobilier, au détriment de l’ambition affichée de protéger les personnes en difficulté. Pendant ce temps, les travailleurs sociaux n’en peuvent plus d’avoir à trier entre les plus pauvres et les super prioritaires ». Christophe Robert, délégué général de la fondation, vise notamment la baisse des APL de 5 euros. Selon le rapport de l’association, cette mesure renforcera la précarité, en même temps qu’elle privera les organismes HLM de près d’1,7 milliards de ressources par an, essentielles pour rénover ou construire de nouveaux logements sociaux. « On navigue à vue sur la production d’HLM, et en plus les loyers augmentent, sous l’effet de la baisse des aides à la pierre. 56% des communes n’ont pas atteint leurs objectifs en matière d’habitat social ».  

Face aux critiques, Jacques Mézard se défend. Le ministre de la cohésion des territoires rappelle que plusieurs milliers de places supplémentaires en centres d’hébergement d’urgence ou en pensions de famille ont déjà été créées.  « Le dispositif va continuer à monter en charge. Cependant, on n’aura pas atteint le résultat tant qu’on ne sortira pas de ce système d’urgence. Il s’agira d’orienter sur le quinquennat le plus grand nombre de personnes à la rue vers des logements pérennes ». Une réponse structurelle qui inclut également la rénovation de toutes les « passoires thermiques », via 3 milliards d’éco-prêts à taux zéro, ou encore la pénalisation financière des marchands de sommeil. « Le nouveau programme de renouvellement urbain passera de 5 à 10 milliards d’euros et nous ferons en sorte que 25% des logements sociaux attribués aux plus marginalisés soient en dehors des quartiers prioritaires, pour éviter le phénomène de ghettoïsation ».  

La fondation Abbé Pierre, de même que l’ensemble des institutions travaillant sur le logement social, seront vigilantes. « Il est encore temps de redresser la barre », constate Christophe Robert. « Si le logement social continue à être la voiture balai des politiques publiques, l’objectif de zéro personne à la rue ne sera pas atteint à la fin du quinquennat. Pas plus qu’il ne l’a été à la fin de l’année 2017, contrairement à l’engagement du président ». 

 

Justine Hugues
Publié le 31 janvier 2018, mis à jour le 3 décembre 2020